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Critiques de Violette Leduc (138)
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Ravages

Amie de Simone de Beauvoir et auteure de plusieurs romans, Violette Leduc avait été oubliée. Je me souviens l’avoir découverte avec « La bâtarde » déniché chez un bouquiniste. (Que soient loués ici tous ceux qui offrent une seconde vie aux livres).

Ses romans d’inspiration autobiographiques ont subi la censure, c’est le cas de Ravages où elle raconte son avortement qui a failli lui couter la vie. Il faut se replacer à l’époque de sa parution, en 1955.

L’homosexualité était alors taboue et le récit du couple amoureux que forment Thérèse la narratrice et Cécile, héroïnes de fiction, évoque la liaison que Violette a eu avec Denise.

Thérèse est partagée entre deux amours, celui qu’elle voue à Cécile l’institutrice qui partage sa vie et celui qui nait et grandit entre elle et Marc, jeune homme romantique et aventurier à la petite semaine. Il est instable mais obstiné et elle tombera sous le charme.

Qui aimer de Cécile ou de Marc ? Thérèse est partagée, Thérèse ne sait plus, elle souffre, elle est malade.

Cette franchise de la part d’une femme fait scandale à l’époque, on n’est pas habitué à cette liberté de parole concernant les amours saphiques.



« Je m’abattis sur Cécile, je couvris son visage de baisers. J’espérais que j’obtiendrais un duel de baisers passionnés.

Tu pèses, dit Cécile.

L’hiver dans ma tête remplaça les fleurs, le gong, les carillons. Je l’embrassais, je l’embrassais »



Ce qui semble aller de soi aujourd’hui, une femme libre et bisexuelle, une femme qui parle de sa bâtardise et qui se fait avorter car elle ne veut pas d’enfant, dans les années cinquante, c’était choquant.

Violette Leduc raconte la fin d’un amour, la jalousie, la souffrance et la séparation avec une franchise émouvante.

« Je prenais son écharpe de laine qu’il avait laissée dans l’armoire, je l’enroulais autour de mon cou : un pan de misère tiède tombait sous la veste du pyjama, entre mes seins. Alors me balayait jusqu’aux délices amères la chevelure, le transparent argent de l’absent. »



L’écriture est fluide, élégante. Tout est d’un réalisme troublant, dialogues vivants et spontanés, scènes cruelles ou sensuelles.

Ce qui surprend, c’est cette modernité à décrire la souffrance, la peur, la jalousie et ce déchirement entre deux amours opposés.

L’histoire est sombre, elle pourrait être déprimante. Mais non, l’héroïne rebondit, toujours, se nourrit de ses peurs, de ses atermoiements.

J’ai été happée par la vivacité du récit, cette prose maitrisée aux allures fougueuses. L’histoire nous emporte, histoire de femmes, histoire d’amour aux accents de vérité. C’est fort, et c’est toujours d’actualité.







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Thérèse et Isabelle

Lire Thérèse et Isabelle en 2022 est une expérience particulière : penser que ce livre fit scandale il y a moins de soixante ans fait réfléchir au chemin parcouru depuis dans notre société.

Thérèse et Isabelle parut en 1966 dans une version censurée qui causa déjà beaucoup de remous, et il fallut attendre l'an 2000 pour que le texte intégral soit publié.



Mais qu'a-t-il donc de si choquant ce livre ?

Rien.

Du moins à mon avis de lectrice d'aujourd'hui. Mais il y a seulement quelques décennies...



Thérèse et Isabelle raconte la découverte de l'amour et du plaisir physique par deux jeunes collégiennes.

Aucune vulgarité, aucun mauvais goût dans ces lignes parfois très crues mais toujours sensibles et poétiques. Violette Leduc a souhaité "rendre le plus minutieusement possible les sensations éprouvées dans l'amour physique" et elle y est très bien parvenu.

Écrire sur la sexualité a été courageux de la part de l'auteur, et plus encore parler d'homosexualité. D'autant plus que les protagonistes sont deux jeunes adolescentes.

Violette Leduc n'a pas du tout écrit ce texte dans l'intention de choquer, elle l'a fait en toute franchise : "Il y a là sans doute quelque chose que toute femme peut comprendre. Je ne cherche pas le scandale mais seulement à décrire avec précision ce qu'une femme éprouve alors. J'espère que cela ne semblera pas plus scandaleux que les réflexions de Madame Bloom à la fin de l' Ulysse de Joyce. Toute analyse psychologique sincère mérite, je pense, d'être entendue."

Elle n'a pas vraiment été entendue au moment de la parution mais peut, heureusement, l'être maintenant.



