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Critique de 4bis


4bis
28 novembre 2021
Pendant des années, il ne faisait pas bon se dire féministe. Car c'aurait signifié pour beaucoup qu'on vouait une haine éternelle à la gent masculine et qu'on avait jeté sa lingerie au feu. Camille Froidevaux-Metterie revient rapidement, et pas de manière aussi imagée toutefois, sur l'histoire du féminisme en France, à ces années 70 où les discours d'obédience marxiste dénoncent l'exploitation des femmes comme un des avatars du système de production et de reproduction patriarcale tandis qu'une veine essentialiste installait la féminité dans une dimension sacrée qui la valorisait autant qu'elle l'enfermait. Pour dépasser ces définitions contradictoires du féminisme, proposer une voie qui fasse place aux revendications intersectionnelles, aux dénonciations des vagues metoo et aux questions de genre, l'auteure propose de se placer du point de vue phénoménologique. Elle s'inscrit pour cela dans la lignée de Simone de Beauvoir et derrière elle, de Merleau-Ponty.
En postulant que toute notre existence physique, affective, psychique, relationnelle n'est envisageable qu'avec nos sensations pour origine, que tout est expérience sensorielle et que c'est de notre perception du monde que jaillit notre identité, ce courant de pensée place le corps au centre de sa conception. Ce qui est particulièrement intéressant si l'on prolonge la réflexion pour étudier spécifiquement l'éprouvé d'un corps féminin, c'est-à-dire d'un corps qui vivra les menstrues, relations sexuelles, grossesse, ménopause*. Et ce dans une société dont le regard plein de normes et d'injonctions transforme la qualité de ces expériences et en fait la raison d'un emprisonnement. Se trouve ainsi intrinsèquement mêlé tant la réalité physiologique indéniable d'un corps féminin que le prisme déformant à travers lequel notre monde encore fondé sur des normes patriarcales assigne les femmes à certaines fonctions au nom de leur genre. On voit bien que si l'on peut espérer renverser le deuxième facteur, le premier est quant à lui intangible, sauf à prôner un féminisme qui clame que la femme est un homme comme un autre et à nier ses spécificités organiques.
Cette manière d'envisager les choses m'a beaucoup séduite. le livre suit une progression très claire, de nombreuses auteures sont convoquées pour les besoins de la démonstration et le propos est toujours solidement argumenté. C'est donc une lecture que je recommande à ceux qui chercheraient à faire cheminer leur réflexion sur le féminisme dans un cadre historique et philosophique étayé. Et si je n'ai quasiment rien à opposer à l'ensemble, j'aurais tout de même préféré lire davantage que deux lignes ici ou là sur le fait qu'il s'agit bien de réinventer tout autant les féminités que les masculinités. Là, j'ai eu l'impression que, par peur d'être taxée de collaboration ou de tiède à la cause, l'auteure passait sous silence ce que cela peut être de vivre sa relation au monde à l'épreuve d'un corps masculin perçu comme non viril, ou de se dire homme et de se défier pourtant des oripeaux tyranniques qu'on accroche collectivement à cette dénomination.
*L'auteur prend bien soin de noter que toutes ces expériences ne sont pas vécues par toutes les femmes et que ce qui importe, c'est le fait d'éprouver l'expérience des répressions et des agressions que suscite le corps féminin. Cette précision évitant de croire que ce propos ne vise que les femmes cisgenre, à l'exclusion de toutes les autres.
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