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Critique de deidamie


« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd'hui, je vais vous parler d'une célèbre pièce de théâtre, le mariage de Figaro, de Beaumarchais.

-Pfff… du théâtre classique…

-Ben quoi, « du théâtre classique » ?

-M'enfin, Déidamie ! C'est ridicule et complètement démodé ! Qu'avons-nous à faire aujourd'hui de ces comtes, ducs et princesses dans des robes, des pourpoints, des fraises absurdes ! On ne s'habille plus comme ça pour commencer, on ne connaît plus guère de rois et de reines pour continuer, la société telle qu'elle est peinte là-dedans n'existe plus pour conclure ! Quel intérêt reste-t-il à ces vieilleries ?

-Mmmh… laisse-moi réfléchir… celui du génie du langage ? de la complexité scénaristique et psychologique ? de la satire sociale ?

-Satire sociale ? Un personnage comme le comte d'Almaviva n'existe plus ! C'est fini, le droit de cuissage ! C'est même pas attesté historiquement avec certitude, en plus.

-Vraiment ? Et bien, enlève-lui son costume espagnol, enfile-lui un costume ou un peignoir ; au lieu de comte, donne-lui le métier de producteur hollywoodien. On ne parle pas de droit de cuissage au sens premier du terme, mais le principe reste le même: un homme décide d'obtenir une relation sexuelle en usant de sa position sociale et de son influence.

Or donc Figaro, serviteur du comte Almaviva, veut lui aussi convoler en justes noces avec Suzanne, servante elle aussi : ces deux-là s'aiment d'amour tendre. Hélas, le comte, lassé de son épouse, veut user d'un droit aboli par lui-même, celui de passer la première nuit de noces avec la jeune mariée. Prendre sa virginité, quoi. La comtesse, de son côté, n'est pas insensible au charme du page Chérubin. Suzanne et Figaro auront fort à faire pour s'épouser à la fin de cette journée.

« Ridicule et démodé », disais-tu ? La pièce aborde le sujet du viol ou du moins de ses tentatives, de plusieurs formes de trahison et d'abandon et des souffrances qui en découlent, des abus de pouvoir, là encore avec diverses variations : le comte utilise sa position de seigneur pour faire pression sur Suzanne dans un premier temps, puis tente de nuire à Figaro de façon légale et officielle lorsqu'il rend la justice (ou plutôt une parodie de justice).

L'esprit corrompu d'Almaviva pervertit la société. Et je trouve ça intéressant, de représenter comment ce qui est caché, comme le désir d'Almaviva, peut nuire à la fois au fonctionnement de la justice et à l'intimité du couple Suzanne-Figaro.

Ce n'est pas tout ! La comtesse représente aussi quelque chose d'intéressant.

-Boah, une femme délaissée, désespérée, qui va pleurer sans fin un mari qui ne l'aime plus… classique, quoi…

-Oui… tout en languissant pour un mineur. Classique ?

-Hein ?

-Bon, parler de mineur est anachronique de ma part, le problème ne se posait sans doute pas en ces termes au XVIIIe siècle. Bref, la comtesse n'est pas qu'une femme abandonnée et elle aussi porte sa part de complexité.

Elle aide volontiers Suzanne, parvient à donner le change dans des situations délicates, souhaite reconquérir son époux tout en désirant quelqu'un d'autre. As-tu déjà vu cela en littérature ? Complexité psychologique, te dis-je ! Sans compter que Chérubin est représenté comme un personnage mal défini, à la fois enfant pour l'âge, adulte pour le désir qui le consume, masculin de genre, féminin d'apparence. Tout ça dans une pièce de théâtre classique… et encore, ce n'est pas fini.

-Quoi d'autre encore ?

-Il reste la voix de Marcelline, amère, plaintive. Séduite et abandonnée, elle a perdu son enfant, enlevé par des brigands. Seule, sans appui, elle cherche à épouser Figaro. Son amertume me laisse penser à une vengeance sur le genre masculin. Elle est victime d'un homme et d'une société, elle utilisera une institution pour imposer à son tour sa volonté à un homme.

-C'est quand même bien déprimant, tout ça ! Entre le comte qui veut contraindre Suzanne, faire du mal à Figaro, la comtesse seule et triste, Marcelline lâchée par son amant… personne ne dispose librement de soi-même !

-Oui, tout ceci prête plus à pleurer qu'à rire, et pourtant, non, ce n'est pas une pièce déprimante parce qu'intervient le génie du langage. Suzanne et Figaro se répondent parfaitement, chacun aussi dégourdi, joyeux et spirituel que l'autre. Les dialogues sont vifs et enjoués (l'abondance de notes de vocabulaire m'a cependant bien aidée, nombre de tournures ont vieilli, il faut bien l'admettre).

Je crois que la réussite de cette pièce tient en ceci : elle rit de ce qui fait pleurer, moque les puissants ainsi que les incompétents et montre de la compassion aux victimes que sont Marcelline et Figaro avec leurs vibrants plaidoyers.

-Pourquoi tu enlèves une étoile, si c'est si génial que ça ?

-Parce que je n'aime pas beaucoup les chansons… elles ont probablement leur intérêt sur scène, mais elles m'ont laissée froide sur le papier. »
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