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Citation de Partemps


INCORRUPTIBLE

Comme vous ne trouvez jamais le Philosophe dans l’Université, ses moyens de subsistance restent inexpliqués. Il ne manque jamais de rien, mène une vie très confortable, transforme peut-être, en douce, le plomb en or. Il n’est pas devenu psychanalyste comme il en avait les capacités, mais il doit donner des cours particuliers. Où, quand, comment, et à qui ? Difficile à dire ses vrais amis sont inconnus. Visiteur du soir de Robespierre, on reconnaît sa marque dans le surnom de ce dernier, « l’Incorruptible ». Quel rêve ! Dans une corruption de plus en plus généralisée, on ose à peine penser à une telle possibilité humaine. Et pourtant, elle a eu lieu, et elle continue d’avoir lieu.

Le Philosophe est incorruptible. S’il choisit de s’exprimer à travers tel ou tel écrivain, on le reconnaît immédiatement à son style : net, contradictoire, énergique et fluide. Qu’il ait eu plusieurs signatures n’a pas d’importance. On ouvre un livre en français, et on sait, au bout de trois lignes, que c’est lui. La Révolution est là, aucun doute. C’est tranchant, percutant, limpide, répétant sans fin que le Bien absolu ignore absolument le Mal. Le ton est parfois un peu forcé, comme dans cette déclaration à l’emporte-pièce :

« En son nom personnel, malgré elle, je viens renier, avec une volonté indomptable et une ténacité de fer, le passé hideux de l’humanité pleurarde. »

Compte tenu de sa persistance dans le temps (plus de deux siècles), on a pu voir le Philosophe avec des femmes très différentes. En 1763, quand il est en garnison à Bordeaux, il n’a que l’embarras du choix parmi les femmes brunes de la région. Pendant la Révolution, tous les lits sont ouverts, et il a de la peine à se rappeler tous les prénoms de cette époque unique en son genre. Manon, Olympe, voilà des femmes inoubliables, et on ne retrouvera Olympe que beaucoup plus tard, sous les traits d’Olympia. Entre-temps, il aura fallu s’ennuyer beaucoup en province, avec deux ou trois Emma. Enfin le cinéma s’occupe de tout, et le Philosophe pourra intervenir, mais sans succès, auprès des grandes mélancoliques, Greta, Marilyn, Ava. À Paris, en mai 1968, il est partout et nulle part, et pourtant des slogans comme « Ne travaillez jamais » ou « Soyez réalistes, demandez l’impossible », sont clairement dans son style. De nos jours, on déchiffre son action plutôt en Chine qu’en France. Qui irait contester son empreinte sur l’étrange développement chinois ?

Plus la corruption augmente, plus l’Incorruptible se porte bien. C’est l’antidote absolu au poison violent du naufrage. Dans un monde déboussolé seule sa boussole est sûre. Il vient de la consulter, et, comme il le pensait, malgré une actualité massacrante, tout va bien, et de mieux en mieux. Il garde cette information pour lui, il a l’habitude. Santé d’abord, et bonsoir.

La source lumineuse persiste, s’approfondit, et se manifeste maintenant par une prolifération de détails. Les détails, voilà l’essentiel. Le Diable s’y tient caché, et c’est un allié impeccable. Il veut la perte de ses possédés, il montre du doigt un fil presqu’imperceptible. La fraude apparaît, le délit s’avoue, la vérité surgit des détails.

Une anecdote révélatrice raconte que quelqu’un a demandé un jour au Philosophe Inconnu s’il était « croyant ». Il aurait répondu froidement : « Je ne crois qu’aux détails. »
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