AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Pujol


Pujol
03 novembre 2018
Joli coup de la part de Clovis Goux. Un cadrage ingénieux et une idée forte : parler de l'Amérique des seventies en utilisant le cas Karen Carpenter. Star déchue, icône wasp et lisse de l'Amérique dévorée de l'intérieur par l'ogre du star-system.

Une biographie comme le symptôme isolé d'un mal généralisé qui gagne le pays et ses habitants à cette période : nécrose hippie qui tourne à la tumeur. Enfer vietnamien qui vomit des vétérans mutilés, hantés de massacres verts. Modèle américain et classe moyenne qui partent en valium. Un rêve qui bascule dans un cauchemar éveillé et chimique.

La couverture annonce la couleur nous figurant une Karen déjà émaciée et un Richard fiévreux tournant la tête vers un hors-cadre, comme si quelque chose avait bougé dans les coulisses. Un mouvement brusque comme saisi au vol. Une panique soudaine face aux ténèbres qui vont refermer leurs mâchoires sur la fratrie Carpenter.

La disparition de Karen c'est cela : un monstre qui naît et se développe sur scène, s'abreuvant de lumière et de succès pour devenir une présence incontournable et cruelle. La créature va peu à peu occuper toute la place dans la vie de cette artiste avant de l'écraser. Négligemment. Comme une mouche sous un magasine de papier glacé.

Anorexie mentale.

Karen va s'évanouir dans le néant, s'anéantir, se soustraire au monde. Un tour de magie triste et implacable que Clovis Goux présente avec maîtrise devant les yeux des spectateurs médusés.

Les Carpenter ont été ce groupe de variété américaine aux nappes hyperglycémiantes et acidulées chargées de soigner une Amérique blessée par une guerre sanglante et sans cause. Un point d'ancrage, un exemple rassurant pour des républicains qui ne comprennent plus leur jeunesse chevelue, prônant l'amour du prochain et de la défonce.

Lorsque tout va virer au drame, lorsque la drogue et son empire vont prendre la barre sur les esprits naïfs, lorsque les loups vont se jeter sur les idéalistes éthérés et que La famille Manson va semer la mort dans la jet-set californienne, tout le monde sera mordu. Tout le monde sera blessé.

Tenir un ouvrage entier sur Karen Carpenter aurait été possible mais ardu. La superbe idée est d'utiliser l'histoire de cette vedette comme un véhicule, un wagon de grand-huit pour visiter les Etats-Unis au moment où les chansons des Carpenter inondent les ondes et les oreilles. Un paysage accidenté où l'on croise un président au crâne explosé, des assassins sous acides gorgés de chansons des Beach Boys, des familles modestes noyées sous l'ennui et le conformisme banlieusard.

Un grand tour dans un Luna Park qui rouille et branle de partout. A l'arrivée, notre guide nommée Karen Carpenter a disparu, oxydée jusqu'à l'os par un subtil mélange de célébrité, de pression et de faille narcissique trop large pour ne pas s'ouvrir sous ses pieds et l'engloutir.

Clovis Goux nous livre donc une biographie diorama. L' histoire d'une artiste et de son époque. L'évocation d'une fragilité, d'une ostéoporose au beau milieu d'un pays agité de mouvements tectoniques. C'est une lame damasquinée. Un bel objet littéraire.

Et surtout, vous n'entendrez plus jamais un titre des Carpenter comme avant. Tout prendra des accents tragiques. Une profondeur inédite. La bile au milieu du miel.

Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}