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Critiques de Nikolai Gogol (558)
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Les Âmes mortes

Francis Scott Fitzgerald débute son Gatsby par la formule : « Quand tu es sur le point de critiquer quelqu'un, souviens-toi simplement que sur cette terre tout le monde ne jouit pas des mêmes avantages que toi. »



Peut-être est-ce le message que semble avoir voulu délivrer Nicolaï Gogol à propos de son personnage principal Tchitchikov dans les Âmes mortes ? Mais c'est tellement bizarre, tellement contourné, tellement boiteux, tellement discordant, je trouve, que c'en devient presque inintelligible.



Pourtant, croyez-moi, j'apprécie beaucoup Gogol : j'avais adoré ses Nouvelles de Pétersbourg ; j'ai pris un énorme plaisir au Révizor, mais là, là, je dois confesser que je me suis pratiquement ennuyée de bout en bout dans Les Âmes mortes, dont j'attendais pourtant beaucoup.



Pourquoi ce ressenti ? Eh bien, si vous me permettez l'analogie, d'après moi, la littérature, c'est comme une voiture : le roman en est le moteur, et nous, lecteurs, les roues. Nous ne demandons qu'à rouler, qu'à être mus par le roman…



Malheureusement, s'il prend trop souvent à l'auteur l'idée d'appuyer sur l'embrayage, cela nous désolidarise à tout coup de son roman : nous continuons à tourner quelque temps, mais nous ne sommes plus entraînés, et il faut vite retourner en prise, sans quoi tout s'arrête.



Or, dans la première partie du roman, Nicolas Gogol ne cesse d'appuyer sur l'embrayage en interrompant constamment sa narration par des interpellations directes du lecteur, des formes de justification, des patatis, des patatas et finalement, patatras, on décroche, en tout cas, moi, je décroche. Mon attention s'étiole, l'histoire m'échappe et finalement mon plaisir de lecture s'envole loin, loin, au moins jusqu'au Kamchatka…



Le roman a une histoire : son sujet en fut soufflé à l'auteur par le grand Pouchkine, lui-même, et l'on sait comment ce dernier s'éteignit brusquement, et donc, combien Gogol avait à coeur d'honorer la mémoire de son maître dans cette oeuvre. Mais je la considère franchement mal née.



J'ai constamment le sentiment que Gogol ne savait plus, à mesure qu'il progressait dans l'écriture, ce qu'il voulait vraiment dire ou faire passer à travers ce roman. J'y perçois clairement un changement d'orientation entre la première et la deuxième partie (inachevée et non publiée du vivant de l'auteur). On sait encore que la troisième partie, quasiment terminée échut aux flammes d'une cheminée dans un moment de désarroi de Gogol face à ce qui lui semblait être une mauvaise fin.



Eh oui, dans la première partie, on croit assister à une sorte de remake du Révizor, en moins drôle, en moins bien senti. Un personnage un peu roublard (un peu beaucoup même), Pavel Ivanovitch Tchitchikov, plutôt désargenté mais appartenant à la toute petite aristocratie, arrive dans une région rurale et se met en quête, auprès des aristocrates locaux, de leurs paysans défunts. (Les moujiks appartenant à un domaine étaient désignés comme des « âmes », d'où ce titre, ô combien provocateur dans la Russie hautement croyante et pratiquante de l'époque.)



Apparemment, dans ces années-là (premier tiers du XIXème siècle) les propriétaires devaient s'acquitter d'un impôt auprès du Tzar, et qui dépendait du nombre d'âmes que comportait le domaine à une date fixe. Si bien que si des paysans mourraient, le propriétaire devait encore payer pour chacun jusqu'à la nouvelle date de fixation du nombre de moujiks par domaine.



C'est peut-être un peu compliqué, mais c'est indispensable pour flairer la supercherie de Tchitchikov qui se propose, magnanime, de « racheter » ces âmes mortes à leurs détenteurs. (Laquelle nature exacte de la supercherie ne sera dévoilée au lecteur que bien plus loin dans le roman.)



Beaucoup de ces propriétaires fonciers ouvrent de grands yeux ahuris quand Tchitchikov leur présente son marché ; certains acceptent d'effectuer la démarche gratuitement, en grands seigneurs ; d'autres subodorent l'arnaque sans en connaître la nature exacte et refusent tout net ; d'autres enfin, s'imaginant la combine de notre aigrefin, veulent le faire casquer un bon prix avant de se délester de leurs cadavres sur le registre.



Bref, Tchitchikov suscite bien des discours, bien des interrogations parmi les hautes sphères rurales : les opinions sont très partagées à son propos. Et durant toute cette partie, Gogol ne fait rien pour nous rendre ses personnages attachants, si bien qu'en ce qui me concerne, j'étais distante de tous, et ça, convenons que ce n'est pas très bon signe pour la bonne appréciation d'un roman. Dit plus concrètement, l'auteur ridiculise ses personnages, les caricature, parfois grossièrement, si bien qu'on n'entre spontanément dans le costume d'aucun.



Sitôt entamée la deuxième partie, changement de ton radical, l'auteur se veut moins drôle, moins caricatural mais, de ce fait, les deux parties ne collent pas trop ensemble. Pour moi, ce fut plus agréable à lire, mais à ce moment là, je me suis mise à ne plus trop comprendre où l'auteur m'emmenait.



Et puis, papillonnant de personnage en personnage, lesquels personnages on abandonne très vite en cours de route, on se dit que Gogol veut nous parler de la Russie en général, peut-être nous en dresser une sorte de portrait à la Dos Passos, mais tout cela est très bizarre, et puis peu à peu vient se greffer une autre dimension, une sorte de message moralisateur chrétien du type : « Hors des routes droites, point de salut ».



En somme, le genre de message qui termine de m'achever quand je ne suis déjà pas tellement enthousiaste face à ma lecture. Cette dernière tendance est véhiculée essentiellement par le personnage du vieil Athanase Vassiliévitch Mourazov qui fait figure de quasi prophète biblique. Très peu pour moi de cette farine…



Bon, ceci étant dit, il n'est pas nécessaire de m'appesantir plus longuement sur le fait que, dans l'ensemble ce roman m'a déplu, que je suis déçue et que je n'en garderai probablement pas un grand souvenir. Il est bon d'aller consulter d'autres avis, parfois très différents du mien, pour savoir si vous souhaitez ou non tenter l'expérience des Âmes mortes car, conservez toujours à l'esprit que ceci n'est que mon avis, qu'il pèse à peu près autant que le poids d'une âme morte, c'est-à-dire, pas grand-chose…
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Le Manteau

Je viens de relire le Manteau, cette nuit. Je l'avais lue et adorée jadis dans une autre traduction : la saveur en est demeurée intacte à mes papilles. J'avais un peu peur de casser quelque chose en la relisant : quelquefois même les meilleures sauces rancissent en nous jusqu'à nous les faire moins aimer, peu aimer voire plus aimer du tout, tant l'être humain est fait de matière labile.



Mais Gogol, non ; il ne mange pas de ce pain-là, d'ailleurs ça ne mange pas de pain du tout de le lire via cette merveille de nouvelle. Prenant naturellement la suite de son maître et ami Alexandre Pouchkine, notamment si on la compare au Marchand de Cercueils, Nicolaï Gogol entreprend une nouvelle sur le ton caustique qu'on lui connaît ailleurs (dans le Nez, par exemple, ou le Revizor), tout en s'ingéniant à prendre le parti des humbles, des vaincus, de ceux qui ont les pensées courtes ou qui ne savent pas se vendre.



Ainsi naquit Akaki Akakiévitch Savatkine (un nom aussi grotesque en russe qu'en français et qui fait clairement référence aux savates), fonctionnaire de onzième zone, payé à coups de trique et de coups de pied au cul, paillasson de ses collègues et être transparent totalement incapable de prendre la moindre initiative ou d'assumer une quelconque responsabilité. Son truc à Akaki Akakiévitch, ce sont les écritures : là, dans ce registre (et même dans les registres) c'est un orfèvre, un vrai moine copiste de la haute époque.



Il se satisfait de peu Akaki Akakiévitch, se nourrit d'encore moins et n'espère pas beaucoup plus de l'existence que la joie d'avoir une nouvelle grande et belle page à recopier. Sorti de là, sa vie a les reliefs de la Hollande et le goût de ses fromages. Que voulez-vous ? Avec quatre cents roubles de salaire annuel, c'est déjà heureux de pouvoir manger une fois sur deux !