Un texte intense, vibrant.

Beau, tout simplement.
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La Bâtarde

La pointe-sèche d'un style exigeant, original, incisif. Une écriture qui veut nommer, tout dire. 'Je voulais tout dire et j'ai tout dit.' VL bourlingue dans d'autres mondes et déploie pour nous une grande valse en éventail. Evasions dans le merveilleux, envolées lyriques éblouissantes. Tonifiantes. Inattendues. Le réel s'épanche en confidences. 'Je rêve et j'interprète', nous dit-elle. Trésors à prendre. A qui sait entendre. Elle touche du doigt un monde qui a besoin d'elle pour se montrer. Elle boit et nous donne à boire. Nous surprend toujours. Connaissance par les gouffres. Violette a une curieuse manière de se livrer. Peu importe, d'ailleurs, ce qu'elle raconte, tout est à prendre. C'est la manière. Un style incomparable. Souci de l'exactitude. Elle s'écorche, s'abîme, pour le mot juste, introuvable. Jamais contente. La fièvre d'une chercheuse d'or. Son écriture pointue, musquée, est un soleil qui ne trahit pas.

Ses combats de boxe. Une atlète de la souffrance, elle l'était, avec Michaux qui écrivait: "quand je ne souffre pas, me trouvant entre deux périodes de souffrance, je vis comme si je ne vivais pas." Mais sa souffrance n'est pas une fin en soi, c'est un procédé, un échauffement, un renfort, une ascèse: 'une terrasse sur une autre chose encore", comme disait Pessoa. 'Un chagrin qui ne sert à rien est grotesque', s'expliquait-elle dans L'asphyxie.

On éprouve de la gratitude, de l'affection, pour cette oeuvre qu'on boit à longs traits. On est à genoux devant Violette et on a pas envie de se relever.

Vraiment, "la nécessité d'apprendre est plus grave, qu'une simple crise de curiosité."
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La Femme au petit renard

Ce livre ne m'est pas tombé des mains....il arrache à l'ombre tant de richesses'...comme écrivait Simone de Beauvoir dans la préface à La Bâtarde. Un récit envoûtant, plein de tendresse et de pudeur. Très personnel et féminin. La femme au petit renard fait penser à Giulietta Masina... elle enveloppe du regard les balançoires, court vers l' escalier du métro, sort une clé de sa poche, désoeuvrée déclame des programmes de bonheurs jamais atteints, se souvient, rêve, pense à ses morts, a envie de mourir, se rétablit, se raccroche à son sac à main. Un petit pain au chocolat la nargue. Le fracas du métro aérien. Le monde est lourd à porter, elle le porte. Elle va et elle vient, parle aux objets, qui l'interpellent: meubles, châle, buffet, chapeau cabossé, paillasson. Les passerelles, les marchepieds, une péniche, un trottoir, une bâche, la guérite de la vendeuse de billets de loterie, un demi morceau de sucre au bout d'une ficelle. Le flic-flac de ses chaussures trop grandes. La litanie des publicités. Un marronier la meurtrit. L'émoi des lumières reflétées dans la Seine. Ses va-et-vient dans Paris à pied. Le quai de la station Strasbourg-Saint-Denis. La concierge. Le marchand des quatre-saisons. La cour du Louvre. M.Dumont-Boigny. Le grondement d'un train lancé. Son petit renard aux yeux ronds de boutons de bottines nous fend le coeur, 'j'ai faim mais je peux attendre, lui dit-elle'. De quoi avons-nous faim? la vie, oh la vie, ce n'est pas grand-chose, mais c'est énorme, et fabuleux, dans la langue inspirée, transpirée et inspirante, étincelante de Violette Leduc: une coulée de poésie. On en sort ravigoté. On lui doit encore ça.

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L'asphyxie

Coup de cœur pour Violette Leduc, romancière trop peu connue selon moi. Je n’avais jamais entendu parler d’elle avant le film « Violette » qui retrace son existence, avec la très belle Emmanuelle Devos (dont je suis fan par ailleurs). En voyant ce film d’ailleurs on peut deviner ce qui a fait obstacle à la reconnaissance de l’auteure par le milieu littéraire. Et suite à ce film, je m’étais dit qu’il fallait un jour que je la lise.



Alors oui ce n’est pas une lecture facile, d’abord par le sujet, puisqu’elle y parle de son enfance de bâtarde, de fille non désirée, sous le regard bleu et dur d’une mère narcissique, manipulatrice, égoïste, instable. Une enfance où elle a peu de place pour grandir, où elle étouffe littéralement, en pleine asphyxie. Heureusement la fillette trouvera réconfort, tendresse et complicité auprès de sa grand-mère (« Elle était mon sauveur et ma compagne. »), avant de trouver la voie vers la libération.



