Viendra le temps du feu nous plonge dans une société dystopique à bien des égards, en empruntant la forme originale d'un roman chorale.
Sur la forme,
Les chapitres, courts, se succèdent, donnant la voix à Louise, à Raphaël, à Grâce, à Eve, ...et à tant d'autres. Tous tentent de survivre à cette société qui étouffent les libertés, en empruntant divers chemins, dont certains s'entrecroisent.
La forme choisie confère au roman un ton à la fois réaliste et intime.
Réaliste, car les personnages s'épanchent sur leurs drames, leurs peurs, leurs façons de faire face au quotidien – tout cela est très concret.
Intime, car les personnages rédigent leurs textes à la manière dont on se confie à un journal – ce qui renforce l'empathie du lecteur.
Afin d'apprécier cette forme, je préconise des élans de lecture assez longs – qui permettent aisément de jongler entre les personnages, et qui aident à voir une vue d'ensemble. A l'inverse, une lecture, même régulière, mais souvent interrompue, est moins adaptée à ce roman choral, on se perd entre les personnages, on se focalise sur les individualités et on perd de vue le panorama global qui se dessine.
Sur le fond,
Je retiens de ce livre deux grands messages.
Le premier, le plus évident et le plus développé, concerne la dénonciation de la perte des libertés individuelles, sous toutes leurs formes, notamment : la liberté d'aller et venir, la libre disposition de son corps, la liberté sexuelle.
Le deuxième, s'étire plus discrètement en toile de fond, il s'agit du thème de la survie de la planète, de l'écologie. L'individualisme, l'hyper consommation, la pollution, ont conduit à l'épuisement des ressources, l'extinction des espèces, le réchauffement climatique.
Cet état de catastrophe écologique constitue le point de départ de l'intrigue :
Terrassés par le mépris des puissants à l'égard de ces préoccupations, les jeunes ne croient plus en l'avenir, ce qui engendre une vague de suicides en masse, accompagnés de grèves de la faim et d'actes de révolte.
Après avoir perdu 30 % de la population adolescente, le gouvernement décide d'adopter le grand Pacte National. Les frontières sont fermées, la propagande inculque que toute forme de survie à l'extérieur est impossible à cause du manque de ressources.
L'argent est proscrit, les individus reçoivent des avoirs (de logement, de nourriture, de divertissement…) de manière proportionnelle à leur contribution à la société.
La contribution s'exprime d'une part, par le travail réalisé, et d'autre part, par le nombre d'enfants élevés. Il faut repeupler, ainsi, chaque femme doit être mise en paire (= en couple) et avoir mis au monde un enfant avant ses 25 ans. Si tel n'est pas le cas, elle a droit à un suivi médical oppressant, batterie de tests, et suivi psychologique.
Un tel contexte ouvre la porte à toutes sortes de dérives.
Certaines mères, désespérées à l'idée de condamner leur enfant à un monde sans avenir, essaient de tuer leur progéniture, avant de se donner la mort, ou encore, sombrent dans la folie.
Quant aux pères, beaucoup désertent, et ne reviennent jamais, laissant femme et enfants seuls.
La société est comme aseptisée ; les jeunes générations ignorent la liberté dont jouissaient leurs aînés. Au milieu de cet ordre bien rangé, toutefois, deux formes de lutte se font jour.
La première concerne la communauté des Soeurs. Elles vivent dans la forêt, grâce au commerce de la pierre qu'elles extraient jour après jour. Elles s'entraident, lisent des livres, parviennent à vivre en autonomie, loin des Autres, mais n'osent rêver d'un avenir pour de nouvelles générations.
La deuxième prend naissance dans le Gentlemen's club où travaille Louise, et où se rend Raphaël. Loin de n'être qu'un club de la nuit, où dansent les femmes, ce lieu recèle d'histoires et d'entraide, de livres et de libertés, de réunions secrètes et de projets de révolte.
Ces deux formes de lutte donnent au récit ses notes d'espoir, l'espoir que bientôt, viendra le temps du feu, et renaîtra la liberté.
En conclusion, un roman détonnant, solidement engagé.