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Critique de Kirzy


Kirzy
11 novembre 2021
Difficile de trouver un personnage féminin plus éblouissant qu'Aliénor d'Aquitaine. Après le Roi disait que j'étais le diable, centré sur ses années reine de France épouse de Louis VII, Clara Dupont-Monod poursuit son récit avec un portrait d'Aliénor plus ample, de reine d'Angleterre épouse d'Henri II Plantagênet à sa mort, transformant ce flamboyant personnage historique en personnage littéraire hautement romanesque. La révolte, c'est celle d'Aliénor contre Henri II : en 1173, à une cinquantaine d'années, elle convoque ses fils pour renverser leur père, levant une armée européenne à laquelle participe son ex-mari Louis VII. Un échec qui aura pour conséquence son emprisonnement durant quinze ans à Salisbury. Avant de rebondir.

Formidable défi pour le romancier que de faire revivre un personnage historique ! Tout en respectant la trame chronologique immuable tracée par les historiens, Clara Dupont-Monod se fait un festin des blancs laissés par L Histoire, se nourrit des interstices pour faire ce qui est interdit aux historiens : les combler, supposer, inventer une psychologie aux personnages en se réjouissant de sa liberté de romancière. Elle le fait avec une belle fluidité et une accessibilité impeccable.

Pour entrer dans la vie d'Aliénor, elle choisit le point de vue de son fils préféré, avec le « je » de Richard Coeur de Lion, futur roi d'Angleterre, enterré à ses côtés dans la nécropole royale de l'abbaye de Fontevraud. C'est son regard d'enfant subjugué par sa mère, fou d'amour pour elle qui permet d'embrasser toute la complexité de la personnalité de sa mère. Lui seul pouvait poser un regard enveloppant sur cette figure rude et glacée, toujours aguets comme l'est une chasseresse se sentant proie. Lui seul lit de la tendresse dans des actes anodins. Lui seul voit que si cette femme-forteresse s'est autant éprise de poésie, c'est parce que la littérature lui offrait un répit. Richard Coeur de Lion est un superbe personnage pour lequel l'auteur imagine un conflit de loyauté entre son père et sa mère, affamé de guerres et de conquêtes ( très beaux passages sur les combats de la Troisième Croisade contre Saladin ) car c'est le seul moment où il peut se réconcilier avec son père en devenant un guerrier brutal et animal comme lui sur un champ de bataille.

La Révolte dresse le portrait d'une famille digne des Atrides ou d'une tragédie shakespearienne, mais au final très contemporaine tant la modernité retranscrite dans l'intimité de leurs sentiments et de leurs failles résonne, entre féminisme, trahisons, patriarcat, vengeances et passions en tout genre, réussissant à créer une très grande proximité entre les personnages et le lecteur. D'autant que la prose de Clara Dupont-Monod, sans chercher le médiévisme à tout crin, fait naitre la vie dans son cisèlement raffiné.

«  La colère de ma mère est d'une autre nature. Les trahisons l'ont grandie. D'élan, elle est devenue force. Elle a planté ses crocs si profond dans sa mémoire qu'elle est devenue caillou. La colère n'irrigue plus le corps, elle se concentre sur le coeur et sa fonction première : cogner pour respirer. Comme je voudrais avoir le même ! Elle fabrique des vengeances en forme d'honneur. Pour Aliénor, la haine est une colère qui vieillit bien. Et pourtant. A la voir ainsi, fureur splendide qui marche et écrase, me vient une grande tendresse. J'entends une très ancienne douleur. Les poètes disent que l'amour pour une personne s'adresse à ce qu'il y a de plus seul en elle. Je les crois parce que, en cet instant, je ne vois que ça, un être absolument seul depuis toujours, capable d'avancer sans soutien et résigné à ne plus en attendre. Alors, il faudrait s'agenouiller, approcher son visage du mien ; et, avec toute la douceur dont un guerrier dispose, l'interroger. Ma mère, quel est ce chagrin qui ne vous laisse pas en paix ? A quoi ressemblent-ils, ces espoirs qui ne resteront qu'eux-mêmes ? »
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