AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de EffeLou


"MYTHE ET RITES DE PASSAGE

Si l’on adopte à présent un point de vue un peu plus surplombant sur l’ensemble de l’ouvrage, quelques thématiques communes se dégagent de façon très nette. D’abord, d’un point de vue formel, Buffy apparaît comme lieu de réinvestissement et de réécriture : des codes génériques du XXe siècle, comme le soulignent Besson pour différents aspects de la culture populaire, et Allouche pour la science-fiction ; mais aussi du conte, comme le montre Benoist au sujet des figures cauchemardesques des « gentlemen ». Si Allouche et Garcia s’intéressent aussi à ce que « faire monde » peut bien signifier pour une fiction, ce sur quoi reviennent avec le plus d’insistance les auteurs est davantage la façon dont Buffy « fait mythe ». C’est le cas de Benoist, Garcia et Molinier, mais aussi de Jandrok lorsqu’il analyse la façon dont la culture américaine utilise la série pour se réapproprier les mythes fondateurs occidentaux, ou lorsque Olszewska convoque le mythe d’Œdipe.
Qu’est-ce qui se joue justement dans cette aptitude de Buffy à « faire mythe » ? La clé se trouve sans doute dans la justesse avec laquelle l’adolescence y est représentée comme temps de passage d’un âge à un autre (Benoist, Garcia, Gerrits, Jandrok, Molinier, Olszewska). Par le syncrétisme créateur qu’elle opère dans la culture populaire, Buffy se révèle alors apte à dire en un tout si ce n’est parfaitement cohérent, du moins tangible, vivant, organique, ce qui se joue primordialement dans la sorte de rite de passage – sans rituel et sans fin – que constitue l’adolescence des sociétés développées. Car derrière cet âge, lieu paradoxal de tous les désirs et dont la durée semble en expansion permanente, il y a en réalité une violence que la culture moderne impose aux personnes et à leur corps dans leur donnée biologique. Nombre d’auteurs y insistent : ce qui fait en grande partie l’efficace de Buffy, c’est la façon dont elle met en lumière la violence, et même la cruauté, qui s’exprime dans ce temps de passage, à la fois si scandé et pourtant informe, et où l’enjeu pour chacun est de trouver un « arrangement » quel qu’il soit avec ce Mal primordial, ce First qui est au fondement de nos existences et menace en permanence de les déborder, de l’extérieur, de l’intérieur, d’en bas (Gerrits, Molinier).
Après ces considérations bien sombres qui reflètent une tonalité peut-être plus proche en réalité de ce qu’on trouve dans Angel (le spin-off de Buffy), il nous semble nécessaire de rappeler certaines caractéristiques saillantes de la série, auxquelles on aurait aimé rendre davantage justice. En effet, parmi les aspects les plus remarquables de Buffy, il y a une qualité d’humour, une virtuosité des dialogues et une sensibilité au langage, un mélange caractéristique de sublime et de grotesque, qui jouent un rôle tout aussi déterminant dans la fidélisation de son public que la sollicitation libidinale que Pascale Molinier met par ailleurs si bien en évidence.
Car c’est bien l’art de la conversation, parfaitement maîtrisé par les créateurs et scénaristes de Buffy, comme par des acteurs au sommet de leur talent (et dont on a le plaisir de retrouver certains dans des séries phares postérieures comme How I Met Your Mother, dont l’art conversationnel est hérité de Buffy autant que de Friends), qui est au cœur de la série et lui donne sa tonalité particulière, exprimée de façon remarquable dans les deux épisodes emblématiques, muet et musical, évoqués ici même. Ce talent de la parole en situation appartient à ce qu’il nous reste à décrire de Buffy, ainsi que des autres séries de Joss Whedon (Angel, Firefly, Dollhouse…). À moins qu’il ne s’agisse en fin de compte là encore de « ce dont on ne peut parler »…
Commenter  J’apprécie          50









{* *}