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Critique de Seraphita


J'ai pu lire « Les âmes blessées » de Boris Cyrulnik grâce à l'opération Masse Critique organisée par Babelio.
« Les âmes blessées » correspond au deuxième tome des mémoires de Boris Cyrulnik, célèbre neuropsychiatre. Cet ouvrage fait suite au premier tome intitulé « Sauve-toi, la vie t'appelle », publié en 2012. L'auteur opère ici une mise en récit de 50 années d'aventure psychiatrique, et, ce faisant, conte l'histoire des courants théoriques qui ont traversé, balayé, bousculé, le monde des psys, en particulier psychiatres. Cet essai s'avère passionnant de bout en bout, à de multiples niveaux.
Il est d'abord très instructif et permet au lecteur de (re)découvrir l'évolution de la psychiatrie telle que l'auteur a pu la connaître, depuis la lobotomie, en passant par la psychanalyse avec la figure de Lacan, la pharmacologie, jusqu'à la théorie de l'attachement et la résilience, chapitre préféré de l'auteur. Les propos sont très rigoureusement étayés et référencés, la construction d'ensemble bien pensée, avec titres et sous-titres parlants.
C'est aussi la dimension autobiographique de cet essai qui le rend passionnant. Boris Cyrulnik s'efforce de montrer l'impact des dimensions traumatisantes de son histoire dans le choix de son devenir professionnel : « A cause de la guerre, du fracas de mon enfance, j'ai été, très jeune, atteint par la rage de comprendre. J'ai cru que la psychiatrie, science de l'âme, pouvait expliquer la folie du nazisme » (quatrième de couverture). Boris Cyrulnik sait écrire sans jargon superflu, avec une clarté et une limpidité qui saisissent.
Sa lucidité impressionne également : « Cette abusive clarté constitue mon identité narrative. Elle structure le récit que je fais de mon expérience, elle me raconte comment j'ai gouverné ma vie. Ce procédé de mémoire dont nous avons besoin m'amène à penser que tout choix théorique est un aveu autobiographique. » (p. 307-308.), tout comme sa vision théorique intégratrice, ses propos pondérés, la culture du questionnement à laquelle il invite tout chercheur, dénonçant les dérives dogmatiques qui le guettent au détour du succès. C'est que, pour lui : « Après quarante années de pratique et de réflexions, je crois au fond de moi qu'aucune théorie ne peut être totalement explicative, sauf celles qui ont une ambition totalitaire. » (p. 303.) Comme il le souligne justement, adoptant en cela la vision de Jérôme Bruner, toute théorisation est une mise en récit inscrite dans une culture donnée. Perdre cela de vue, c'est ouvrir la porte aux dogmatismes qui morcellent l'humain et stérilisent à terme toute recherche et toute pratique clinique.
Au final, c'est à une certaine vision de l'Homme que nous convie Boris Cyrulnik : un Homme entier dont la mystérieuse « psychè » peut être interrogée de multiples manières : « le cerveau, bien évidemment nécessaire, est insuffisant pour expliquer la totalité d'un monde mental. La fonction affective de la parole et le sens que notre histoire attribue aux événements invitent la psychanalyse à participer au débat. Et comme un être humain ne peut ni se développer ni s'exprimer ailleurs que dans sa culture, nous devons aussi demander l'avis des sociologues. » (p. 138-139.)
« Les âmes blessées » présente donc le visage d'un chercheur qui, se disant en « je » et explorant son univers personnel, vient aussi montrer que la culture du questionnement ne l'a jamais quitté. Un très bel essai !

Je tiens à remercier Babelio et les éditions Odile Jacob pour cette découverte passionnante.
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