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Critique de HordeDuContrevent


« Les mots seuls ne fabriquent pas d'émotion sincère, c'est l'émotion qui doit précéder l'apparition des mots ».

Qu'a donc vécu Franck Bouysse pour, dans chacun de ses livres, de manière presque obsessionnelle, nous emporter ainsi et nous faire frémir sur les territoires sauvages d'une ruralité particulièrement âpre ?
La plume de l'auteur est une plume d'oiseau survolant cette étendue, effleurant les bas instincts des hommes dans leurs fatalités familiales, emportant leurs râles, leurs secrets et leurs souffrances. Caressant leur agonie solitaire. Une plume de corbeau, nuit noire, non pas brillante mais mat, voire terne, pensons-nous de prime abord. Elle nous entraine en effet dans un récit sombre et envoutant, mélancolique, mystérieux, une plume angoissante qui pactise avec la crainte, avec le diable semble-t-il par moment. Une plume engourdie de neige et de silence au poids suffocant. Une plume qui cherche son chemin à travers la brume, espérant des trouées de compréhension sur une page vaporeuse aux dimensions sans repères connus, au temps suspendu, une plume qui cherche son fil jusqu'au Minotaure pour en percer les secrets. Et nous de frissonner en entendant la plume croasser sur le papier que l'on devine jauni, humide, peut-être déjà ensemencé de moisissures. Un roman d'atmosphère assurément frôlant le fantastique.

« le silence revient. L'inquiétude se diffuse dans son corps, tenace. Avec le brouillard qui l'enveloppe, le paysage tout entier semble se replier autour de lui, comme pour isoler un parasite, l'enfermer dans une gangue».

C'est une plume de mésange bleue en réalité, comprenons-nous peu à peu, la noirceur annonciatrice d'une forme de printemps. Un printemps poétique. Qui chante l'amour malgré tout. Qui transforme en poésie les sortilèges de ces espaces inquiétants. C'est une plume d'une beauté sidérante ciselant chaque ligne, chaque mot, chaque image offerte. Qui met du coeur à l'ouvrage à magnifier les petites gens, à honorer les invisibles, à rendre une certaine dignité à ces personnes que nous considérons comme étant différentes. Quelques lignes suffisent pour reconnaitre la plume de Franck Buysse. Il y a du bleu dans son regard noir.

« Au printemps, les fleurs d'aubépine ennuageaient la combe et les inflorescences de pissenlit formaient des étoiles dans un ciel de verdure ».

« La lune apparait comme une énorme orbite évidée et de minuscules paillettes scintillent sur la peau métissée de la nuit ».


Harry est un écrivain ayant rencontré un grand succès après la parution de son premier livre, « L'aube noire ». Depuis quelques années, comme cela arrive lorsque le public et la critique attendent le fameux deuxième livre, il est en panne d'inspiration et décide, sur un coup de tête, d'acheter une ferme à l'écart dans un village paumé ayant pour seul commerce une petite épicerie tenue par la belle Sofia. La maison, qui a été vidée très rapidement, dont il reste encore tous les meubles, est remplie de souvenirs, d'odeurs rances. Il semble à l'écrivain que c'est le seul moyen de couper, de se retrouver et d'écrire.
Nous sommes en hiver, il fait très froid, la neige et le silence recouvrent tout. Harry se sent cependant épié, voire visité quand il s'absente, et entend constamment du bruit provenant de la ferme voisine habitée par un certain Caleb.
Des événements étranges se produisent. Si Harry les redoute dans un premier temps, il va comprendre peu à peu que les accepter peut être une source d'inspiration précisément. le récit est polyphonique et donne la parole tout à tour à Harry puis à ce fameux voisin, Caleb, jeune homme misanthrope qui a été élevé par une mère particulièrement austère, rigide, qui lui a inculqué le dégout des autres et surtout celle des femmes. La mère et le fils ont des pouvoirs : ils trouvent l'eau, guérissent les animaux…

C'est une histoire vraiment haletante, une trame qui se construit peu à peu, qui interroge également de façon passionnante sur le processus de création littéraire. En revanche, je suis assez étonnée : pourtant peu habituée aux intrigues de thriller ou aux enquêtes policières, je n'ai pas eu l'effet surprise escompté tout à la fin, ayant deviné avant, plus ou moins, la chute finale, chute devinée mais dont il me reste pourtant des zones d'ombre…Comme si quelque chose m'échappait dans l'imbrication des pièces du puzzle. Il m'est d'avis que je suis passée à côté de quelques éléments, il me faudra sans doute revenir un jour sur cette fin, relire sans doute le livre…Franck Bouysse le dit lui-même :

« Les grands livres ont ce pouvoir-là, de modifier la trajectoire du lecteur à chaque lecture, de maitriser le temps en déployant l'espace, de faire en sorte que rien ne s'est véritablement produit, qu'à tout moment peuvent surgir de nouvelles montagnes et de nouveaux abysses. le temps révolu n'est dès lors plus une succession de moments déjà vécus, mais une suite insoupçonné de rapports au monde ».


Cette réserve ne nuit aucunement à l'aura de ce livre, à l'ambiance distillée, à la gageure d'écriture, à la poésie extatique, à la symbolique de cette image d'homme peuplé, merveilleusement bien trouvée… Ce livre est une aube noire, sombre certes mais chargé de la promesse du jour à venir…
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