AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de afriqueah


Plus que la différence entre terre et mer, ce que met en lumière Hemley Boum dans «  le Rêve du pêcheur », ce sont les épousailles tumultueuses entre le fleuve femelle et l'océan mâle dans lequel il se jette.
Des présences invisibles captent les désirs de certains hommes d'appartenir à l'océan, ce fut le cas du père du Pêcheur quand il avait cinq ans. Les mythes originels de cette partie du Cameroun entre la forêt équatoriale, le fleuve et l'océan parlent de la séparation brutale entre les trois éléments, sauf à l'embouchure, où les poissons pullulent.
Le Pécheur ne peut cependant s'empêcher de se faire du souci pour sa femme Yalana, et ses deux filles : et si elles rêvaient de plus, alors que lui pense avoir tout ?
Changement de décor avec l'apparition de Petit Pa', à Paris, qui rencontre Julienne. Il est le fils de Dorothée, alcoolique et prostituée, et excellente mère « « ma mère, magicienne, omnisciente malgré ses fêlures ». Et fragile.
Nous, nous savons donc qu'elle est la fille du Pêcheur, mais lui ne le sait pas, il n'a pas de famille, pense-t-il et surtout, il n'ose pas demander à sa mère, dans ce village où tout le monde a« une famille », sauf lui.
« Mais je ne dis rien. Je laissai le silence et l'obscurité recouvrir mon angoisse avec la pensée magique que ce qu'on refuse de nommer finit par disparaître. »
Avec une écriture plongeant dans l'intimité psychologique d'un petit garçon vivant dans un taudis, de son grand père Zacharias le Pêcheur qui veut gagner plus d'argent, Hemley Boum expose l'arrivée du capitalisme dans cette région côtière de Kribi : la société d'exploitation de bois crée une coopérative de pêcheurs, tout en leur proposant de s'endetter en leur faisant convoiter des biens qui leur sont inutiles, puis elle instaure une pêche industrielle.
Les pêcheurs, après avoir connu l'opulence, puis le progrès technique (les routes, l'électricité, l'eau courante) sont ruinés, car le poisson a disparu pour eux, ils sont, de plus, endettés.
Plus grave encore, symbole de la dégringolade, Yalana résiste à ce courant inutile d'achats comme la moto, le four, et le couple se sépare dans l'intimité «  Zacharias avait déserté le lieu de leur union. le chemin qui menait à lui était obstrué par une brume épaisse ».
Pourtant, comme dans les Maquisards, Hemley Boum revient sur leur enfance heureuse, leurs jeux dans la nature, leur mariage heureux à Campo, avant de décrire, avec des mots touchants et une immense sensibilité le déclin tragique de cette famille réduite à rien à cause d'un impossible rêve.
A ces amours adolescentes, correspondent les émois entre Petit Pa' alias Zack, avec Nella.
Amours contrariés, désir d'ascension contrarié, lecture : « Deux romans cependant m'avaient touché plus que les autres : Germinal de Zola et Ville cruelle d'Eza Boto », (connu par la suite comme Mongo Beti), et petits larcins.
Comme Nizan, niant qu'avoir vingt ans était le plus âge de la vie, Zack dit « «  La vie est exactement aussi terrible qu'on le pressent à dix-huit ans »
Le Rêve du Pêcheur nous balade entre générations, analysant finement les relations entre soeurs, inimitiés qui se transmettent inexplicablement, fissures à l'intérieur du couple, entre parents et enfants, et puis les dénis des uns et des autres : « Des années d'évitements, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlé. Toutes les années, tous les instants, un à un, sans répit, sans pitié », le tout avec une langue si sensible concernant les côtes camerounaises, les pluies, le bonheur des enfants qui jouent dans la boue, enfin les croyances dont celle de Zack, qui sait qu'après toutes ses errances et ses pertes, quelqu'un le protège sans savoir qui, réflexion sur le chemin parfois cahoteux de la vie.
Enfin, comme dans les Maquisards, et puisque les pères officiels ne sont pas toujours les géniteurs, la parenté est plus sociale que biologique.
Rarement un livre nous présente à la fois la vie pauvre d'un peuple de pêcheurs, les dissensions dans les couples vivant des croyances différentes, la généalogie, même si les intéressés l'ignorent, puis un renversement de fin : livre complet, écriture sublime, personnages bien typés. Et puis, la forêt, la force de résistance de ces femmes irrésistibles, et la tendresse d'Hemley Boum vis-à-vis de ses personnages.
Tout il y a tout dans ce livre.
L'émotion que j'ai éprouvée s'est amplifiée grâce à la lecture commune avec Anne-so(@dannso)
Commenter  J’apprécie          7351



Ont apprécié cette critique (73)voir plus




{* *}