Aussi, représentez-vous le tonnerre, l'horreur, le cataclysme pour ce brave fonctionnaire lorsque le couturier qu'Akaki Akakiévitch était venu consulter pour le rafistolage de son manteau lui annonce que la pelure élimée qui remplissait jusqu'alors cet office est complètement pourrie et bonne à peine pour se moucher dedans ! Le coût d'un manteau neuf sera d'environ cent-vingt roubles…



Akaki Akakiévitch fait tout ce qu'il peut pour infléchir le verdict du couturier mais au fond de lui-même, il sait bien qu'il a raison et affronter l'hiver de Pétersbourg avec un manteau épais comme une mousseline n'est sans doute pas la meilleure chose à faire. Alors, la mort dans l'âme, notre brave Akaki s'en retournera chez lui, la tête basse en traînant les pieds, puis, se reprenant très vite et comprenant qu'il lui faudra faire durer les semelles, s'engage dans un titanesque travail d'économie au long court.



Jusqu'au jour lointain et fatidique où Akaki, exsangue et famélique pourra enfin poser sur le bout de la table la somme exigée pour la confection de ce manteau dont il a tant besoin. Qu'adviendra-t-il ensuite ? Ça, nul autre que vous ne pourra vous le dire car je refuse catégoriquement de repriser ce tissu, qui, au demeurant, n'est peut-être qu'un tissu de mensonges. J'aurais trop peur de me prendre une veste ou de me faire habiller pour l'hiver…



Mais je vous dirai encore ceci : selon moi, Gogol, dans cette nouvelle, frôle la perfection, ou tout au moins la très, très grande classe. Il bâtit une histoire universelle qui a beaucoup de points communs avec le personnage du vagabond de Charlie Chaplin, qui nous fait passer dans la seconde du rire aux larmes. Que d'émotion, que d'empathie suscitée pour le moins sexy des héros qu'on puisse imaginer, le type le plus court de vue et rébarbatif qui soit, il parvient à nous le faire aimer, à nous mettre mal à l'aise avec nos certitudes. Je vous tire mon chapeau et vous donne mon manteau Monsieur Nicolaï Gogol car vous tutoyâtes le génie avec ce texte. Du moins c'est mon avis qui a encore eu la bêtise de sortir non couvert, autant dire, bien peu de chose par le froid qu'il fait…
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Les Joueurs

Oh ! merci Nicolai Gogol de nous avoir écrit cette agréable petite comédie, si rafraîchissante, si plaisante, si drôle et si truculente. Que ça fait du bien de lire ça !



Quel est le sujet de cette petite pièce en un acte ? le jeu, l'argent et la triche.

Ce thème, (notamment la folie du jeu), a été copieusement exploité par les écrivains, notamment par Dostoïevski ou Zweig (mais c'est bien sûr loin d'être les seuls). Ici, l'auteur choisit un angle quelque peu insolite ; l'envers du décor, ou disons simplement, les préparatifs d'une arnaque minutieusement montée. En ce sens, Gogol se rapproche plus du traitement qu'aurait pu y conférer un Balzac plutôt qu'un Dostoïevski ou un Zweig.



Le synopsis, le voici : un fameux roublard, en la personne d'Ikhariev, arrive dans une petite ville de province avec pour dessein de plumer quelques pigeons grâce à sa savante technique de triche aux cartes, laquelle technique, éprouvée dans une province voisine, lui a rapporté quatre vingt mille roubles le mois précédent.



Dans la petite auberge où il échoue, il tombe sur trois clients, Chvokhniev, Krougel et Outièchitelny, qui s'avèrent être d'aussi tristes sires que lui-même, eux aussi en quête de gogos à détrousser. Éprouvant leurs savoir-faire respectifs, ceux-ci décident finalement de s'associer pour écumer le moindre rouble qui décidera de se présenter à eux dans les prochains jours.



C'est alors que Chvokhniev et Krougel exhortent vivement Outièchitelny de tenter une nouvelle fois de débaucher le vieux Glov, un gros propriétaire malheureusement réputé pour sa sobriété et son aversion pour le jeu. Je ne vous en dis pas davantage afin de ne pas vous gâcher le plaisir de découvrir cette pièce, si vous ne la connaissez pas.



Un peu à la façon des Nouvelles de Pétersbourg, la comédie est truffée de piques à l'adresse des fonctionnaires, et regorge de second degré et de sous-entendus.



À ce jeu du plus fin, qui sera le plus fin ? L'arroseur arrosé ou l'arnaqueur arnaqué ? Qui sera le plus malin, qui saura déjouer les filouteries des filous et jouer les joueurs ?



Il est à noter que Gogol nous donne des indices et comme souvent avec les pièces russes, la traduction échoue à restituer cette dimension. Ainsi Krougel (nom traduit en français) est d'origine allemande, ce qui évoque (n'oublions pas que Nicolai Gogol est parfaitement polyglotte) pour les germanophones « der Krug », la cruche. Il en va de même pour Glov, qui veut dire en russe « le gant » et que penser de Outièchitelny qui signifie littéralement « réconfortant » ou du moins l'idée de consolation.



En guise de conclusion, je dirais que cette comédie est écrite tout en finesse, avec drôlerie et également une bonne dose d'ironie caustique comme l'auteur sait si bien le faire. Je la conseille donc très volontiers, cependant rappelez-vous que cela n'est que mon avis, certes je ne triche pas mais sait-on jamais, cela ne vaut peut-être pas grand-chose...
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Le nez

Le Nez est une nouvelle totalement déjantée, iconoclaste et insolente.

On sait que les fonctionnaires ministériels arrivistes, incompétents, corrompus, orgueilleux et pleutres sont régulièrement brocardés par Nicolaï Gogol, comme par exemple dans ses pièces de théâtre Le Révizor et Le Mariage.

Cependant, ici, c’est vraiment de la très grosse artillerie. L’auteur tire à boulets rouges sur tous les fonctionnaires en s’attardant plus particulièrement sur le cas de l’assesseur de collège Kovaliov (titre aussi ronflant que creux où vous seriez bien en peine de trouver un métier véritable) et aussi un petit peu sur les artisans, en la personne du barbier ivrogne Ivan Iakovlévitch.

Gogol y dénonce probablement le népotisme et la cooptation, qui font en deux jours d'un citoyen lambda on ne peut plus ordinaire, un personnage éminent avec un poste à responsabilités.

Avec un ton unique, très réjouissant, fait d’absurde et de fantastique, digne d’un Kafka dans La Métamorphose, mais en franchement plus drôle, plus caustique, plus sarcastique ; un ton fait d’une profonde ironie et d’une farce grinçante, Gogol taille un costume aux policiers, jamais gêné d’espionner ni de réclamer des pots-de-vin, ainsi qu’aux hauts fonctionnaires qui se pavanent dans les ministères en passant leurs journées à faire les jolis cœurs et à ourdir des intrigues pour se graisser les poches ou nuire à un collègue dont ils lorgnent la place.

Il s’offre également les journalistes, les médecins et de façon générale tous ceux qui, cupides et un peu trop imbus d’eux-mêmes, veulent parfois péter un peu plus haut que leur bas rein ne les y autorise.

Pourquoi Nicolaï Gogol a-t-il utilisé cette forme insolite (pour l’époque) de l’absurde ?

Premièrement, parce que son propos, dit tel quel, aurait été politiquement très incorrect et digne de poursuites sans doute assez désagréables.

Deuxièmement, parce que Gogol lui-même travaillait dans un ministère et ne pouvait donc pas taper ouvertement sur des collègues qui se seraient reconnus, sachant parfaitement de quelles bassesses ils étaient capables.

Troisièmement, et peut-être n’en avait-il pas encore pleinement perçu toute la puissance, l’absurde en littérature possède une force incroyable, qui suscite la réflexion et qui donne des interprétations très variées. C’est cette veine qu’exploiteront par la suite beaucoup d’auteurs au XXème siècle, comme Kafka, Beckett ou Ionesco, pour ne citer qu’eux.

Quatrièmement, quoi de plus naturel pour dénoncer des absurdités d’un système que d’en grossir les traits à l’extrême ? C’est la base même de la caricature. Je voudrais d’ailleurs à ce propos mentionner une réflexion personnelle, que je n’ai lue nulle part, mais que je crois avoir un petit semblant de vérité.