Néanmoins le roman est assez difficile à appréhender : il faut bien lire cinquante pages pour comprendre comment le récit est articulé, entre vie quotidienne et rêves de la fillette qui constituent un formidable exutoire. Il faut accepter de ne pas tout comprendre, lâcher prise et se laisser porter par l’imagination de l’enfant. Et peut-être se rappeler que nous aussi avons été cet enfant plein d’imagination, qui s’inventait des histoires pour tromper l’ennui des campagnes ou de la province.



Une fois cette difficulté surmontée, on appréciera le style très visuel, l’écriture légèrement désuète, qui n’hésite pas à employer le passé simple, à user de prépositions inhabituelles avec certains verbes ou de métaphores très originales. Ainsi « l’odeur de la cuisine devenait exigeante » signifiera que le poulet crame dans le four …



Certains paragraphes sont aussi très suggestifs (non ce n’est pas le printemps qui me joue des tours et rallume un désir dans mes vieilles veines sclérosées …), comme l’épisode de la mousse débordante, ou encore la course au papillon et la découverte des premiers émois amoureux et d’une homosexualité possible, qui deviendra peut-être bien une autre source d’asphyxie pour la jeune Violette …

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La Bâtarde

La Bâtarde est un roman dérangeant. Autobiographique, il relate sans concession l'enfance, l'adolescence et la vie d'adulte de Violette Leduc, fille puis femme au physique ingrat, au nez prédominant. Le roman tourne autour du thème de la honte, de la mesquinerie, la jalousie, mais parle également de souffrance, d'écriture, d'amitié et d'amour.

On y voit naître l'écrivain par le regard de l'enfant qu'elle a été, ce regard qu'elle pose autour d'elle et dont elle se souviendra des années plus tard.

Autour d'elle se profile le Paris d'avant-guerre puis celui de la gueere, des délations et de la résistance. Violette, jeune femme, se lie d'amitié avec Maurice Sachs, pas toujours irréprochable dans ses opinions et agissements, mais aussi avec le couple Beauvoir-Sartre. Elle travaille, écrit, découvre le beau monde.

La Bâtarde est un roman captivant, mais le regard franc, pour ne pas dire impitoyable qu'elle porte sur elle-même laisse au lecteur un sentiment de malaise.

Je n'ai pas vu le film Violette, adaptation de la vie de Violette Leduc, et je ne sais pas si cette impression y est également exacerbée.
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Ravages

C'est en Perse que j'ai tenté de puiser un peu de raison à ce titre, à ce récit .

«L' amour qui ne ravage pas n'est pas l'amour » nous dit le poète, mathématicien, et grand philosophe Omar Khayyâm.

Soit...

Mais alors, quel est donc le nom, le visage de cet amour qui a commis de tels ravages sur un être? Le premier. Le premier venu. Celui d'une mère omniprésente, abusive. Celui d'un père manquant, absent.



Dans le règne animal, l'amour parental est peut être une règle dictée par le devoir de l'espèce, mais en ce qui concerne l'humain il n'est pas une donnée constante. L'amour a ses codes, ses lois, son verbe. Aimer ce n'est pas s'accoupler, même si cela peut parfois, très souvent, en être la preuve.



Comment lorsque l'on a pas de repère, lorsqu'on a pas le langage, lorsqu'on ne connait pas les gestes, comment aimer, comment être aimé, comment savoir si on aime et si on est aimé dans le sphère que l'on doit partager avec les autres ?

Aimer pour ce que l'on donne, ce que l'on accepte de recevoir, aimer pour le plaisir d'aimer, aimer pour le plaisir de l'autre, pour son unique plaisir ?



Comment fait le petit d'homme, ce petit « bonhomme » qui n'a pas reçu l'apprentissage de l'amour ? Lorsque que la dissociation ne peut pas se réaliser du seul fait qu'il n'y a jamais eu l'acte premier de fusion ?



Dissocier ce qui n'a pas été lié, mal tissé, ou extrêmement enchevêtré paraît presque impossible. Pourtant il va bien falloir parvenir par n'importe quel moyen, arriver à se dissocier de n'importe quels bras, ne n'importe quel corps.

Quels ravages tout cela peut il provoquer sur une vie ?

L'enfant qui n'a pas reçu cette éducation à l'autre devra tenter d'apprendre seul et parfois à ses risques et périls comment aimer peut être vécu.

