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Critique de Dez54


Dez54
04 septembre 2021
Comment des hommes, sains d'esprit pour leur immense majorité et parfois particulièrement cultivés ont-ils pu commettre et justifier (y compris après la défaite allemande) des crimes d'une atrocité et d'une ampleur inégalée, accepter d'aussi énormes sacrifices et renoncements pour une idéologie ? La question est souvent posée vis à vis du nazisme mais les réponses sont généralement peu convaincantes : pathologisation de quelques cadres dirigeants de l'époque voire du peuple allemand dans son intégralité ou alors on assène quelques des explications simplistes qui ne me semblent pas se suffire à elles-mêmes : "la crise économique", "l'effet moutonnier", "le populisme" etc.


Ici l'historien, Johann Chapoutot nous donne les clefs pour comprendre le national-socialisme et son univers mental (ses normes, son imaginaire) en se détachant des lieux communs. Pour cela, sa règle sera de prendre au sérieux cette idéologie que l'on se complait à dénier ou à caricaturer comme si c'était là le moyen le plus sûr de l'exorciser.
Alors, notre historien se retrousse les manches et dissèque les textes de lois, les annales, les livres, les articles, les déclarations, les correspondances des cadres du parti, des dirigeant, des idéologues, des juristes et intellectuels acquis à sa cause. Partant du principe que si les hommes de terrains ne sont pas des théoriciens, ils baignent dans un univers psychologique, un cadre intellectuel, qui leur permettent de hiérarchiser leurs objectifs et valeurs et de justifier les actes qui nous apparaissent comme les plus ignobles.


Il est toujours périlleux de retranscrire en quelques lignes un essai qui s'étale sur un peu plus de 500 pages. On est cependant frappé par le fait de méconnaitre beaucoup d'aspects liés à cette idéologie pourtant omniprésente dans notre espace culturel (films, livres, séries etc.) et qui a une place unique dans notre esprit en Occident (le fameux "point Godwin" en est une illustration flagrante parmi bien d'autres).


La plupart des idées véhiculées n'ont pourtant rien d'originales et sont assez fréquentes sinon majoritaires dans l'Europe de la première moitié du XXème siècle : Darwinisme social, rejet des élites intellectuelles traditionnelles, rejet du droit, hiérarchie raciale, sentiment de déclin et de perte des valeurs morales etc.
Quelques points plus originaux sont à signaler : tout d'abord le rapport à la nature (du moins à une certaine idée de la nature dure et "darwinienne") qui est extrêmement prédominant et sur lequel l'auteur insiste. le rejet du christianisme et des valeurs "orientales" et "antinaturelles" liées à cette religion est également étudié de près. L'articulation et mise en cohérence de ces éléments (dont la constante référence aux lois implacables de la nature) ainsi que le sentiment d'urgence, la dramatisation des enjeux va permettre la radicalité du discours puis la radicalité des actes et notamment les exactions commises sur les populations civiles (et plus particulièrement à l'Est) et les groupes considérés comme « nuisibles ».


Johann Chapoutot a construit avec La loi du sang : Penser et agir en nazi un livre édifiant et intéressant. S'il n'évite pas quelques redondances et qu'un sujet aussi sinistre sur 500 pages peut en rebuter certains, j'ai trouvé le livre globalement fluide et il se lit bien plus facilement qu'on ne pourrait le penser. L'auteur parvient à faire comprendre les enjeux complexes et les nuances liés à cette période sans pour autant perdre le lecteur profane. Un livre que je recommande aux amateurs d'histoire. Vous pouvez également consulter les nombreuses émissions radios réalisés sur France Culture avec cet auteur et accessibles depuis leur site.
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