Dans la nouvelle, l’auteur nous donne deux dates : la disparition du nez, le 25 mars et la réapparition du nez le 7 avril. Pourquoi ces dates ? quelle part prennent-elles dans la dénonciation d’un système archaïque et absurde ? Et bien réfléchissons à l’Ukraine et à la Russie de Gogol. N’y aurait-il pas une fête de la nativité du Christ commémorée le 25 décembre dans le calendrier Julien (local) qui correspond au 7 janvier dans le calendrier Grégorien (utilisé un peu partout dans le monde) ? Tiens donc, on retrouve exactement le même écart. Troublant hasard, non ? J’ai peine à croire que Gogol l’ai fait par inadvertance et je vous laisse en juger.

Il y a eu de (nombreuses) autres interprétations à propos de cette nouvelle. Notamment celle comme quoi le titre original, нос, signifiant nez, est l’exact inverse du mot russe сон, signifiant rêve. D’autres ont vu dans le propos de Gogol une raillerie du fonctionnaire aux bottes d’une femme castratrice. Pourquoi pas ? c’est plausible mais je ne m’avancerai pas davantage dans ces interprétations car, le propos est suffisamment ouvert pour donner cours à de nombreuses interprétations où l’on finit par pouvoir tout faire dire à une œuvre.

Voilà donc une nouvelle bien plaisante en somme, très rafraîchissante par la verdeur de son ton, qui brocarde à tour de bras et que je vous laisse tout le loisir d’interpréter comme bon vous semblera car ce que je vous ai livré n’est que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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Le nez

Une histoire de nez à en perdre la tête !!

Qui a volé, a volé, a volé, le nez ....de Kovaliov ?

Nikolaï Gogol réussit à nous interpeller, nous accaparer dans la recherche de cet organe vital, le nez !! Centre du visage et, du coup, objet d'attention, de toutes les railleries aussi...A quoi tient l'intérêt d'une personne à ses yeux, aux yeux des autres ? A son nez peut- être ? Dans cette Nouvelle, le nez devient l'objet de tous les tourments, de tous les désirs...Gogol le personnifie, le diabolise, le sacralise mais à quoi bon ?

Absurdité, Dérision, .....pied de nez ?

OU

Evidence... comme un nez au milieu de la figure ?





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Le Manteau

La récente critique de @Mh17 ainsi que la liste de Mylena « L’Ukraine en littérature » m’ont donné envie de découvrir enfin cet auteur ukrainien que je n’avais toujours pas lu. J’ai choisi de lire ses nouvelles, elles viendront m’apporter quelques respirations entre des livres plus conséquents. Des respirations aussi pour approcher ces peuples, ukrainiens et russes, comprendre leur culture, impuissants que nous sommes, en ce temps de conflits et d’angoisse. Le manteau est la première nouvelle du recueil « Nouvelles de Pétersbourg ».



J’ai immédiatement été très surprise par le ton caustique de l’auteur et sa façon de prendre le lecteur à parti, comme si nous étions face à lui et qu’il nous racontait une histoire tout en s’interrompant de temps à autre pour nous apporter une précision. Nicolaï Gogol prend le parti du plus faible, du plus démuni, de l’âme pure et innocente, du moins calculateur et du plus sensible. En l’occurrence Akaki Akakiévitch Savatkine (prononcez le à voix haute, quel curieux patronyme n’est-ce pas ?), petit fonctionnaire invisible parmi les différentes strates des fonctionnaires, homme sans histoire qui se contente d’un maigre salaire, passionné cependant par son travail qu’il fait consciencieusement, avec véritable passion même, à copier des actes officiels à longueur de journée.



« Le plaisir qu’il avait à copier se lisait sur son visage. Il y avait des caractères qu’il peignait, au vrai sens du mot, avec une satisfaction toute particulière ; quand il arrivait à un passage important il devenait un tout autre homme : il souriait, ses yeux pétillaient, ses lèvres se plissaient et ceux qui le connaissaient pouvaient deviner à sa physionomie quelles lettres il moulait en ce moment ».



Malgré les railleries de ses collègues et les traits d’esprit dont il est la cible, Akaki mène une vie paisible et simple. Une vie d’ascète, sans responsabilité ni considération. Sans histoires, ni loisirs. Vous pensez, ses quatre cents roubles de salaire lui permettent à peine de manger à tous les repas. Alors, lorsqu’il se rend compte que son manteau est tellement élimé, presque transparent à certains endroits, qu’il ne peut plus remplir sa fonction première de protection contre le froid glacial russe, imaginez son désarroi lorsque le couturier lui dit qu’il ne peut plus le réparer tant il est usé, il lui faut changer de manteau. Acheter un manteau neuf au prix exorbitant de cent vingt roubles.

Après la sidération et un certain abattement, s’en suit un colossal combat des mois durant pour économiser cette somme, désormais si animé par la perspective de ce nouveau manteau qu’il en ferait presque des fautes dans son travail de copiste, et, malgré les repas sautés et la fatigue consécutive, il est heureux comme un enfant lorsque le manteau peut enfin être commandé, fabriqué puis porté. Une fois le manteau acquis le pauvre homme va se le faire voler et personne, parmi les forces de l’ordre ou parmi ses collègues, ne lui viendra en aide.



Je suis passée du sourire aux larmes dans cette courte nouvelle. Le ton caustique s’entremêle à une certaine grandiloquence romanesque qui pose les fondements d’un style hors norme, une photographie de l’humanité où la bassesse, la méchanceté, la rudesse, l’indifférence tuent. Où les nantis, les fonctionnaires hautains, la bureaucratie sont épinglés. Le talent de Gogol est de nous faire aimer cet anti-héros, cet homme pathétique, insipide et ennuyeux, d’éprouver une réelle empathie pour lui.



Une lecture triste intemporelle. Le manteau, sous la plume de Gogol, devient tissu de mensonges, bâillon pour les plus démunis dans cette société où les dés sont jetés quelle que soit la bonne volonté qu’on y déploie… et Akaki d’en découdre toutes les ficelles…

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Le nez

A vue de pif, une nouvelle parfumée à l’absurde pour abuser les renifleurs de la censure tsariste.

Le major Kovaliov, assesseur de collège caucasien, fonction honorifique et emploi fictif (ce n'est pas une invention parisienne), a égaré son nez. Nous sommes en 1836 et non, il n’a pas perdu l’odorat à cause d’un ancêtre de notre petit dernier de virus. L’organe à disparu de la trombine du fonctionnaire au réveil. Si le groin ne lui sert pas à grand-chose dans son métier, sa désertion le prive de son activité principale : la conquête féminine. D’un profil d’aigle royal à celui bull terrier, le charme opère moins et ses favoris partent avec du handicap. Difficile de mener les belles par le bout du nez quand on en est dépourvu.

Le major Kovaliov va partir à la recherche de son tarin fugueur, camouflé sous un cache-nez. Mais l'homme n'a pas le nez creux, et comme il n'a jamais regardé plus loin que le bout de son n..., c'est bon j'arrête, la moutarde lui monte nulle part (désolé c'estfacile mais trop tentant), et l'orifice continue à lui passer sous... les yeux.

La légende et la préface mentionnent qu’à l’origine une autre partie de l’anatomie du personnage devait disparaître. Invité à un diner chez le sieur Smirnov (le bien nommé), Nicolas Gogol aurait raconté une blague grivoise dont le sujet était un fonctionnaire qui avait confié à sa lingère ses sous-vêtements avec ses attributs dedans. Les gens sont tête en l’air et queue basse parfois. Les invités rirent de bon cœur mais déconseillèrent toute publication pour que l’auteur ne soit pas accusé d’outrages autant à la bienséance qu’à l’honneur des serviteurs de l’Empire à défaut du meilleur.

C’est 4 ans plus tard que la nouvelle fut publiée et Gogol avait sagement remplacé la chose pour le nez. Pas besoin de titiller l’oncle Sigmund pour déceler l’allusion phallique, surtout quand on sait que Nicolas Gogol, daguerréotype à l’appui, possédait un très long nez. Une péninsule, sans mentir.

Derrière la blague potache, ce récit délirant et amusant vaut surtout pour ses attaques masquées contre la vanité, la vacuité des apparences et de la notabilité, la corruption policière de l’époque et une bureaucratie kafkaienne avant l’heure.

Moi, comme tous les matins, je n’ai perdu que mes clés. Tout le reste est à sa place.

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Les Âmes mortes

Tout écrivain porte en lui un livre essentiel , l 'oeuvre où il doit "tout dire ". du jour où il l 'a entrevu , où il a commencé à en prendre conscience ,se pensée ,sa vision du monde et la conception de sa propre vie gravitent autour de ce pôle ; l 'oeuvre devient le symbole de

l'homme , son message .