Aimer, il sait, il le désire, mais comment le rendre audible, lisible, palpable, compréhensible ? Comment sortir de cet autisme provoqué par le rejet ?

C'est réalisable. Après tout, l'acte d'amour est l'acte le plus personnel qui soit, un acte naturellement humain, du moins le plus souvent.

Une signature propre à chacun. Faut il encore que la main ne soit retenue par rien.



On retrouve la frappe de Leduc, l'avalanche de ses mots, de ses couleurs, des lumières, des sons, des odeurs, des étoffes, l'autel de son enfer.



L'intensité de ce qui la saisit et la traverse est le reflet de ce mal qui est enfoui dans son ventre et de cette peur panique de l'abandon provoquée par l'effroi d'une séparation que l'on se dit toujours inévitable.

Car chez Leduc, comme chez beaucoup de ces enfants en mal d'amour, le syndrome de l'abandon est constant.

On s'accroche, avec ses crocs, ses griffes à en atteindre le point inévitable de la rupture, le point critique, le point de fusion.

Ou alors on quitte, ou bien on est incapable de construire une relation sans la penser vouée d'avance à l'échec, ou, on choisit des amours impossibles. Le schéma est toujours le même : souffrir plutôt que d'en crever.

Berthe, la femme qui subit l'enfant – Violette la femme qui désire sa mère.

Au péril de sa vie, mais à cette époque aurait elle eu d'autre choix.., elle choisit de ne pas répondre à la promesse d'enfant que la vie lui adressait. Elle choisit de tenir la promesse qu'elle a faite à sa mère, une profession de foi : elle ne sera jamais mère.

C'est là le premier acte de dissociation.

Risquer d'en mourir pour ne pas en souffrir...Ravages.



La dissociation elle la réalisera également par l'écriture. Sa plume est une main qu'elle saisit et qui ne la lâchera pas.



«  J'étais seule, enfin seule». Le cordon se rompt, par enfant interposé.

Voilà le visage de cet amour ravageur, dé-constructeur.



C'est puissant, fulgurant, extrême, tragique, passionnel, charnel.

Il y a très peu de pages dans la littérature qui aient ce parfum là, cette résonance là, cette poésie, cette vérité. L'amour mis à mal, mis à nu, mis en brûlure,en sang, en cendres, dans la lumière de la nuit. C'est une écriture d'être et de matières. Une véritable signature. Une tragédie.



«Tu peux sonder la nuit qui nous entoure.

Tu peux foncer sur cette nuit... Tu n'en sortiras pas.

Adam et Ève, qu'il a dû être atroce, votre premier baiser,

puisque vous nous avez créés désespérés! » Omar Khayyâm.





Astrid Shriqui Garain

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La Bâtarde

Comment devient-on écrivain si on ne l’est pas dès sa naissance ? Dans ce livre de Violette LEDUC, c’est le cheminement d’une femme, d’une enfant qui grandit sans comprendre jusqu’à ses 37 ans. Née au début du siècle dernier, la Bâtarde, narre l’histoire personnelle de V. LEDUC, son enfance délicate, son physique jamais accepté, son attirance pour les deux sexes, son égocentrisme, sa mesquinerie, son spleen, ses doutes, ses rancoeurs, ses amours, ses passions, ses rendez-vous manqués…

Une vie de femme, chahutée, mais au destin tel, que toutes ses rencontres lui permettront de se transformer.

Une écriture rapide, assassine. Eviter la lourdeur, des phrases courtissimes. Violette LEDUC semble toujours vivre du mauvais côté de l’événement. Eternelle insatisfaite, elle paraît trouver et donner un sens à sa vie en s’enrichissant du marché noir dans les années d’occupation. Des femmes, des hommes, traversent son existence, elle les aime mal, trop, ou trop tard. Ils la laissent, face à elle-même, elle qui ne se supporte pas.

La Bâtarde est publiée dans l’édition l’Imaginaire, c’est normal tant à chaque page et souvent aux détours de nombreux délires, on sent le malaise psychologique, parfois psychiatrique.

De belles pages d’introspection sur une nature humaine qui cache son jeu, quand elle est trop laide à voir. Rien n’est enjolivé et pourtant tout ce qu’elle écrit est beau.

Violette écrit pour elle. C’est sa confession, l’autre importe peu et pourtant elle l’interpelle souvent, le lecteur.

C’est la force de ce livre, ne rien cacher, même ce qui relève de l’indicible, croyons-nous, comme si seul face à soi on peut enfin être honnête avec soi (voire) mais le faire pour l’autre comme le chemin d’une liberté qu’on trace, une façon de s’éterniser.

