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Citation de hcdahlem


(Les premières pages du livre)
Avertissement
Les personnages, comme les situations, qui animent et traversent ce livre ne sont évidemment qu’un produit de l’imagination débordante de l’auteur. Toutes ressemblances avec des éléments de la vraie vie ne sauraient être que le fruit d’une époustouflante coïncidence. Qu’on se le dise !

Préambule
J’ai commencé à écrire ce livre à l’automne 2019. J’y pensais depuis un moment. Le lent déclin de l’été, le doux rougeoiement des feuillages, annonçant l’hiver, me semblait un déclencheur propice à cette salutaire réflexion sur ma propre finitude. Je n’avais pas anticipé que, quelques mois plus tard, nous basculerions dans une nouvelle séquence des hostilités, rendant à la fois mon projet un peu caduc – qui pouvait se soucier du sort d’un pauvre vieux, d’autant plus qu’il s’agissait de moi, alors que le monde était frappé d’une terrible pandémie ? –, mais paradoxalement lui donnant aussi de nouvelles opportunités. En effet, comme j’ai mis plus de temps à l’écrire, je suis devenu encore plus vieux, et le monde s’étant révélé encore plus hostile – une guerre est même survenue – il a été encore plus délicat de survivre. En toute logique, si on se plaçait d’un point de vue purement scénaristique, cela n’a pu qu’en booster les enjeux, et donc, je l’espère, l’implacable intensité littéraire.

SAISON 1
VIEILLIR !
Je me rappelle très bien comment j’avais vendu ce livre à mon éditrice. En lui énonçant le titre. Lorsque vous vendiez un projet – car aujourd’hui il fallait vendre les projets, c’était une condition sine qua non pour qu’ils existent, les intégrer sitôt leur conception dans le flux de l’économie, en les plaçant sur une gondole virtuelle où ils pourraient peut-être avoir une chance de voguer, vaillants et conquérants, sur les flots tumultueux de ce qui était devenu le seul étalon viable : leur valeur marchande potentielle –, lorsque vous en étiez à ce moment décisif, celui d’un coït possible (ou d’un pschit), l’on distinguait dans la seconde si le poisson mordait ou pas. Si une lueur d’intérêt traversait fugacement les prunelles de votre interlocuteur. Pour un livre, un film, un scénario, c’était pareil. Les gens étaient submergés – en tout cas ceux de l’écosystème à qui j’avais la possibilité de m’adresser –, constamment sollicités. Par des auteurs, des scénaristes, des réalisateurs. Alors qu’eux-mêmes couraient après des financements, devaient justifier des bilans, dans un monde où rien n’était tout à fait certain, à commencer par leur propre place dans la sarabande qui animait le bazar – le game selon la terminologie plutôt juste du moment. Ce n’était donc pas chose facile que de « vendre des projets », en tout cas des « projets persos ». Cela demandait souvent astuce et pugnacité. Il était rare que, toc, du premier coup, on vous dise banco, tope là ! Mais c’est ce qu’il s’était passé. Je n’avais même pas fini ma phrase, vieux et monde hostile et survivre, qui avait résonné dans la salle du fond du Select – celle où mon éditrice avait l’habitude de me donner rendez-vous –, que c’était dans la boîte. Les vieux étaient la nouvelle donne, que personne n’avait tout à fait bien prévue. On n’était plus jeune. On était vieux. Rien d’anormal à cela, c’était dans l’ordre des choses. Oui, sauf que là, nous étions face à un mouvement collectif. Car « on », c’était tout le monde. Nous étions passés, nous les Occidentaux, d’un monde de jeunes à un monde de vieux. Une femme de plus de dix-huit ans sur deux en avait plus de cinquante. Et ce n’était que le début. On prévoyait un pic dans les années à venir. Un truc monstrueux. La citadelle occidentale transformée en maison de retraite. Les vieux étaient une déferlante. C’était épouvantable. Mais économiquement pas dénué d’intérêt. En tout cas dans le secteur de l’édition. Pourquoi ? Parce que les vieux venaient de l’Ancien Monde. Celui où cela paraissait normal de payer pour un bien culturel. Ce qui n’était pas le cas des jeunes. De plus, les vieux lisaient. Ce qui n’était pas non plus le cas des jeunes. Et les vieux, laborieux, retraités, économes, avaient les moyens d’acheter des livres. Ce qui, là encore, n’était pas le cas des jeunes. Qui de toute façon ne voyaient pas du tout, même quand on leur expliquait, et qu’on leur donnait de l’argent pour cela, pour quelle raison il aurait fallu payer pour un bien qu’en deux clics on pouvait obtenir gratis via Internet. Donc un journal intime, sur un ton drôle, « Si, vraiment poilant je te jure, ah, ah, hyper fun, enfin avec mon humour, tu vois ! », cochait pas mal de cases.
– Et le côté « monde hostile » et « survie », tu le traites comment ?
– Drôle, si, drôle bien sûr, mais aussi âpre. Je veux dire, journal intime de moi dans jungle urbaine, survival écrivain vieillissant.
– Avec une résonance sociale ?
– Peut-être pas à ce point. Mais si, oui, résonance sociale. Enfin, je veux dire, résonance sociale dans laquelle tout le monde se reconnaît. Vieillir, c’est universel.