"Les Ames Mortes "est l 'oeuvre majeure de Gogol ( avec un autre livre :Le Manteau

de quoi s 'agit-il dans "Les Ames Mortes " ? IL s 'agit d un 'escroc ,Pavel Ivanovitch TCHITCHIKOF .Ce dernier a une extraordinaire idée pour faire fortune : il va

racheter des âmes mortes .

Dans l 'ancienne Russie ,les paysans ( les âmes mortes ,comme l 'on disait étaient considérées comme une valeur mobilière : on les vendait ,on les achetait ,et le propriétaire payait un impôt par tête de serf mâle et adulte . le recensement avait

tous les dix ans ,si bien qu 'entre temps il continuait de payer l 'impôt sur tous les serfs décédés de sa propriété .L'idée géniale et magistrale de TCHITCHICOF consistait à racheter en bonne et due forme les âmes mortes depuis le dernier recensement : le propriétaire serait bien heureux de céder un bien fictif et de se libérer d 'un impôt réel et tout le monde y trouvera son compte : rien d 'illégal dans

cette transaction ; et lorsque l 'acquéreur possèderait quelques milliers de serfs , il portait ses contrats à une banque de Moscou ou de St-Pétersbourg et emprunterait sur ces titres une forte somme .IL serait riche et en état d 'acheter des paysans de chair et d 'os !

En conclusion ce livre de Gogol est une satire de la médiocrité humaine et une critique virulente et impitoyable de la Russie tsariste .
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Le Révizor

Oserai-je prendre une position très éloignée de l’orthodoxie classique ? Me le permettrez-vous ? Peu importe le ridicule, pourvu qu’il y ait débat et qu’on secoue la pulpe molle sédimentée au fond de nos crânes...

Je prétends, sans honte et sans remords, que Nicolaï Gogol est probablement l’un des premiers maillons de la longue chaîne qui conduira aux retentissants succès de la BD franco-belge, du style Tintin ou Lucky Luke.

Vous voulez un argument ? Ok, je m’exécute. Dupont & Dupond, ça vous dit quelque chose ? Et si dans Le Révizor c’était Bobtchinski & Dobtchinski (les deux ayant par ailleurs les mêmes prénoms) ? Bien évidemment, ces deux lurons symétriques sont des couillons de base à peu près aussi adroits que les Men In Black de Tintin.

Autre argument, à la lecture, oubliez qu’il s’agit de Gogol et remplacez-le dans votre esprit par Goscinny. Vous verrez, c’est saisissant, on se croirait dans les blagues et les situations rocambolesques de Lucky Luke dans des albums comme Le Juge ou Billy-The-Kid, avec son cortège de villageois, de shérifs, de marchands, de soldats ou de fonctionnaires poltrons, hypocrites, intéressés, pusillanimes, traîtres, faux-jetons, et surtout, bêtes à manger du foin.

Bon, je sens qu’il est grand temps que je vous parle de la pièce elle-même. Évidemment, vous avez deviné qu’il s’agit d’une comédie, certains diront même d’une farce.

Quelques éclaircissements sur son titre : dans une bourgade de province, où tout fonctionne à la va-comme-je-te-pousse, où tout le monde abuse de son pouvoir, aussi infime soit-il, détourne (et sans complexe aucun) plus ou moins d’argent public et privé selon ses attributions et son statut, tout aurait dû rester paisible s’il n’était cette détestable nouvelle.

On annonce au Gouverneur qu’un Révizor, c’est-à-dire une sorte de super contrôleur envoyé par le gouvernement impérial, va arriver de Pétersbourg pour examiner dans le détail tous les aspects du fonctionnement (et ce faisant épingler les dysfonctionnements) de cette ville, quitte à faire sauter au besoin quelques têtes et à redonner quelques tours de vis.

Vous imaginez le branle-bas de combat dans les chaumières vu que tout le monde, sans exception, à des exactions sur la conscience et des petites magouilles à se faire pardonner.

Peut-être est-il bon de ne point trop vous en dire et de vous laisser découvrir comment nos braves fonctionnaires vont s’y prendre pour tenter de soudoyer le révizor et d’acheter sa clémence.

Gogol bombarde à qui mieux-mieux et tous azimuts. Tout le monde en prend pour son grade, gouverneur, juge, inspecteurs scolaire et d’établissement de bienfaisance, directeur des postes, commissaire de police, fonctionnaire, marchands, hommes, femmes, bref, tout le monde est incompétent, corrompu et corrupteur, poltron, stupide, cancanier et, en un mot, a tout pour plaire.

C’est drôle et grinçant de bout en bout, même si l’on peut éventuellement faire un petit reproche à l’auteur, sur l’aspect parfois redondant du burlesque qui alourdit inutilement une pièce en cinq actes, par ailleurs, très réussie et rafraîchissante.

À mesure que je lis des œuvres de Nicolaï Gogol, celui-ci se hisse chaque fois un peu plus haut dans mon panthéon personnel des auteurs que j’affectionne, même si j’ai pleinement conscience de passer à côté de bon nombre des effets comiques distillés en langue russe.

J’en veux pour preuve la simple évocation des noms de famille des protagonistes où par exemple le nom du juge Liapkine-Tiapkine fait penser à la chair à saucisse, le directeur des postes Chpékine à une tache, le commissaire de police Oukhovertov à une oreille espionne, le surveillant des établissements de bienfaisance Zemlianika (qui est un ivrogne) à une fraise, l’inspecteur scolaire Khlopov à du coton ou du kapok, les agents de police Svistounov, Pougovitsyne et Dierjimorda respectivement siffler, boutonneux et intimidateurs, etc., etc.

J’hésite entre 4 et 5 étoiles car certes certains passages sont moins bons, mais d’autres sont tellement tordants qu’ils méritent d’emporter ma délibération finale. Je vous le conseille sincèrement, ce Révizor, si vous voulez vous marrez à moindre coût, comme vous empoigneriez une bonne vieille BD de Goscinny pour vous changer les idées, du moins c’est mon avis non révisé, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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Les soirées du hameau (Veillées d'Ukraine)

"Par devant, ça peut encore passer, mais par derrière, on croirait le Diable !"

(d'un conte populaire russe)



N'importe quelle sorcière qui fend le ciel nocturne au-dessus de Dikanka vous dirait que j'ai mis du temps pour apprécier Gogol. "Les Âmes mortes" imposées en dernière année de collège y sont pour quelque chose; ce n'est pas que je ne comprenais pas le "pourquoi et comment" scolaire, mais à 14 ans, je trouvais ce bon Nikolai Vassilievitch profondément ennuyeux, et Tchitchikov n'était pas exactement le prototype d'un héros sur lequel j'aurais envie de fantasmer avant de m'endormir. Je me suis rattrapée plus tard avec les "Nouvelles de Petersbourg", et peu à peu, en découvrant quelques autres écrivains russes, j'ai commencé à comprendre l'importance de Gogol pour la suite des évenéments littéraires au sein de la grande Matouchka Rossia. Ainsi que la remarque de Dostoïevski : "Nous sommes tous sortis du manteau de Gogol".

Oui, Gogol ouvre la voie au réalisme. C'est vrai qu'il emploie assez souvent des éléments romantiques et fantastiques comme son ami Pouchkine, mais tandis que les personnages de Pouchkine restent éblouissants et parfaits dans leur lumineux classicisme, ceux de Gogol n'ont pas un kopeck en poche, et portent de préférence un caftan grassouillet tout rapiécé. La page de la rébellion romantique a été tournée, place aux gens ordinaires !



"Les soirées du Hameau" (1831) représentent l'entrée de Gogol dans le monde littéraire. Et quelle entrée !

Il apporte du jamais vu, l'exotisme absolu et inouï : l'Ukraine ! Même si cela peut paraître risible (et chez Gogol, un tas de choses peut paraître risible...), pour les lecteurs de son temps, l'Ukraine, cette petite-Russie avec sa vie rurale et sa culture populaire, était quelque chose de nouveau et d'inconnu. Il suffisait pourtant à Gogol de regarder un peu autour de sa maison à Sorotshintsy, et tout de suite, il avait les poches remplies de thèmes intéressants...