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Ravages

"Les glaçons dans le verre* font un bruit de chaînes dans la mer"

(*whisky)

Les images de Violette Leduc sont troublantes, morceaux de vérité grapillés dans le texte..

Avec une telle sensibilité, il semble que l'on puisse (absolument) TOUT écrire.

L'instable, le répugnant trouve sa résonnance (secrète) en nous et les moments d'inattention "surpris" par elle retrouvent l'intensité dont ils sont déchus (trop facilement) dans les descriptions habituelles, mises en route et manœuvres, écritures de paysage.

Ici, l'être sensible volette un peu partout ; se transporte en pensée d'un lien à l'autre, d'une tête à l'autre mais surtout ignore la psychologie humaine ; réveille des impressions comme nous le faisons sans le savoir.

Le surplomb diffus, une autorité qui se reconnaît elle-même, se cherche, errance problématique.
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Thérèse et Isabelle

Thérèse et Isabelle est un roman court, mais intense, sur la passion naissante entre deux adolescentes. Pensionnaires du même internat, elles ne peuvent vivre leur histoire que durant la nuit, sans un bruit, pour éviter de réveiller leurs camarades et leur surveillante. Si l’aube arrive toujours trop vite à leur goût, les journées traînent en longueur. Les deux jeunes filles ne peuvent que se frôler, s’échanger quelques regards mais ne peuvent rien laisser paraître aux yeux des autres.



L’écriture colle parfaitement avec l’histoire qu’elle raconte. Elle est fiévreuse, un peu décousue, parfois proche du délire. On ressent très bien la volonté de profiter pleinement des petits moments d’intimité si difficilement obtenus, et la crainte de les voir se terminer trop vite.



Le roman a été en partie censuré à sa sortie en 1966, et la version intégrale n’est parue qu’en 2000. J’ai pu comparer les deux versions, et la censure s’est visiblement faite à la Conan : on pose le livre sur une souche, on lui donne une quinzaine de coups de hache, et on assemble quelques morceaux au hasard. Les deux premiers chapitres, qui racontent la première nuit de Thérèse et Isabelle, sont tout à fait absents. Les passages du texte où l’amour est plus intellectualisé semble avoir eu la préférence du censeur. Pourtant, les scènes de sexe plus explicites sont tout de même conservées. Quel était le but ? Faire passer les sentiments avant la sexualité, alors que l’œuvre originale montre plutôt le contraire ? Laisser le passage de l’hôtel de passe pour souligner le côté glauque de telles amours ? J’aimerais bien en comprendre la logique ! Dans tous les cas, je vous conseille évidemment l’œuvre intégrale.
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Thérèse et Isabelle

En voilà une drôle d'histoire. Le texte date de 1955 et a été censuré, on ne le découvre dans sa version originale qu'en 2000.

Le thème déjà n'est pas fréquent et encore moins pour l'époque, la découverte de la sexualité de deux adolescentes. On y découvre tout une époque à travers le pensionnat.Comment réussir à se cacher de la surveillante pour se retrouver la nuit et vivre cet amour charnel. Les scènes sont très poétiques et transmettent toute la passion des deux adolescentes. Deux adolescentes dont le corps exulte. Leurs virginités n'aura pas fait long feu! ça m'a un peu fait penser par moment à Roméo et Juliette, je ne sais pas pourquoi.Surement à cause cet amour impossible, le fait qu'elles se cachent et que l'action se déroule sur un très court temps (3j).

Enfin bref, découverte de la sexualité, quand tu nous tiens!
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Thérèse et Isabelle

Quel style flamboyant et poétique ! Nul doute que voici un petit chef-d'oeuvre, et l'on comprend que le refus par les éditeurs de ce joyau, au milieu du siècle (le vingtième) ait provoqué chez son auteure une dépression due à la mise en doute de son talent, et de l'expression artistique de ce qu'elle considérait comme une vie de merde vécue par une femme très laide.



Bien sûr on peut se demander pourquoi l'art de Jean Genet évoquant l'homosexualité masculine était reconnu alors que celui de Violette Leduc a ébouriffé le monde de l'édition avec sa très belle évocation des amours saphiques.



C'est qu'une femme parlant aussi ouvertement de sa sexualité remettait en cause les fondements mêmes de la société, établie sur l'exubérante vitalité de la libido masculine et la frigide retenue de l'érotisme féminin.



Et ce pari éditorial là, nul ne pouvait l'assumer : il faut bien vendre, et aussi éviter les procès pour atteinte aux bonnes moeurs. C'est pourquoi Leduc a longtemps été considérée comme un écrivain pour écrivains, et non pour le grand public. Un succès d'estime très restreint.



