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Critique de Nastasia-B


Aujourd'hui, Nastasia mène l'enquête... la dernière fois c'était pour Nuées D'Oiseaux Blancs de Kawabata, parfois, ça me prend...
Lettres de Mon Moulin. Voyons, voyons... Tout le monde connaît, au moins pour partie car on a tous eu une de ces nouvelles ou un extrait d'un des textes sous les yeux à l'école, ne serait-ce que pour une leçon d'orthographe ou de grammaire. Mais malgré cette étonnante popularité, ceux qui les ont lues en entier sont déjà moins nombreux, un peu comme pour les Fables de la Fontaine.
Poursuivons, ça date de quand les Lettres de Mon Moulin ? Et bien là, figurez-vous, ce n'est pas si facile que cela à dire. Première publication en 1869 avec 17 nouvelles (Ballades En Prose est comptée comme une seule et Installation est assimilable à La Diligence de Beaucaire). Mais dix ans plus tard, en 1879, une seconde publication, celle que nous connaissons désormais en ajoute 6 de plus.
C'est quoi les Lettres de Mon Moulin ? On serait tenté de répondre à la hâte et du tac au tac qu'il s'agit de nouvelles ayant toutes pour dénominateur commun l'arrière pays provençal dans le piémont des Alpes. Mais si l'on y regarde de plus près, c'est loin d'être seulement le cas : trois nouvelles corses, deux algériennes, une nouvelle vaguement allemande, deux ou trois autres encore qui ne cadrent pas trop avec la Provence telle qu'on se l'imagine.
Alors une communauté de facture, de ton, de thème, d'époque, de propos, de style ? Vous seriez, là encore, bien en peine d'en répondre.
La vérité, c'est qu'elles ont toutes, ces nouvelles constitutives, déjà vécu leur vie propre lors de publications autonomes au sein de journaux. Elles n'ont donc pas nécessairement grand-chose à voir entre-elles. Certaines sont des récits de voyage, d'autres s'apparentent à des contes ou légendes traditionnels, d'autres encore ressemblent à des nouvelles du format " Maupassant ", bref, un assemblage hétéroclite et opportuniste.
Attardons-nous, si vous le voulez bien, aux dates de publication primaires dans les journaux de l'époque :

À Milianah, La Revue Nouvelle du 1er février 1864

L'Arlésienne, L'Événement du 31 août 1866
Nostalgies de Caserne, L'Événement du 7 septembre 1866
La Chèvre de Monsieur Seguin, L'Événement du 14 septembre 1866
Le Poète Mistral, L'Événement du 21 septembre 1866
La Légende de L'Homme À La Cervelle D'Or, L'Événement du 29 septembre 1866
L'Agonie de la Sémillante, L'Événement du 7 octobre 1866
Ballades En Prose (La Mort du Dauphin & le Sous-Préfet Aux Champs), L'Événement du 13 octobre 1866
Le Secret de Maître Cornille, L'Événement du 20 octobre 1866
Le Curé de Cucugnan, L'Événement du 28 octobre 1866

La Diligence de Beaucaire, le Figaro du 16 octobre 1868
Les Vieux, le Figaro du 23 octobre 1868
La Mule du Pape, le Figaro du 30 octobre 1868
Le Portefeuille de Bixiou, le Figaro du 17 novembre 1868
Les Deux Auberges, le Figaro du 17 novembre 1868

Le Phare Des Sanguinaires, le Figaro du 22 août 1869
L'Élixir du Révérend Père Gaucher, le Figaro du 2 octobre 1869

Les Douaniers, le Bien Public du 11 février 1873
Les Sauterelles, le Bien Public du 25 mars 1873
Les Étoiles, le Bien Public du 8 avril 1873
Les Oranges, le Bien Public du 10 juin 1873
En Camargue, le Bien Public des 24 juin et 8 juillet 1873

Les Trois Messes Basses, issue des Contes du Lundi publiés en 1875

Votre oeil sagace aura donc remarqué que dans la salve de 1866, les nouvelles paraissent à un rythme étourdissant d'une par semaine. Gageure que peu d'écrivains sont capables de soutenir avec un niveau de qualité acceptable. Autre fait étonnant, du 7 au 13 octobre 1866, comme si l'écriture d'une nouvelle ne lui suffisait pas, l'auteur s'est mis en tête d'en écrire deux, sur des thèmes qui n'ont rien à voir.
On constate le même genre de tirs groupés en 1868 avec la notable différence que la publication du 6 novembre est ratée (pas tenu les délais) et celle du 13 novembre aussi, moyennant quoi, on tente de sauver l'honneur en en livrant deux le 17 novembre. Et ce sera tout pour cette année-là.
On sait que ce genre de retard est dommageable pour les ventes du journal car les habitués sont désappointés. On sait aussi que les écrivains terminaient leurs brouillons à l'arrache, la nuit même où le journal allait passer sous presse.
Qu'en déduire ? Un tel rythme paraît tout simplement impossible à tenir. La Chèvre de Monsieur Seguin aurait donc été écrite en une semaine à peine du 7 au 13 septembre 1866, de même que le Secret de Maître Cornille du 13 au 19 octobre 1866. Certaines nouvelles sont deux fois plus longues que d'autres. Pourquoi s'infliger le supplice d'écrire deux nouvelles en une semaine quand une seule ferait parfaitement l'affaire ?
C'est de qui les Lettres de Mon Moulin ? Vous avez remarqué que jusqu'à présent, je n'ai pas encore mentionné le nom de l'auteur, car il y a fort à parier que les deux salves de nouvelles de 1866 et 1868 aient été écrites à quatre mains. Les deux premières sont, bien évidemment celles d'un dénommé Alphonse Daudet et pour les deux autres, Octave Mirbeau (Merci la Normandie) nous apprend qu'elles sont très probablement celles d'un bon écrivain resté dans l'ombre de son volumineux ami, un certain Paul Arène, qui n'a pas eu le loisir de trop le fouler, le sol de l'arène littéraire.
Remarquez, rien d'étonnant à ce qu'il nous prenne pour des bourricots et qu'il nous parle d'histoires de mules et de sentiers caillouteux, l'ami Alphonse, lui qui a un nom hybride entre " baudet " et " dos d'âne ".
C'est dommage car j'aurais bien aimé savoir lequel des deux a su insuffler le plus de pétillance dans le style, le plus de belle magie dans les histoires car je ne vous cache pas que l'essentiel des nouvelles que je préfère, dans ce recueil, font partie de celles qui ont été écrites à quatre mains.
Si j'arrive à faire abstraction de ce comportement d'appropriation du travail d'autrui qui m'exaspère, je dirais que ce recueil, malgré son hétérogénéité se lit avec plaisir et conserve une belle fraîcheur.
J'y aime particulièrement le Secret de Maître Cornille qui peut m'émouvoir jusqu'aux larmes, j'adore aussi L'Arlésienne et éprouve un franc penchant pour une nouvelle authentiquement Daudésienne, à savoir L'Élixir du Révérend Père Gaucher.
Il y a encore deux ou trois véritables petits joyaux dissimulés ici ou là, que je vous invite à venir découvrir comme Les Vieux, L'agonie de la Sémillante ou bien sûr l'incontournable Chèvre de Monsieur Seguin.
Un bon recueil donc, pas exceptionnel de bout en bout, mais fort agréable, ma foi, sur l'essentiel de la distance.
Néanmoins, ce n'est là qu'un avis qui s'agite comme les ailes au vent d'un moulin délabré, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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