Il n’y avait pas tromperie sur la marchandise. Je savais exactement comment le livre allait démarrer. J’avais déjà commencé à l’écrire. C’était un sujet grave. Le genre de sujet qui vous prenait aux tripes et qui nécessitait un livre. Un livre urgent. Un livre important. Un livre qui était comme un torrent de lave. Un livre que je DEVAIS écrire. C’était un cri. Voilà. Le cri d’un pauvre vieux. Ça démarrait de cette façon. Sans fioritures. Sans rien cacher de la sinistre vérité. De la hideuse vérité.
Un jour j’étais devenu vieux… Ce n’était pas arrivé soudainement, comme si j’étais passé d’un temps à un autre temps. D’un état à un autre état. Non. Je ne m’étais pas éveillé un matin, hurlant de saisissement, me disant : « Purée, je suis vieux, quelle horreur ! » Cela s’était passé comme cela se passe. J’avais d’abord réalisé que j’allais vieillir. Puis que j’étais en train de vieillir. Puis, comme cela perdurait, que selon toute probabilité, j’allais devenir vieux pour de bon, j’avais fini par me dire qu’il allait être nécessaire de me faire à cette idée. Ne serait-ce que parce qu’elle paraissait inéluctable. Jeune, tu avais été. Vieux, tu deviendras.
Ce n’était pas enthousiasmant, alors que cela aurait pu l’être. Tranquille et sage vieillard, aux cheveux blancs, plein de bonté, de douceur et de philosophie – mais ça, c’était de la flûte, j’y croyais de moins en moins. Juste un bullshit de plus.
Je n’avais jamais pensé vieillir. Je n’avais pas envisagé cette éventualité. Elle ne me correspondait pas. Je n’étais pas fait pour ça. J’avais une conception de l’être basique, pour lequel il existait deux statuts viables. Vivre. Ou être mort. Les autres états, comme malade, et maintenant vieux, ne me semblaient pas concevables. Enfant m’avait gêné. Le manque d’indépendance, d’autonomie. Devoir supporter la sidérante crétinerie de la majorité des adultes. Tout cela me laissait le souvenir déplaisant d’un carcan sans grand intérêt. Si l’on avait la chance d’être en vie, n’était-ce pas pour expérimenter, réfléchir, trouver ? Et comment le faire en étant constamment surveillé, brimé, stoppé dans ses élans ? La condition enfantine ne me laissait pas de souvenirs sympathiques. Mais au moins pouvait-on ronger son frein, guetter le moment où il serait possible de s’affranchir du joug pesant de la dépendance parentale, et à la première occasion, se confronter à la life de ses propres ailes – d’ailleurs, pour ma première fugue, n’avais-je pas dix ans ?
Vieux, c’était craignos. On n’avait plus « la vie devant soi ». C’était même l’inverse. Je détestais les vieux. Et j’allais en devenir un. C’était déconcertant.
Le premier signe – oh my God, avais-je ce soir-là mesuré réellement ce qui m’attendait ? – avait été l’infarctus dont j’avais été victime.
Cela avait été la charnière. Je m’en rendais compte rétrospectivement (et il était important de pointer dans mes confidences les grandes étapes de la prise de conscience, les réflexions qui en avaient découlé, et les solutions qui m’étaient apparues, de façon à faire de ce journal intime, en plus d’un roman en prise sur la réalité, un guide, comme je l’avais implicitement promis à mon éditrice, plein d’enseignements, de solutions pertinentes).
Un vrai futur vieillard éclairé apportant à d’autres futurs vieillards lumière et réconfort, c’était ça la baseline – et le ticket garanti pour le carton éditorial. Quelque chose de simple à pitcher, que l’attachée de presse pouvait comprendre sans explication de texte.
– Tu vois, c’était vachement important pour moi que tous ceux qui sont dans le même cas – c’est-à-dire des millions d’acheteurs de livres potentiels – puissent trouver dedans un récit cohérent !
– Mais tu as vraiment fait un infarctus ?
En vérité, non, cela n’avait pas été tout à fait un infarctus, mais à ce moment-là, comme j’étais encore hypocondriaque – jusqu’à moins de cinquante-cinq ans on peut se permettre d’être hypocondriaque, c’est même assez tonifiant : « Vrai ? Vous êtes sûr ? Je ne vais pas mourir ? Ce grain de beauté n’est pas un cancer naissant ? Ma migraine n’est pas un début d’AVC ? Je ne suis pas en train de mourir ? Wouah, super nouvelle, ça me file la patate pour la matinée ! » –, j’avais cru que c’était un infarctus. En fait, non, ce n’était pas un « accident cardiaque ». Mais c’était la période où, pour rester en bonne santé, j’avais décidé de me soucier de mes abdos et pectoraux. Je m’étais mis « à la muscu comme un ouf » (ce qui était d’ailleurs, maintenant que j’y pense, un signe patent : quand vous vous mettez à faire du sport, pas pour le fun, mais parce que dans un arrière-coin de votre cerveau klaxonne comme une nécessité d’éviter la lente transformation de vos muscles en un truc graisseux et flasque, c’est que vous êtes sans nul doute en pré-pré-vieillesse, c’est-à-dire pas encore la cata, mais le début de l’alerte orange – muscu pour les garçons, Pilates ou yoga pour les filles).

Quand l’« accident cardiaque » était survenu, j’é
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