Et au cas où on aurait envie de juger l'époque, admettons que les choses n'ont pas tellement changé. Surtout si vous êtes une femme quelconque, sans prétention à la création littéraire...



Une femme quelconque, certes Violette Leduc ne l'était pas, elle qui a su transformer sa vie en feu d'artifice de la phrase et des sensations.
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Trésors à prendre

Le style est fort. Strict et mirobolant à la fois. Surprenant. Elle époussette, secoue, retend. Enfile ses perles. Prodigue. C'est de la richesse pailletée. La réalité, elle la soulève d'une main. Une main écrivante. Elle abuse des métaphores. Elle peut. Taille dans sa chair, on avale. L'écriture l'aide à rétablir un équilibre, instable, toujours reconquis. Elle court après, remue ciel et terre à la poursuite du mot , et de la voix. Elle peut parfois être en proie à l'accablement le plus lourd, mais ce n'est pas lui qui aura le dernier mot. Elle cherche, ouvre la voie, crée son réel, l'engendre. La fraîcheur de son style primesautier. Une briseuse de cages. Car la beauté aussi est un carcan, une cage, un enfermement. Simone de Beauvoir en ce sens est restée encore empêtrée dans les bonnes manières, codes et conventions de son milieu social: à l'étroit. Violette, modestement, pousse plus loin. Beaucoup plus loin.

Par l'autofiction, elle tire au clair sa vie, l'interroge, l'assume, ne se laissant pas engloutir par le vécu. Comme Ulysse, elle revient: rentre chez elle. Mais seulement après s'être exposée, à toutes les émotions, à toutes les expériences. Son écriture est d'une intensité rare, ramassée, qui clignote d'émotion. Elle prend le parti des choses: des objets les plus indigents, les plus opaques, elle en fait son affaire. Un vieux poêle ronflant, une tache de salissure sur le mur, un gant déchiré. Partout elle cherche un point d'appui, un support, dans la réalité la plus ordinaire: une complicité, une confidence. Un souffle animiste parcourt son oeuvre, d'un bout à l'autre. Objets inanimés avez-vous une âme? Chez elle, c'est sans conteste. Tout vit. Il n'y a pas de césure, de cloisons entre sa subjectivité et l'objectivité du monde. Tout communique et se laisse contaminer, irriguer par l'émotion. Son contact avec le monde est réel, il est solide. Chaque objet a un poids. Elle s'explique avec les choses. Se frotte à elles: touche. Ne se contentant pas d'évoquer, de donner une atmosphère, de traquer le sens. Elle veut avoir prise. C'est une laborieuse. Une exigeante. Elle va chercher, et elle trouve. Sa littérature, ce n'est pas de la parlotte. C'est une règle de vie. Son surmenage et ses insomnies sont récompensés. Elle me réconforte. Il me faut son nom.
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Thérèse et Isabelle

Ce livre est pour moi simplement magnifique..

Violette Leduc a une plume très poétique et arrive a nous faire vivre a travers ses lignes la passion amoureuse qui dévore deux adolescentes..

qui découvrent leurs corps...

elles nous écrit les passages éprouvées de l'amour physique avec enchantement..

l'amour au féminin reste vraiment beau est pur

Je met 5 étoiles pour ce livre qui a été si longtemps censuré..et qu'avec bonheur j'ai tenu dans mes mains..

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Ravages

Il est des cas pour lesquels le destin ne semble avoir aucun sens, à moins de l’écrire, ainsi que s’y attèle Violette Leduc dans ce roman d’inspiration biographique.





« L'amour, c'est aussi de la pitié incrustée. » Pitié pour les poches déformées des vêtements de Marc, pour sa chevelure ingrate, pour son odeur de métro, pour ses bras et sa nuque de femme. Et pourtant, c’est un homme. De ce mot peut-être plus que de toute autre chose, Thérèse tombe progressivement amoureuse. « « Il y a un homme dans la maison », me dis-je avec satisfaction. » « Un homme entre dans une chambre : c’est l’oxygène au commencement du monde. »





Le véritable ressort de l’amour que Thérèse semble pouvoir éprouver pour cet homme qu’elle a accosté par hasard au cinéma tient tout autour de la signification de ce mot « homme » et dans la dissection affamée et désirante des traits du corps, des gestes, des attitudes. Thérèse se le répète sans cesse : voici un homme, voici la vie sous le joug de la fascination que génère le mot d’homme et sa réalité, qui n’en est pas à la hauteur, ce corps fluet qu’elle souhaite briser et devant lequel elle souhaite disparaître une fois qu’elle l’a fait devenir autre.





