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Critique de cprevost


Le lecteur aura sans doute beaucoup de plaisir à parcourir ce court essai … en tout cas il apprendra-là, n'en doutons pas, le pourquoi et le comment d'un possible bonheur à feuilleter ces quelques pages. le plaisir du texte pourtant quand il est dit est toujours celui d'un autre. Il faudra donc ici, à son aulne, convertir, élargir, contracter parfois cette matière fort alambiquée et pas mal cérébrale de Roland Barthes ; il faudra aussi, probablement, à sa mesure, défaire un peu de son ordre (tout alphabétique) – la table en fin d'ouvrage sera pour cela fort pratique. Mais foin des généralités, quelques réjouissantes idées maintenant accrochées aux pages de l'essai et, c'est à craindre, pas mal élaguées d'un certain engagement (à la Philippe Sollers), d'une psychanalyse et d'une linguistique (à la Julia Kristeva).


Le lecteur tout à son plaisir se rit d'abord de la contradiction logique qui peut être opposée à son contentement, nous dit Roland Barthes. le plaisir du texte ainsi peut très bien pour lui prendre la forme d'une dérive, d'une stupidité. « le plaisir du texte, ajoute-t-il, c'est le moment où mon corps va suivre ses propres idées – car mon corps n'a pas les mêmes idées que moi. » le lecteur tout à son plaisir ne lit d'ailleurs pas tout, pas tout intensément quand s'intercalent dans les récits les plus classiques ce qui est utile à l'énigme, au destin et ce qui ne l'est pas. C'est alors pour ce lecteur pressé le vif plaisir de l'éraflure, de ce que l'on saute pour aller droit à l'histoire. Pourtant, contre l'opinion qui croit qu'il faut toujours aller vite pour ne pas s'ennuyer, l'essayiste oppose à la suite une autre lecture de plaisir possible, une lecture qui ne passe rien, qui pèse, soupèse et colle au texte. Dès lors, ce n'est plus l'extension, l'effeuillement des vérités qui captive cette lecture mais bien le feuilleté de la signifiance. Lectures contradictoires donc pour Roland Barthes, qu'on en juge. Il lit lentement un récit classique et le livre lui tombe des mains ; à contrario, il parcourt rapidement un texte moderne et il est pour lui irrémédiablement opaque, ennuyeux, perdu. Les plaisirs de la phrase, du texte sont éminemment culturels, dicibles, ils peuvent se définir par une pratique du confort radicalement étrangère au texte moderne. Chez Roland Barthes une lecture semble le disputer à une autre. Celle confortable des récits les plus classiques, le contente, l'emplit et génère chez lui un plaisir qui vient de sa culture qu'elle conforte ; celle des textes les plus modernes, au contraire le déconforte, le déstabilise jusque parfois l'ennui mais fait naitre en lui, un véritable ébranlement, une perte, une jouissance provoquée par la remise en cause de son moi et de sa culture. Dans cet essais, Roland Barthes passe donc sans cesse d'une rive à l'autre, il franchit et refranchit le cours impétueux de la modernité, il s'arrache le plus souvent à la quiétude de la berge du classicisme ; le dicible plaisir lui apparait rarement comme extensif à la jouissance, l'indicible jouissance au contraire lui semble le plus souvent irrémédiable cassure, intranquille affirmation et scandale. Loin de pouvoir s'apaiser en menant de front le goût des oeuvres passées et le soutien des oeuvres modernes, dans l'oeil de Jacques Lacan, il s'aperçoit en sujet clivé, parlant et s'interdisant de parler, jouissant contradictoirement de la consistance et de la chute de son moi. le lecteur de Roland Barthes, dans l'oeil de Sigmund Freud cette fois, s'aperçoit encore en sujet clivé, en sujet pervers qui prend plaisir à une histoire dont il connait la fin, il sait et ne sait pas et il fait comme s'il ne savait pas. Hors des langages, de leur régionalité, de la rivalité qui règlent leur voisinage, hors aussi de leurs systèmes mi-scientifiques, mi-éthiques qui constatent, expliquent, condamnent, vomissent et récupèrent, le texte peut également offrir des plaisirs au lecteur : une indéniable tranquillité loin de tout agonisme, surtout un ailleurs. le hors langage permet ainsi, nous dit l'essayiste, d'échapper à la contagion du jugement et à la métonymie du contentement. Pour autant, le plaisir que Roland Barthes éprouve peut aussi naitre d'une lecture légère, absente, presque étourdie, d'une lecture qui parvient à se faire entendre indirectement, mêlée d'autres choses – bruits, mouvements, luminosités, présence aimée. Il peut également savourer en passant quelques phrases parce qu'elles font advenir chez lui, souvenir circulaire, d'autres pages. Il peut aussi se gorger de menus détails, prendre place dans la scène minuscule et éprouver du plaisir à la représentation de la vie quotidienne. Cependant, tout ce brouillon plaisir si longuement détaillé, comme peut en témoigner le plus commun des lecteurs, est en dernière instance contingent, il dépend, nous dit Roland Barthes, de notre humeur, de nos habitudes, de nos envies, des circonstances, etc.