Un tour au marché, et voici tout une panoplie du crû : les Cosaques aux ceintures brodées, les nababs locaux aux bonnets d'astrakan, les filles aux cheveux blonds et sourcils noirs, les Tziganes diseurs de bonne aventure et les Juifs au nez crochu. Rajoutez-y des sorcières qui chevauchent leur tisonnier à minuit, des roussalkas, des démons et des diables au visage de porc, et vous avez une vague idée de quoi on peut bien parler le soir dans la chaumière de Panko le Rouge. La langue est riche et vivante, c'est plein de dialogues comiques et de belles expressions qui ne vous laisseront pas indifférent.



Gogol entretient une tension permanente : c'est une sorcière, ou pas ? Est-ce vraiment arrivé, et le voisin a vu le Diable au retour de la taverne, ou était-il seulement ivre comme un Polonais et son imagination lui a joué des tours ?

Il évolue entre le mythe et la réalité avec une telle maestria qu'un seul pas de côté serait suffisant pour que l'histoire perde tout son charme. C'est un équilibre précaire sur une lame de couteau aiguisée : Gogol joue avec son lecteur , il le laisse se noyer dans l'incertitude, le tourmente par un tas de petits indices... mais quand on croit apercevoir la vérité, il la cache derrière un voile de brouillard.



Impossible de ne pas aimer ces histoires. Elles apportent dans notre monde moderne un bon bout de la vieille Ukraine, de sa sauvagerie, ses superstitions et sa mélancolie.

5 étoiles amplement méritées, pour ce mélange improbable et absolument réjouissant de lyrisme, satire, et mélodrame folklorique.

Un livre pour tous ceux qui ont apprécié " Nouvelles de Petersbourg", mais pas seulement...
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Une terrible Vengeance

Nicolaï Gogol nous plonge dans le fin fond de l’Ukraine, à longueur de Dniepr, dans un récit légendaire et/ou mythique, en ces temps reculés qu’on pourrait vaguement situer à la fin du XVIème ou au début du XVIIème siècle, époque qui fleure encore, là-bas, l’obscurantisme religieux et guerrier du Moyen- Âge.



L’auteur y fait l’apologie de l’âme des guerriers cosaques, qui passent leur vie collés sur le dos de leurs chevaux et où la seule loi qui vaille est celle du sabre. (Je pense qu’il vaut mieux ne pas s’appesantir sur le statut et la position de la femme dans ce mode de pensée ou, du moins, dans la relation qui en est faite dans ce type d’écrit.)



Dévoué comme un cosaque, fier comme un cosaque, brave comme un cosaque, fidèle comme un cosaque, généreux comme un cosaque et sûrement plein, plein d’autres choses encore, mais je ne saurais vous en dire bien davantage car c’est justement dans ces passages-là que je m’ennuie ferme et que mon cerveau se trouve être assez hermétique.



Mais il y a encore des passages plus difficiles à vivre pour lui, mon petit cerveau de compère, ce sont les inévitables moments de sorcellerie. Alors là, dans ces phases-là, je sais vraiment pourquoi je ne lis quasiment jamais de ces machins-là, car je ne m’y reconnais pas, mais ce qui s’appelle pas, PAS du tout, du tout, DU TOUT.



Je soupçonne pourtant que ce n’est pas mal amené dans ce livre-là, c’est juste que cela vient de moi, ne faites pas attention. Bref, voici donc une nouvelle, au style assez différent du Gogol corrosif (à l’exception de l’épisode du sourire du cheval où l’on retrouve bien l’auteur du Nez), mais magnifiquement écrite.



Un grand chef guerrier cosaque, l’essaoul Goborets marie son fils à Kiev. Le frère adoptif de Goborets, Danilo Bouroulbach, lui aussi un vaillant cosaque adulé de ses hommes a quitté sa campagne pour l’occasion et est venu avec sa jeune et belle épouse, Dame Catherine et son jeune fils d’un an.



Les convives s’étonnent que le père de Catherine ne soit pas de la fête lorsqu’un incident survient. Au moment où Goborets soulève deux icônes pour bénir l’union de son fils, l’un des invités se métamorphose de façon horrible et quitte l’assemblée en courant. Certains ont reconnu en lui le vieux sorcier que tout le monde craint car il a la réputation de semer la mort dans son sillage.



De retour sur son domaine, Danilo voit revenir d’un long ermitage à l’étranger le père de Catherine. Celui-ci crée des désordres par ses provocations ou ses sous-entendus à l’encontre de Danilo ou de Catherine.



Quelles sont les motivations du vieux bonhomme ? Danilo a-t-il à le redouter ? Quelle attitude à adopter pour Catherine, tiraillée entre l’amour qu’elle voue à son mari et celui qu’elle réserve à son père ? Que ressortira-t-il de tout cela ? C'est ce que je vous laisse l'honneur et l'avantage de découvrir par vous-même.



Vous l'avez compris, voici un terrain sur lequel je ne m’aventure guère, celui de la fantasy ou de l’heroic fantasy comme disent les aficionados du genre. Il est vrai que si ce n’eût été Nicolaï Gogol je n’eus probablement pas risqué le coup.



Bah ! ça se laisse lire. Vous affirmer que j’en reprendrais à chaque repas, c’est peut-être trop me demander, mais une fois de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal, comme dit Guillaume Gallienne.



Cette nouvelle, qui est une œuvre de jeunesse de Nicolaï Gogol, annonce cependant déjà l’espèce de virage mystique et ésotérique qu’il effectuera vers la fin de sa vie. Bien que le maniement de la narration soit déjà tout à fait au point chez l’auteur, je lui préfère tout de même ses œuvres postérieures.



Nonobstant, si vous êtes accro de fantasy et que vous vous imaginiez ne jamais lire quoi que ce soit de Gogol, peut-être que cet ouvrage est pour vous, qui sait ? D’ailleurs, cette appréciation en demi-teinte n’est que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose. (Espérons qu'il n'entraîne pas de terrible vengeance de la part des Babelionautes...)
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Le Manteau

Je découvre Nicolaï Gogol à la faveur de ce format court, une belle rencontre ma foi.

L'auteur nous propose une satire sociale assez féroce sur l'administration, institution universellement brocardée et moquée de tout temps et en tout lieu. Sous la plume de Gogol, celle de Russie se révèle être assez exceptionnelle.

Une satire également sur le pouvoir exercé par chaque supérieur sur ses subalternes, avec une déclinaison jusqu'au plus bas échelon.

L'histoire d'Akaki Akakiévitch Savatkine, modeste employé sans une once d'ambition va nous éclairer sur une misère aussi bien sociale qu'humaine dans cette Russie du 19ème siècle, l'auteur réussit à créer une atmosphère captivante autour de ce manteau, quel talent !

Akaki Akakiévitch est au désespoir, son manteau reprisé tant et tant est désormais hors d'usage, il lui en faut un nouveau mais son maigre salaire ne lui permet aucune folie...

J'ai beaucoup aimé le portrait que dresse Gogol de ce pauvre fonctionnaire, j'ai aimé le style, fluide et élégant, aimé aussi la morale teintée de fantastique, bref j'ai aimé tout court.
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Les Âmes mortes

Les Ames mortes (1842) est un ouvrage extravagant et inclassable que Gogol commença dans l'allégresse, sur une idée de Pouchkine et qu'il ne finit jamais. Il préféra semble-t-il brûler ses derniers manuscrits et sombra dans la folie.

« Après le Revizor, écrit Gogol, je me décidai à rassembler en un seul tas tout ce que je pouvais connaître alors de mauvais en Russie, toutes les injustices qui se commettent dans les emplois et dans les circonstances où l'on doit exiger de l'homme le maximum de justice, et une fois pour toutes rire à tout cela ».

Après avoir lu les premiers chapitres, Pouchkine s'exclama : « Dieu que notre Russie est triste ! » Mais Gogol n'a jamais eu l'intention d'écrire un livre réaliste :« Je n'ai jamais aspiré à être l'écho de tout et à refléter la réalité telle qu'elle est autour de nous. Je ne peux même pas, maintenant, parler d'autre chose que de ce qui touche de près ma propre âme » Après la mort de Pouchkine qui le bouleversa, Gogol projeta de racheter son héros dans une seconde partie, puis une troisième à la manière de Dante dans sa Divine Comédie. Mais il n'y parviendra pas. Son échec l'anéantira et il jettera le manuscrit de la seconde partie au feu.