L’amour est raconté sans complaisance, sensible à l’extrême aux ambiances, témoignant du hasard aux ravages, à la reconquête de ce qui reste de vie pour soi seul.

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L'asphyxie

Premier Livre. Pas un roman. Un acte de survie.

C'est une écriture qui se met à germer dans une terre ravagée, piétinée.



Un miracle que ces mots là aient pu sortir et venir jusqu'à nous.

Un vrai miracle. A quoi sont dus les miracles?

A une grand mère, à un chausson aux pommes, à un flacon d'anisette, où à cette l'envie toute naturelle qui nous vient de vivre?



Il n'y a pas vraiment de chronologie, c'est vrai. Tout est juste. Parce qu'un enfant retient, retient beaucoup, regarde tout, écoute, et comprend.

Mais un enfant ne classe pas sur la ligne de temps, l'enfant accroche ses souvenirs à la ligne de son cœur.



L'asphyxie c'est beaucoup de visages, beaucoup de vies, beaucoup de souffles. Des bruits, des cris, des coups, des larmes, du venin, un étouffoir d'enfance, une blessure et puis c'est un parfum d'orange, une musique de rue, un tablier, un cornet de frites, une poupée brisée, de la corde d'espadrille, et toute cette nuit accrochée à une fenêtre.



Tout est là. L'écriture est là. Les images, ce rythme très particulier qui gifle et caresse les pages. Elle a tout semé dans ce premier livre. Sa semence. Un jais, son style.

Tout ce qu'elle ne cessera jamais d'écrire : ce mal d'aimer.



« il n’est pas bon d’être aimé, si jeune, si tôt. […] Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. » écrivait Romain Gary dans la Promesse de l'aube.

Mais une promesse, c'est déjà ça. Ce n'est pas un serment, juste un sentiment. Ça fait rêver, ça apaise, ça fait patienter, ça fait espérer.



« c'était une mère irréprochable», sans doute.

Que peut on reprocher à qui ne formule aucune promesse? Qui n'a aucune parole à donner ne désirera tenir aucune main.



Violette Leduc se donnait, et nous donnait, là une très belle promesse, une promesse qu'elle aura su tenir jusqu'au bout de son écrit.





Astrid Shriqui Garain
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La Folie en tête

Violette Leduc possède un style poétique et flamboyant, parfois à la limite du pédantisme, et le plus beau c'est qu'elle s'en rend compte et s'admoneste elle-même en toute modestie et transparence. On comprend pourquoi elle attira l'attention de Simone de Beauvoir : cette auteure de génie vint à point nommé pour briser un certain nombre de tabous et, fait rare, pratiquait une honnêteté de rayon laser envers soi-même, et indulgence envers autrui.



Cupide elle se dépeint, et folle, et laide, et lâche (raflée par la gendarmerie, n'a-t-elle pas dénoncé ses partenaires de marché noir ?)



Mais elle apparaît aussi vivante, aimante, pas rancunière, imprévisible, et sa plume est magique : parfois c'est trop. Trop ! Et quelle galerie de portraits : Maurice Sachs, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Albert Camus (froid froid froid, distant distant distant), Jean Genet (ombrageux), Louis Guilloux, Nathalie Sarraute (quel beau portrait de Nathalie Sarraute !), Colette Audry, Jean Cocteau...



1944 : Paris. Pas mal d'allers retours dans le temps.

Dans l'espace aussi : dangereux trafics au marché noir avec équipées de nuit et auto-stop, une nuit en prison avec les prostituées après s'être fait gauler (je ne trouve de mot mieux approprié), écriture dans une chambre de bonne étriquée puis, sans transition, attente interminable aux "Deux Magots", salons de Saint-Germain-des-Prés, quel voyage, quelle traversée...



C'est quand même bien des auteurs comme ça !



Au fait, "La folie en tête", été éditée en 1970 par Gallimard.
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La Femme au petit renard

Violette Leduc est réputée pour son style. Et je reconnais qu’il y a chez elle quelque chose de l’ordre de la poésie, quelque chose qui dit les choses sans toujours les nommer explicitement, quelque chose qui nous touche. Je dois ajouter cependant que, pour moi, ce qui fait la « bonne littérature » n’est pas seulement une question de forme mais aussi de contenu, de l’histoire que l’auteur veut partager avec nous, ses lecteurs. Et, en l’occurence, je ne trouve pas chez cette autrice l’incitatif à tourner les pages, à en savoir plus, comment ça va finir… Dans ce roman, précisément je me trouve à entrer dans la vie terne d’une femme démunie, que la pauvreté extrême et la faim rongent et dont le quotidien n’offre que le maigre espoir de survie jusqu’au lendemain. Elle a faim au sens premier du terme mais aussi faim de contact humain, d’affection. C’est bien narré certes mais ce misérabilisme, s’il m’a émue, ne peut selon moi faire l’objet à lui seul d’un bon roman. Heureusement, celui-ci est court, presqu’une nouvelle et, si j’ai mis plusieurs semaines à le lire, c’est que je l’abandonnais provisoirement, trahissais en somme son autrice pour un/e autre.
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La Bâtarde