Le plaisir de lire un texte est concomitant à celui de l'écrire et de le destiner. Il n'y a pas derrière le texte un écrivain actif et devant lui un lecteur passif. le texte choisit son lecteur par toutes sortes de dispositions (vocabulaire, références, lisibilité, etc.) manifestant ainsi la présence d'un auteur, la présence anonyme, pas civile, pas passionnelle, pas biographique, pas celle d'un écrivain commandant derrière le texte. Dans le texte, le lecteur à besoin de la figure de l'auteur qui n'est ni sa représentation, ni sa projection et réciproquement l'auteur a besoin de celle du lecteur, sauf à babiller. C'est pourquoi celui généré par un besoin d'écriture (babil), sans plaisir, pour un lecteur indifférencié, ennuie Roland Barthes. Il faut nous dit-il désirer le lecteur en écrivant pour générer ce sentiment, il faut excéder la demande, dépasser l'utile, forcer la mainmise des adjectifs. le plaisir à partie liée avec un excès du texte chez l'écrivain, avec ce qui dépasse toute fonction (sociale) et tout fonctionnement (structural). le plaisir, nous dit Roland Barthes, est de toutes parts faussement considéré comme une chose simple, dont il conviendrait, c'est selon, de revendiquer ou de mépriser la facilité. A droite le plaisir est postulé contre l'intellectualité, à gauche il est incriminé d'hédonisme, c'est encore là l'indécrottable mythe du coeur contre la tête. Pour l'essayiste, le plaisir est évidemment ailleurs, atopique, étranger à une quelconque logique de l'entendement ou de la sensation, il est une dérive scandaleuse. A droite l'investissement de l'écrivain dans le marché des oeuvres est également postulé, à gauche la modernité pour déborder le dit marché est convoquée. Les deux parties en litige ont pourtant chacune leur part : ici un texte sublime, désintéressé, là un objet mercantile, dont la valeur est … la gratuité, dont l'utilité est ... l'inutilité.


La duplicité du langage, la rupture, l'intermittence (dans l'histoire, le style, le vocabulaire, la composition, etc.), la permanence donc de deux bords et pas la destruction de l'un ou l'autre (culture et amoralité, construction du récit et déconstruction de la narration, dévoilement et dissimulation, etc.), sont générateurs de plaisir chez le lecteur. Sans déchirure, pas de bords mais un dévoilement progressif avec l'espoir de connaitre la fin de l'histoire. le suspens narratif, pour Roland Barthes, génère un plaisir de l'esprit mais nullement des sens. de même que la duplicité, le retournement, le noircissement, le renversement d'une histoire racontée platement, pure production, développe superbement chez lui le plaisir du texte. le texte qui est certes du langage, nous dit Roland Barthes, se doit pourtant d'être hors de son emprise, littéralement extériorisé pour donner du plaisir. Il est pour se faire exténuation du métalangage (science, cause, institution), des structures, de la syntaxe, de la catégorie discursive, du genre, de l'idéologie, des contraires – le texte en présence de son ombre. le texte de plaisir n'est pas pour lui un parler social, un sociolecte auquel l'écrit s'identifierait, le système est en lui débordé. Tout langage répété est pour l'essayiste immédiatement compromis, seul le nouveau absolu peut faire advenir la jouissance.


Cet essai sur le plaisir souffre sans doute de quelque particularisme. Il ne peut cependant, parce qu'il se laisse dire qu'à travers l'indirect d'une revendication, d'une expérience, d'une culture, d'un temps particulier de l'auteur, être autre chose que la brillante proposition de Roland Barthes lui-même. Contingent, éphémère, ce plaisir ne peut donc dépendre, pour lui comme pour nous anonymes lecteurs, que de son humeur, de ses habitudes, de ses envies, etc. Une certaine vulgate certes du parler psychanalytique pour qui tout plaisir, toute jouissance est sexuelle, un vocable certes mi-scientifique, mi-éthique de l'essayiste qui constate, retient, explique sans cesse (le plaisir /jouissance du texte, le /les plaisirs, la dénégation et neutralisation du plaisir, la figuration du désir, l'apparition du corps érotique, etc.), pourront peut-être paraitre alourdir exagérément le propos. Il n'en sera pourtant rien si, lecteur au second degré, nous savons déplacer notre position pour n'être pas solidaire mais curieux du propos.
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