Tchitchikov est un personnage mystérieux. Il voyage dans une britchka brinquebalante en compagnie d'un valet qui pue et d'un cocher qui boit. C'est dans la description de ses domestiques et de leurs chevaux que l'on pressent à qui on a à faire. On ne comprend son projet immoral et sacrilège que peu à peu au fil de ses négociations croquignolettes avec de petits propriétaires terriens. On apprend ensuite qu'il rêve d'accéder au confort bourgeois, à un bonheur assez médiocre somme toute. le lecteur est emberlificoté par ce gaillard car il souhaite malgré lui sa réussite. D'abord son escroquerie semble légère à première vue : faire passer des morts pour des vivants afin d'obtenir des subventions. Ce n'est pas un crime bien terrible, il a même un petit côté folklorique. Et puis les propriétaires avec lesquels il négocie les âmes mortes sont pires que lui, bêtes à manger du foin, grotesques, risibles. Un sacré échantillon, pittoresque et universel, magistralement portraituré avec un souci du détail phénoménal. C'est très drôle. En plus le narrateur nous fait part de ses réflexions sarcastiques mais justes à leur sujet. On se dit c'est bien fait pour eux ! Et on rit de bon coeur, âmes égarées que nous sommes, aidés en cela par les apartés de l'auteur qui en rajoute une couche bien garnie. Mais les tractations bizarres de Tchitchikov ont fini par éveiller les soupçons des notables. le gouverneur mène l'instruction. Mais de quoi l'accuser au juste ? La scène est grotesque et absurde. Une âme n'est pas matérielle, il n'a donc rien dérobé. Il a fraudé le fisc, l'Etat mais il n'a causé de tort à personne en particulier. Ils ont été bernés par plus filou qu'eux c'est tout. Et puis pour l'administration, ce ne sont que des listes, rien de réel. Tchitchikov n'éprouvera jamais aucune culpabilité. Au contraire, à la lecture des noms de paysans et d'artisans sur les listes il a imaginé dégouté et joliment inspiré leur vie grossière de poivrots paresseux. le personnage est méprisable, méchant, diabolique. On rit jaune. On a enfin compris que les âmes mortes, c'est eux, c'est lui, c'est nous.

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Le Manteau

Pauvre Akaki Akakiévitch Savatkine !

L'obscur copiste dans un ministère - dont on préfère taire le nom pour éviter les ennuis - est un homme sans ambition mais attaché à son travail et heureux de son sort, malgré les railleries des autres fonctionnaires. Cependant, depuis quelque temps, le froid est devenu plus intense à travers son manteau usé jusqu'à la corde (une robe de chambre comme le nomme ironiquement les autres), et il doit se résoudre à en acquérir un nouveau.



C'est avec ses laborieuses et longues économies et au prix de « la réduction de ses dépenses ordinaires pendant au moins un an » – il est mal payé et ne peut espérer mieux – qu'il peut enfin commander à Petrovitch, son tailleur alcoolique, un pardessus neuf. Mais l'objet fini, qui fait d'abord le bonheur de son propriétaire et l'admiration de ses collègues, va ensuite attirer sur le médiocre conseiller titulaire perpétuel (c'est son grade) le plus grand des malheurs.



Cette bouleversante leçon d’humanité frise l’excellence pour décrire la bassesse, l’égoïsme, la vanité, l’indifférence des hommes, nous sommes profondément émus et tristes face à cette pitoyable existence qui aura toutefois un fantôme railleur et malicieux pour la venger. Le génie de Gogol est de faire du ridicule et sans grade, Akaki Akakiévitch Savatkine, un héros universel, un frère dont la misère nous atteint en plein cœur.
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Le journal d'un fou

Journal d'un fou… d'amour.

Poprichtchine, fonctionnaire au Ministère, est amoureux de Sophie, la fille du directeur qui l'ignore royalement. Les journées du non zélé conseiller titulaire sont occupées à tailler les plumes de Son Excellence et à imaginer une rencontre avec l'objet de ses fantasmes.



Comme il travaille peu ou mal - son chef de bureau ne cesse de le lui reprocher - et reste de longs moments allongé sur son lit, il a le loisir d'observer et de réfléchir, railler et critiquer tout. La canaille administration, les Juifs, les étrangers, les francs-maçons, la France, les vils artisans, les stupides finnoises, les marchands, les avoués, personne ne semble avoir grâce à ses yeux, sauf les chiens : « Je soupçonnais depuis longtemps que les chiens étaient beaucoup plus intelligents que les hommes. » Dans son délire paranoïaque, il va même jusqu'à donner la parole aux cabots et lire leur correspondance pour obtenir des informations sur sa dulcinée.



Sur le ton du comique grinçant, Gogol se sert génialement de la démence de son héros pour critiquer les privilèges sociaux d'un monde inégalitaire qui fait perdre la raison au pauvre et au misérable, sans la possibilité d'un amour rédempteur. C'est une vision, noire et pessimiste, sinistre même de la société russe et de l'âme humaine, et très émouvante.
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Les Âmes mortes

Pour aborder ce très grand classique du patrimoine littéraire russe, je disposais de deux traductions : celle de 1859 d'Ernest Charrière et celle de 2009 de Marc Séménoff (pour Garnier Flammarion). Entre les deux, plus de 300 pages de différence ! Intriguée, j'ai commencé par lire successivement un chapitre de l'une et un chapitre de l'autre. Constat : je ne pensais pas avoir un jour des reproches à adresser à Garnier Flammarion mais c'est un fait, leur traduction des "Âmes mortes" est si terriblement appauvrie, synthétisée et tronquée que j'en ai été choquée. Dès lors, mon parti a été vite pris et je me suis concentrée sur l'édition contemporaine de Gogol.



Pavel Ivanovitch Tchitchikof est un petit escroc, ancien fonctionnaire qui sillonne les contrées provinciales russes pour faire l'acquisition "d'âmes mortes". Avant l'abolition du servage en Russie, une âme désignait un serf mâle et les barines (nobles propriétaires fonciers) payaient l'impôt à l'Empereur sur le nombre d'âmes de leurs domaines. Notre héros Tchitchikof entreprend une tournée des propriétés pour racheter les âmes mortes, c'est-à-dire les moujiks morts entre deux recensements administratifs (qui survenaient environ tous les cinq ans) mais encore inscrits dans les rôles, ceci dans le but secret et obscur de s'enrichir illégalement.



A travers les pérégrinations - ou peut parler d'odyssée ! - de Tchitchikof, c'est un grand tableau social et moral de la Russie de l'époque qui se dresse verste après verste devant le lecteur qui se retrouve plongé jusqu'au cou dans un contexte unique, un voyage dans le temps époustouflant qui, s'il souffre de vraies longueurs, n'en brille pas moins par le génie de son auteur dont l'humour et le don pour la caricature servent à merveille ce qu'il définit lui-même comme un grand poème épique, masquant une très réelle satire sociale et politique.



Difficile de faire bref quand on aborde un tel roman, dont le thème fut inspiré à Gogol par le grand Pouchkine et dont le corps fut livré sans merci aux censeurs. Dans cette oeuvre colossale - dont le second tome fut publié à titre posthume -, le propos de Gogol est de présenter non pas une âme morte mais au contraire une âme bien vivante, celle de la Russie éternelle. Pour avoir voyagé en Russie et y compter plusieurs amis, en ville ou à la campagne, j'ai été frappée tout au long de ma lecture par l'actualité de l'argument et par la justesse des portraits qui sont faits des différents types sociaux qui composent le peuple russe et font l'identité de ce qu'on nomme avec romantisme "l'âme russe".



D'état d'escroc, Tchitchikof va finalement, par ruse et procédés illégaux, se hisser jusqu'aux fonctions les plus élevées et terminera sa carrière en qualité de maréchal de gouvernement - c'est-à-dire maréchal de la noblesse de son district. A ses yeux, la fin justifie les moyens et Gogol le conforte dans cette vue, son dessein d'auteur étant de montrer plus que de dénoncer la corruption éhontée de l'administration, la crasse et l'ignorance de la paysannerie et l'oisiveté des nobles et des nantis.