De Violette Leduc, je n'avais jamais rien lu. Elle fut pourtant très à la mode dans les années 60-70 encensée par le tout-Paris littéraire. Je reconnais qu'elle a un style qui mérite le détour mais je me rends compte que les autobiographies, si elles ne sont pas travaillées à la manière d'un roman, me lassent. Il y a des longueurs; et puis, un manque de construction qui rendent la lecture fastidieuse. Bien sûr, il lui a fallu beaucoup de courage pour se raconter et le faire sans concessions: avouer ses manques et nous dévoiler ses vulnérabilités montrent finalement sa force de caractère et son appétit à vivre. Le jeu en valait sûrement la chandelle et son écriture a sans doute eu pour elle un effet réparateur. J'ai apprécié me replonger dans une époque que je n'ai pas connue (celle de l'occupation en particulier) mais j'ai eu bien du mal à éprouver de l'empathie pour le caractère névrotique de Violette Leduc et la qualité littéraire n'a pas, à mes yeux permis de faire de cet ouvrage le chef-d'oeuvre que Simone de Beauvoir proclamait.
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Ravages

"Ravages" sous la forme d'un roman d'inspiration autobiographique paru 1955 (les évènements peuvent être transposés ou modifiés mais leur signification nullement altérée) aborde de plein fouet le thème du sentiment amoureux, de sa naissance à son délitement en passant par la dépendance. Et aussi celui de l'avortement, conclusion très peu romantique de la romance amoureuse pour de nombreuses femmes, en des temps ignorants de contraception efficace.



Tout cela est vu à travers des yeux féminins, ce qui à l'époque était tout-à-fait novateur, voire absolument scandaleux pour une part majoritaire de l'opinion publique, à tel point que Simone de Beauvoir dut effectuer dans le texte des coupes franches pour le rendre acceptable par les éditeurs (Gallimard).



Ces coupes franches, on les regrette aujourd'hui. Alexandre Antolin les a étudiées dans sa thèse universitaire intitulée "Une censure éditoriale : ravages de Violette Leduc".



Mais elles n'en survivent pas moins dans les éditions actuelles sous forme de doubles pointillés dans le texte.



Cette parution en 1955, était absolument avant-gardiste. Rappelons que Dominique Aury publia "Histoire d'O" en 1954 sous pseudonyme, et que "Ravages"" parut l'année suivante sous le nom véritable de l'auteure, pari osé. Et pour mémoire encore, indiquons que "L'amant" de Marguerite Duras, ne fut édité qu'en 1984 sans aborder aussi crûment le désir féminin, mais dégagea également un parfum de scandale du fait de l'évocation d'amours interdites entre coloniaux et indigènes, et de l'ambiguïté ses sentiments des jeunes filles et des mères.



Kate Millett et d'innombrables autres écrivaines reconnurent leur dette envers Leduc, défricheuse d'un territoire jusque là tabou, quasiment de l'ordre de l'impensable, en tous cas de l'inexprimable. Anaïs Nin lui rendit par ailleurs hommage.



Il faut souligner, pour mieux faire le parallèle, que D. H. Lawrence édita "L'amant de lady Chatterley en 1928 et qu'Henry Miller écrivit "Le tropique du Cancer" en 1934, et "Sexus" en 1949.



L'attribution de prix Nobel de littérature à Annie Ernaux permet de mesurer le chemin parcouru depuis 1955. Mais comme l'a dit une des intervenantes sur le plateau de la Grande Librairie hier 19 octobre 2022 (Pénélope Bagieu, je pense, autrice de la BD "Les culottées" ) : l'attribution de ce prix récompense le courage de l'expression d'une parole jusque là minoritaire au point d'être effacée, mais signe en même temps l'échec politique de notre contrat social démocratique, en montrant à l'évidence que la libération de la parole féminine ne va pas de soi et fait encore débat aujourd'hui.



Qui détient un accès privilégié au verbe exerce un pouvoir systémique (et vice-versa), d'où la nécessité d'un rééquilibrage qui porterait sur l'ensemble des interactions dans le corps social, et non sur la seule sexualité.



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