AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LaBiblidOnee


Un texte très beau, aussi barbare que lumineux, sur la colonisation de l'Algérie au 19ème siècle.
.
Nous suivons alternativement deux groupes de personnes : d'une part, une colonie qui, encadrée par des militaires pour la protéger dans ces contrées « sauvages », va devoir tenter d'implanter des exploitations agricoles et bâtir des villages sur des grands espaces vides de terre brûlée par le soleil. Vides ? Evidemment pas. D'où, d'autre part, les militaires français chargés de « nettoyer » les terres des « rebelles » autochtones avant l'arrivée des civils colons.
.
La narration est faite directement par les protagonistes, nous plongeant sans préambule dans ce bain bouillant, sur cette cuite par le soleil : D'abord, une civile volontaire pour être colon nous raconte son périple et sa déception en arrivant sur place, découvrant ce lieu hostile qu'on leur avait fait fantasmer comme une aubaine pour eux, alors qu'ils n'y trouveront que camps militaires en guise de villages, rebelles autochtones prêts à défendre leur territoire en coupant des têtes, épidémies de choléras, morts de leurs proches…
.
Ensuite, un soldat parmi les nettoyeurs qui, selon leur leit-motiv pour survivre là-bas en exécutant les ordres radicaux du gouvernement, « ne sont pas des anges », raconte quant à lui les horreurs qu'ils sont obligés de subir pour accomplir la mission que le gouvernement leur a confiée, et celles qu'ils doivent faire subir en retour aux habitants originaires, ces derniers voyant forcément d'un mauvais oeil l'arrivée de l'envahisseur. Obligé de se convaincre que ce qu'ils font est bien pour leur patrie, son mental se reprogramme pour légitimer leurs pires actions : pillages, décapitations, viols… Comment ces hommes, s'ils survivent, pourront-ils un jour revenir à la vie après avoir vécu dans tant de violence ?
.
Des deux côtés, rien ne nous sera épargné et nous comprenons alors toute l'horreur qu'a vécu chacune des parties, autochtones compris, à cause de décisions politiques. Si les autochtones sont bien sûr victimes de l'envahisseur, les militaires sont victimes des représailles autant que des personnes qu'ils doivent devenir pour survivre. Aussi lorsqu'on pense à ce qui leur a été demandé on souffre pour eux, même si l'absence de prénom au personnage militaire veut peut-être lui offrir un peu moins le statut de victime. Quant aux civils, ayant un prénom eux, ils en baveront également leur saoul. On aurait pu crier à l'invention si des témoignages de proches revenant plus tard de la guerre d'Algérie ne nous avaient détaillé pareilles horreurs, prouvant que l'Homme n'apprend pas toujours de ses erreurs.
.
Malgré tout, je ne vous envoie pas au casse-pipe avec ce roman. Parce que la plume de Mathieu Belezi est incroyablement belle, forte et douce, violente et caressante, sombre et lumineuse. Aussi cruelle que sentimentale, suivant les actions de ses personnages. Ce qui fait qu'outre les rares jolis moments comme les bals, même dans la barbarie des soldats on perçoit leur souffrance, leur douleur sous les carapaces.
.
L'auteur nous livre les pensées de ses narrateurs sans ponctuation ni majuscule, comme pour nous couper le souffle avec ses esprits dont les pensées et souffrances ne trouvent aucun repos, en prenant soin néanmoins de placer des paragraphes à chaque respiration, chaque changement d'idée afin que nous puissions les digérer avant les suivantes. Malgré tout la pilule aura parfois du mal à passer et nous sentons à chaque moment, avec les personnages, que la coupe est pleine, prête à déborder. Et l'on se demande à chaque page tournée : sera-ce la dernière, la goutte d'eau qui fera déborder le vase ?
.
Un livre tout simple, tout court, et pourtant j'ai trouvé ces 150 pages déchirantes, d'une beauté et d'une force incroyables.
Commenter  J’apprécie          8342



Ont apprécié cette critique (83)voir plus




{* *}