C'est suite à une correspondance avec le condamné à mort américain, Renaldo McGirth, que germe l'idée d'un roman graphique chez Valentine Cuny-Le Callet. À seulement 19 ans, elle entreprend de décrire la cruauté du système carcéral tout en portant un regard plein d'émotion et de justesse sur l'élan de vie dont font preuve les condamnés pour reconstruire leur vie en cellule. Son travail au crayon et à la gravure sur bois parvient à véhiculer d'intenses émotions et à faire naître l'espoir là où il semble avoir définitivement déserté.
Retrouvez sur notre webmagazine Balises l'entretien en lien avec la rencontre : https://balises.bpi.fr/bulle-cuny-le-callet/
Suivre la bibliothèque :
SITE http://www.bpi.fr/bpi
BALISES http://balises.bpi.fr
FACEBOOK https://www.facebook.com/bpi.pompidou
TWITTER https://twitter.com/bpi_pompidou
+ Lire la suite
En 1955, Emmett Till, un garçon noir de quatorze ans, a été torturé, défiguré et noyé, pour avoir soi-disant sifflé une femme blanche.
C’était il y a près de soixante-dix ans, mais cela n’est toujours pas du passé, tant que la plaque commémorative qui marque l’endroit où l’on a retrouvé son corps se fait sans cesse cribler de balles.
Depuis 2011, les laboratoires européens ont cessé de fournir aux États-Unis les produits utilisés pour les injections létales.
Sachant que ses stocks ne seraient plus approvisionnés, l’Arkansas s’est mis à exécuter à la chaîne afin d’utiliser toute sa réserve de substances létales avant leur date de péremption.
Tous les états pratiquant la peine de mort se sont lancés dans la recherche de solutions alternatives. Chacun a mis au point son cocktail, sa propre recette de cuisine moléculaire.
Au final, sur l’ensemble des États-Unis, sept pour cent des exécutions par injection létale ne se déroulent pas selon ce processus « idéal ».
De toutes les méthodes employées dans le pays, c’est même l’injection létale qui provoque proportionnellement le plus de « botched executions », « exécutions foirées », selon la formule consacrée.
Avec la pénurie de produits létaux, des états qui l’avaient abandonnée ont décidé de remettre en service la chaise électrique. Le condamné ne choisit pas où, quand, ni devant qui il va mourir, mais il peut parfois choisir comment, dans la limite des stocks disponibles.
Cela fait douze ans que Renaldo est confiné dans cinq mètres carrés éclairés au néon, dont il ne sort que deux ou trois fois par semaine dans une cour bétonnée, avec les mêmes personnes, quelquefois une de plus, quelquefois une de moins.
Cela fait quatre ans qu’il attend la re-sentence qui le condamnera à la prison à vie ou le renverra dans le couloir de la mort.
Cela fait plus d’un an qu’il souffre de maux de tête insupportables, sans savoir précisément ce qui les cause.
Je n’aime pas parler de mon enfance, ça fait trop mal. Je sais qu’ils veulent la décortiquer, critiquer mon éducation, pointer ma mère du doigt.
Ils veulent la charger pour assurer ma défense. Mais elle a déjà suffisamment souffert, je ne veux pas qu’elle ait à revivre ça encore et encore à l’audience.
Mon enfance n’a pas été parfaite, mais qu’est-ce que ça peut faire ? Personne n’a d’enfance parfaite. Ma mère aussi a souffert, et personne n’est là pour analyser son passé à elle, trouver SES circonstances atténuantes.
La seule chose qui donne un « ailleurs » à Renaldo, c’est la correspondance qu’il entretient avec sa famille et ses amis. Son vrai lieu de vie est là, dans ces lettres format maximum : vingt et un centimètres par trente-cinq.
C’est étriqué, mais c’est là qu’il réside, et c’est là qu’il s’échappe.
Chère valentine,
Dans d’autres prisons, les détenus peuvent marcher ou pratiquer un sport dans une cour où il y a de l’herbe et de la terre. Pas dans le couloir de la mort. C’est que du béton. On ne peut voir l’herbe que par le grillage. Les seules plantes ou fleurs qu’on peut avoir sont en papier.
Renaldo
On dirait que tous les livres qui concernent l’histoire des Noirs et qui ne parlent pas seulement de ceux qui ont souffert en silence et tendu l’autre joue sont refusés. C’est de la censure massive, une violation de la liberté d’expression même.
Pourrais-tu contacter la directrice adjointe ? C’est compliqué pour moi, car vu que je n’ai pas eu accès au contenu précis de l’enveloppe, je ne peux pas vraiment faire de recours.
J’ai l’impression qu’ils censurent tout ce qui ne correspond pas à leur façon de voir les choses, tout particulièrement quand il s’agit de la culture noire, ou de cultures qui ne se conforment pas parfaitement à l’idéal américain. Où est le racisme ? Est-ce qu’ils connaissent seulement le sens de ce mot ?
Je respire encore...
... un instant à la fois...
... et toujours perpendiculaire au soleil.
Renaldo ressemble
toujours à un adolescent
qui aurait vieilli sans grandir.
Le Destin
c'est aussi un choix.