"Politique, diplomatie, administration intérieure, justice, hommes, choses, défauts, préjugés, vices, abus nombreux, variés, universels, il acceptait, il protégeait, il adorait tout, tout ce qui était en Russie, tout ce qui était russe, parce que c’était russe, parce que cela existait au profit de la noblesse dans son pays, parce que, à travers tout cela, le Russe habile, en dirigeant bien la barque de ses convoitises, pouvait, même sans talents particuliers, sans génie, sans services illustres, arriver à la noblesse, à la fortune, aux honneurs, et rêver même les plus grandes dignités ; et que les vices, les torts, les crimes, les anomalies et les fréquentes contradictions d’un état de choses où tout le monde croit au mal et personne à la loi, avaient à ses yeux leurs bons côtés pour les ambitieux, et, en tout cas, le droit de prescription. Que trente millions de familles, serfs et bourgeois, restassent immolées aux jouissances douteuses, à l’existence de luxe barbare et de fantaisies insensées souvent sauvages, de trois cent mille satrapes, appuyés sur un million de hobereaux corrompus et flanqués de trois ou quatre mille nababs juifs, grecs ou mongols, il n’y voyait pas d’inconvénient pour la patrie." (Chant XX)



Les Russes adorent "Les âmes mortes" malgré tout ce que l'oeuvre dénonce de leur état d'esprit et de leurs manières ; et il n'y a pas à s'étonner de cet engouement car le paradoxe est viscéralement au cœur de "l'âme russe". Avec "Les âmes mortes", on peut dire que si Gogol doit beaucoup à Pouchkine, la Russie doit beaucoup à Gogol.





Challenge XIXème siècle 2017

Challenge PAVES 2016 - 2017

Challenge MULTI-DÉFIS 2017

Challenge Petit Bac 2016 - 2017
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Théâtre complet

Le théâtre de Gogol, et quoi qu'on puisse essayer de vous faire croire en vous présentant quelques embryons d'autres, ce sont surtout et principalement trois pièces. Ces trois pièces sont des comédies, bien que l’auteur ait probablement eu le dessein et la carrure d’aller vers d’autres types de représentations dramatiques, il ne concrétisa jamais ses autres projets.



La plus célèbre de ces trois pièces est bien évidemment Le Révizor. Viennent ensuite Les Joueurs et Le Mariage. C'est donc sur ces trois pièces que je vais m'appesantir.



1. LE RÉVIZOR

Comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’une comédie, certains diront même d’une farce. Quelques éclaircissements sur son titre : dans une bourgade de province, où tout fonctionne à la va-comme-je-te-pousse, où tout le monde abuse de son pouvoir, aussi infime soit-il, détourne, et sans complexe aucun, plus ou moins d’argent public et privé selon ses attributions et son statut, tout aurait dû rester paisible s’il n’était cette détestable nouvelle.



On annonce au Gouverneur qu’un Révizor, c’est-à-dire une sorte de super contrôleur envoyé par le gouvernement impérial, va arriver de Pétersbourg pour examiner dans le détail tous les aspects du fonctionnement (et ce faisant épingler les dysfonctionnements) de cette ville quitte à faire sauter au besoin quelques têtes et à redonner quelques tours de vis. Vous imaginez le branle-bas de combat dans les chaumières vu que tout le monde sans exception à des exactions sur la conscience et des petites magouilles à se faire pardonner.



Peut-être est-il bon de ne point trop vous en dire et de vous laisser découvrir comment nos braves fonctionnaires vont s’y prendre pour tenter de soudoyer le révizor et d’acheter sa clémence. Gogol bombarde à qui mieux-mieux et tous azimuts. Tout le monde en prend pour son grade, gouverneur, juge, inspecteur scolaire et d’établissement de bienfaisance, directeur des postes, commissaire de police, fonctionnaire, marchands, hommes, femmes, bref, tout le monde est incompétent, corrompu et corrupteur, poltron, stupide, cancanier et, en un mot, a tout pour plaire.



C’est drôle et grinçant de bout en bout, même si l’on peut éventuellement faire un petit reproche à l’auteur, sur l’aspect parfois redondant du burlesque qui alourdit inutilement une pièce en cinq actes, par ailleurs, très réussie et rafraîchissante.



Je sens qu’à mesure que je lis et découvre de nouvelles œuvres de Nicolaï Gogol, celui-ci se hisse peu à peu dans mon panthéon personnel des auteurs que j’affectionne le plus, même si j’ai pleinement conscience de passer à côté de bon nombre des effets comiques distillés en langue russe et qu’André Markowicz essaie de rendre en modifiant les noms des personnages.



J’en veux pour preuve la simple évocation des noms de famille des protagonistes où par exemple le nom du juge Liapkine-Tiapkine fait penser à la chair à saucisse, le directeur des postes Chpékine à une tache, le commissaire de police Oukhovertov à une oreille espionne, le surveillant des établissements de bienfaisance Zemlianika (qui est un ivrogne) à une fraise ce qui évoque l’aspect du nez du personnage, l’inspecteur scolaire Khlopov à du coton ou du kapok ce qui en dit long sur la densité de sa réflexion, les agents de police Svistounov, Pougovitsyne et Dierjimorda respectivement siffler, boutonneux et intimidateurs, etc., etc.



Certes certains passages sont un peu moins bons, mais d’autres sont tellement tordants qu’ils méritent vraiment d’être découverts. Je vous le conseille donc sincèrement, ce Révizor, si vous voulez vous marrez à moindre coût, comme vous empoigneriez une bonne vieille BD de Goscinny pour vous changer les idées.



2. LES JOUEURS

Oh ! grand merci Nicolai Gogol ne nous avoir écrit cette agréable petite comédie, si rafraîchissante, si plaisante, si drôle et si truculente. Que ça fait du bien de lire ça ! (Je rappelle pour les cinéphiles et autres amateurs de N&B qu'il existe une très ancienne adaptation télévisuelle de cette pièce avec, tenez-vous bien, Michel Piccoli, Jean-Pierre Marielle et Claude Rich, pour ne citer qu'eux.)



Quel est le sujet de cette petite pièce en un acte ? Le jeu, l’argent et la triche.

Ce thème, notamment la folie du jeu, a été copieusement exploité par les écrivains, notamment par Dostoïevski ou Zweig (c'est loin d'être les seuls). Ici, l'auteur choisit un angle quelque peu insolite ; l'envers du décor, ou disons simplement, les préparatifs d'une arnaque minutieusement montée. En ce sens, Gogol se rapproche plus du traitement qu'aurait pu y conférer un Balzac plutôt qu'un Dostoïevski ou un Zweig.



Le synopsis, le voici :

Un fameux roublard, en la personne de Ikhariev, arrive dans une petite ville de province avec pour dessein de plumer quelques pigeons grâce à sa savante technique de triche aux cartes, laquelle technique éprouvée dans une province voisine lui a rapporté quatre-vingts mille roubles le mois dernier.



Dans la petite auberge où il échoue, il tombe sur trois clients, Chvokhniev, Krougel et Outièchitelny, qui s’avèrent être d’aussi tristes sires que lui-même, eux aussi en quête de gogos à détrousser. Éprouvant leurs savoir-faire respectifs, ceux-ci décident de s’associer pour écumer le moindre rouble qui décidera de se présenter.



C’est alors que Chvokhniev et Krougel exhortent vivement Outièchitelny de tenter une nouvelle fois de débaucher le vieux Glov, un gros propriétaire malheureusement réputé pour sa sobriété et son aversion pour le jeu. Je ne vous en dis pas davantage afin de ne pas vous gâcher le plaisir de la découvrir, si vous ne la connaissez.



Un peu à la façon des Nouvelles de Pétersbourg ou du Révizor, la comédie est truffée de petites piques à l’adresse des fonctionnaires, de second degré et de sous-entendus.



À ce jeu du plus fin, qui sera le plus fin ? L’arroseur arrosé ou l’arnaqueur arnaqué ? Qui sera le plus malin, qui saura déjouer les filouteries des filous et jouer les joueurs ?



Il est à noter que Gogol nous donne des indices et comme souvent avec les pièces russes, la traduction échoue à restituer cette dimension. Ainsi Krougel (nom traduit en français) est d’origine allemande, ce qui évoque (n’oublions pas que Nicolai Gogol est parfaitement polyglotte) pour les germanophones « der Krug », la cruche. Il en va de même pour Glov, qui veut dire en russe « le gant » et que penser de Outièchitelny qui signifie littéralement « réconfortant » ou du moins l’idée de consolation.



En guise de conclusion, je dirais que cette comédie est écrite tout en finesse, avec drôlerie et également une bonne dose d’ironie caustique comme l’auteur sait si bien le faire. Je la conseille donc très volontiers, et aurais tendance à en faire ma préférée.



3. LE MARIAGE

Comme nous le dit le sous-titre, il s’agit ici d’une « aventure parfaitement invraisemblable », certains diront même, gratuite, bref, un prétexte à écharper ceux qu’il aime à ridiculiser et qui sont ses cibles favorites.



