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Critique de BillDOE


« Au début qu'on est arrivés à Londres je la voyais presque pas l'Angèle. »
Première phrase de « Londres », second opus du manuscrit « retrouvé » en 2021 qui fait suite à « Guerre ». Cette phrase donne le ton au reste de l'histoire qui va y être contée, celui de la rue, celui d'un langage de charretier, d'un vocabulaire du caniveau. Il place l'auteur-narrateur au plus bas de l'échelle sociale, au milieu d'une populace bigarrée mélangeant marchand des quatre saisons, maquereaux, catins, voyous et autres parasites. C'est une société grouillante comme un nid de cafard, animée des intentions les plus basses : sexe et argent.
1916, Ferdinand a rejoint Londres où il y retrouve une bande de déserteurs qui vivent des subsides que leur rapportent les filles qu'ils ont mises sur le trottoir…
Lorsque l'on visionne les dernières interviews de Louis-Ferdinand Céline on appréhende mieux ce qu'était l'auteur. Apparaît un être malingre, balbutiant ses mots, habillé comme un bougnat avant une foire aux bêtes, sur fond de cris d'oiseaux à la façon des canaris d'un gardien d'immeuble. Un mot semble résumer le personnage : minable. Et pourtant, ce serait bien là erreur à ne pas commettre. Louis Destouches est le serpent qui rampe pour mieux mordre, le scorpion qui feint la retraite le dard bandé pour mieux piquer. C'est toute cette fausse modestie, cette hypocrisie qui transpire par tous les pores des pages de son manuscrit. Il ne faut pas s'y tromper, sous ses airs de « pauvre type » il y a le talent d'un génie de l'écriture. Céline invente un style qui rompt avec les règles de l'establishment littéraire, avec l'académisme de ses contemporains.
Dans « Londres », il nous vautre dans la fange d'une bande de vauriens sans foi ni loi. Il nous met face à une humanité animalisée où le huis clos forcé pour ne pas subir le désastre de la première guerre mondiale exacerbe la sauvagerie des sentiments et la débauche des chairs.
Le texte est une accumulation de phrases très courtes, parfois sans verbe, rédigé dans un argot généreux qui s'apparente presque à une langue étrangère.
L'antisémitisme de Céline est larvaire dans « Londres ». le manuscrit semble avoir été rédigé en 1934, bien avant les pamphlets ignobles comme « Bagatelle pour un massacre » parus en 1937. Ici il introduit le personnage du docteur Yugenbitz, juif, qui est à l'origine de la vocation de médecin de Ferdinand. Il ne lui fait jouer qu'un rôle secondaire, voire de larbin au service de la bande de maquereaux.
Comme dans « Guerre », Céline a une vision bien phallocrate des femmes. Elles sont des prostituées ou des nymphomanes. Elles sont au service de l'homme. Même la gérante de la pension où ils se sont réfugiés est à leur service et n'ose pas leur réclamer les loyers dus. Elles sont soumises. Il écrit : « le cul des femmes c'est comme le ciel, ni commencement, ni fin. »
La lecture de « Londres » n'est pas une promenade de santé. le propos choque, offense, scandalise : c'est certainement le but de Céline, cracher sur les conventions d'une bourgeoisie confortablement installée, ébranler les fondements, violer les règles. On devine la haine et les frustrations qui l'animent. Par son style, par son vocabulaire, par ses idées, l'objectif est atteint.
Saluons au passage le travail colossal de Régis Tettamanzi pour que « Londres » paraisse.
Préface de Régis Tettamanzi.
Editions Gallimard, collection blanche, 526 pages.
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