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Critique de Fandol


Tout démarre avec cette fameuse carte postale reçue le lundi 6 janvier 2003, par Lélia, la mère de l'autrice. Sur cette carte sont inscrits quatre prénoms : Ephraïm et Emma, les grands-parents maternels de Lélia, ainsi que Noémie et Jacques, sa tante et son oncle. Tous les quatre avaient été déportés à Auschwitz en 1942 et n'en sont jamais revenus.
Comment expliquer que, soixante-et-un ans plus tard, cette carte postale parvienne à Lélia et Pierre Bouveris, une carte postée du bureau du Louvre et représentant l'Opéra Garnier ?
Le mystère étant resté entier, ce n'est que dix ans plus tard qu'Anne Berest, sur le point d'accoucher, décide de tenter de tout savoir sur ses ancêtres.
La carte postale, extraordinaire quête mêlant intimement l'histoire d'une famille aux drames bouleversants causés par le nazisme, m'a emporté et passionné jusqu'à la dernière ligne. Pendant les Correspondances de Manosque 2021, j'avais écouté Anne Berest parler de son livre, cela m'avait touché, intrigué, intéressé, mais je ne pensais pas que la lecture du livre m'emmène au plus profond de l'âme humaine, soulignant une fois de plus des problèmes toujours actuels, hélas.
C'est tout d'abord Lélia, sa mère, qui raconte, dans le Livre I, intitulé Terres promises. Elle détaille l'histoire de ses grands-parents : Ephraïm et Emma Rabinovitch. Lui, à 25 ans, ne se sent pas juif mais socialiste, en 1919, dans cette Russie où les brimades, la violence, la mort menacent. Il faut envisager de partir mais Emma, enceinte, met d'abord au monde Mirstchka (Myriam) à Moscou, le 7 août 1919. Pour échapper aux fouilles de la police, ils partent vivre à Riga, en Lettonie où la vie est prospère car Ephraïm réussit dans le commerce du caviar. Puis, Noémie naît dans cette même ville où recommencent les menaces qui poussent à partir pour Lodz, en Pologne. L'antisémitisme gagne là aussi. Train pour Budapest, bateau sur la Mer Noire et Haïfa, en Palestine où Myriam et Noémie, après le russe, le yiddish, l'allemand et le polonais, apprennent l'hébreu et l'arabe…
Un petit frère, Itzhaak, voit le jour là-bas, à Migdal, mais Ephraïm veut développer une invention qui accélère la levée de la pâte à pain, dont il est l'auteur. Quel est le pays idéal pour réussir avec un tel procédé ? La France, bien sûr ! le petit Itzhaak s'appellera Jacques et c'est ainsi, je passe certains détails, que toute la famille se retrouve à Boulogne-Billancourt, en septembre 1929.
Les parents réussissent. Les enfants entament de brillantes études au Lycée Fénelon mais la jalousie, la haine ressortent peu à peu. Tout au long de ma lecture, je croise des noms prestigieux comme Jean Renoir, Francis Picabia et Vicente, son fils, Gabriële Buffet, puis René Char à la tête d'un réseau de résistance.
Bien avant que la France soit envahie, les Juifs sont stigmatisés. Lorsque Pétain fait adopter le statut des Juifs en 1940, c'est une cascade d'interdictions qui entraînent notre pays et l'Europe entière dans l'horreur d'un génocide programmé, organisé et facilité par une opinion publique saturée de slogans antisémites qui peuvent surgir à nouveau aujourd'hui.
Anne Berest conte tout cela de manière très vivante. Alternent confidences et événements tragiques comme la rafle du Vél' d'Hiv', les camps et les convois. Il faut raconter encore et toujours ramener à la mémoire des anciens comme des plus jeunes cette extermination massive d'êtres humains, avec des souffrances inimaginables, dans des pays que l'on disait civilisés.
Le Livre II de la carte postale se consacre aux souvenirs d'un enfant juif sans synagogue avec toujours le même objectif : qui a écrit et expédié cette fameuse carte ? Comment se sentir juive alors qu'on est élevée dans le socialisme laïc et républicain ? Eh bien, la bêtise et l'intolérance sont toujours prêtes à ressurgir et à causer les mêmes ravages si la mémoire s'efface.
Un Livre III traite des prénoms, ces fameux prénoms qu'il faut changer pour éviter les réflexions des imbéciles. C'est dans ce Livre III que l'autrice publie deux lettres. La première, elle l'écrit à sa soeur, Claire Berest, qui lui adresse une réponse belle, forte, émouvante ! Un grand moment de lecture !
Enfin, le Livre IV parle de Myriam qui a vécu avec Vicente Picabia et Yves Bouveris, entre Apt et Avignon, dans le Luberon, près du village de Céreste. C'est ainsi que, délicatement, par subtiles touches successives, l'énigme de l'origine de la carte postale sera enfin résolu mais je n'en dis pas plus pour laisser à chacune et à chacun le plaisir de la découverte tout en gardant en mémoire les années tragiques qui ont marqué à jamais ce XXe siècle alors qu'aujourd'hui, la folie humaine frappe encore, oblige un peuple à fuir les bombes et la guerre, causant de nouveaux déracinements et, c'est le plus intolérable, abrégeant des vies dans des souffrances inadmissibles.

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