Je tiens à préciser que cette nouvelle traduction d’André Markowicz pour Actes Sud est bien la même pièce que celle qui apparaît sous le titre « Hyménée » dans l’édition de La Pléiade de traduction plus ancienne.



C’est aussi l’occasion de préciser qu’André Markowicz a tenté de reproduire l’effet comique ou grotesque produit, dans la version russe, par les noms des personnages et qui est fatalement perdu en français. Voilà pourquoi il ne faut pas s’étonner des noms différents des mêmes personnages dans les différentes traductions.



En deux mots, Kapilotadov, un fonctionnaire bon à rien et ayant un emploi fictif songe mollement à se marier et recourt aux services d’une marieuse professionnelle en la personne de Fiokla.



Celle-ci prétend lui avoir débusqué la perle rare, une certaine Agafia Agafonovna. Kapilotadov qui semblait plus amusé par le fait de discourir des qualités et mérites de fiancées potentielles que par l’augure d’une mariage effectif se retrouve tout chamboulé lorsque l’heure arrive de rencontrer sa Dulcinée en chair et en os.



Un ami de Kapilotadov, Plikaplov fait irruption et décide de congédier la marieuse et de conclure manu militari ce mariage entre Agafia et son ami trop indécis.



Le hic, c’est que Fiokla a bien fait son travail et qu’une demi-douzaine de prétendants se massent à la porte de la promise. Celle-ci devra donc faire son choix parmi ce fretin, menu et gros, que Gogol prend un malin plaisir à ridiculiser ; commerçants, fonctionnaires, militaires, les compliments pleuvent de toutes parts.



Dans ce ridicule cortège, Plikaplov joue des coudes pour Kapilotadov et, pied à pied, gagne du terrain pour son poulain en évinçant les gêneurs...

Je vous laisse jouir de la chute si vous ne la connaissez pas. Sachez néanmoins que cette pièce n’est pas à mon sens la meilleure de son auteur, quoique très drôle par moments. On ne sait trop où Nicolaï Gogol veut en venir et c’est un peu dommageable pour l’impression d’ensemble.



Derrière ces trois pièces maîtresses, on trouve aussi quelques petits amuse-bouches. Des mini pièces ou des fragments de pièces, pas désagréables, mais pas non plus à tomber par terre.



Dans l’ensemble, les traductions d’André Markowicz sans changer fondamentalement (sauf pour les noms de famille) par rapport à l’offre déjà existante donnent un petit coup de neuf, un dépoussiérage (mais qui lui aussi, dans quelques décennies paraîtra très probablement désuet) à l’œuvre théâtrale de Nicolaï Gogol et qui vaut le détour, du moins, c’est mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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Nouvelles de Petersbourg

Quel coup de poing formidable dans l'édifice parfois poussiéreux de la littérature ancienne que ce recueil! Moi qui ne suis normalement guère adepte de nouvelles, celles-ci m'ont ravi au plus haut point. Cinq nouvelles à la fois cohérentes entre elles et toutes bien singulières.On pourrait les définir dans l'ensemble comme fantastiques, ironico-caustiques et le plus souvent avec une belle pointe de drôlerie. On pourrait dire que Gogol fait de la nouvelle fantastique engagée, car il est notamment très virulent à l'égard des fonctionnaires (de l'époque, c'est-à-dire du Tsar) et des hautes classes de la société en général. Comme leur nom l'indique, elles ont toutes pour cadre la ville de Pétersbourg, actuelle Saint-Pétersbourg.

Ma préférence va probablement à celle intitulée "Le manteau". Dans cette nouvelle, Nicolas Gogol nous accoquine au quotidien d'un modeste copiste, fonctionnaire mal payé d'un ministère, qui arbore un manteau si élimé qu'il laisse presque voir le jour, ce qui n'est pas sans conséquence quand on connait le climat de cette ville (surtout à l'époque, le réchauffement n'était pas encore passé par là!). Le grand événement de sa petite vie va donc être l'acquisition d'un nouveau manteau, qui représente une fortune pour sa maigre bourse.

"Le journal d'un fou" est une nouvelle où au travers du journal intime d'un fonctionnaire on assiste à son naufrage dans la folie, par touches, par degrés successifs.

"Le nez", peut-être la plus corrosive de toutes, est vraiment comparable à du Kafka (en plus drôle et plus caustique), où l'absurde tient une place prépondérante. On pourrait hasarder beaucoup d'interprétations à propos de cette nouvelle à la signification ambiguë. J'y vois pour ma part une dénonciation de la société des apparences et de la superficialité, on dirait aujourd'hui "le monde bling-bling". Néanmoins (je sais, c'est facile le coup du nez en moins!), bien malin celui qui pourrait se vanter de déceler l'ampleur que l'on peut faire porter à un tel texte où si peu de notions sont explicitement assumées et où tant sont suggérées.

"La perspective Nevsky" traite du destin de deux jeunes hommes frappés au même instant par la vue d'une femme (différente) dans cette rue qui se nomme la perspective Nevsky. L'un, peintre, romantique, l'autre, militaire, irrévérencieux.

"La calèche" est une toute petite nouvelle, qui étonnamment ne se déroule pas à Pétersbourg mais dans une bourgade peu engageante et où l'on assiste à une bouffée d'esbroufe d'un citoyen peu tenace à l'alcool, ce qui est un péché lorsqu'on est russe!

Enfin, "le portrait" est une nouvelle plus symbolique, très personnelle sur le monde artistique, où l'auteur livre manifestement un certain nombre de ses convictions sur l'art. Le destin d'un jeune peintre malheureux va être bouleversé par l'acquisition d'une toile à quatre sous achetée chez un marchand de croûtes.
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Les Âmes mortes

Si tant bien portraiturés qu’aussitôt je m’encanaille à les fréquenter, les personnages des Âmes mortes qui rejaillissent sous la plume de l’auteur, puis sous le trait accentué de Marc Chagall, (édition du Cherche Midi) lequel force à souhait, la rondeur, des figures aux caractères, ou brossant le crin de quelque animal. Comme il est plaisant de s’en aller fureter et d’antres se repaître, entre les pages illustrées jalonnant la campagne russophone de Nikolaï Gogol. Chacun reflétant un unique aspect, le très bon Appatov, la mièvre dame Kassolette, ce bandit de Nasov, l’ours grosse pogne Kabotievitch et sa longiligne Théodulie, ainsi que le rustre et avare Pluchkine. Et en avant la troïka : « Allez, mes gaillards » dit Sélifane le cocher, ici, tout vit, du bai, du truité et de l’alezan, l’animal n’est pas en reste, qui des chevaux aux gens de peu ou l’inverse, il n’y a pas d’avant après.

―La clochette sonne à tout va, mélodieuse, l’air déchiré gronde et se fait tempête, tout, tout ce qui est au monde défile vers l’arrière, cependant que, lui jetant des regards obliques, États et nations se rangent pour lui livrer passage…

Ainsi s’achemine une histoire qui n’a pas de fin, telle est la consonance du poème de Gogol qui perdure dans le temps tandis que s’élèvent les âmes et se figent les desseins dans l’imaginaire destination d’un Tchitchikov volant.

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Tarass Boulba

The Top of Epicness !

Je me suis régalé. Hors quelques défauts, notamment des soucis de temps des verbes (passé et présent sont mélangés, je ne sais si c'est voulu par Gogol ou des erreurs de traduction, vu que j'ai lu l'édition Kindle gratuite), et une rapidité de récit parfois frustrante.



On dirait un résumé de mes histoires de dark fantasy préférées, en plus sauvage, guerrier, rebelle et sanguinaire. Et bien si c'est possible !

Tarass Boulba est déjà un "vieillard" dans l'histoire, mais quel vieillard, quel foutu caractère, Druss n'a rien à lui envier. Les Cosaques sont réputés pour leur talent guerrier et leur cruauté, bah ça y est, je sais pourquoi !



Un conseil : ne lisez pas cet idiot de quatrième de couverture qui dévoile tout si vous ne connaissez rien de cette histoire, comme moi. C'est bien plus palpitant et passionnant de la découvrir en lisant.



Un peuple et des coutumes fascinants, bon, faut pas être bégueule, pas être sensible (les têtes volent facilement et il y a du sang partout !), et pas râler parce que ce sont de vils machos qui en ont rien à fiche des femmes, pour la plupart. Et ceux qui en ont quelque chose à fiche, ben je vous laisse découvrir leur destin.



Tarass Boulba devient mon N°1 devant tous les autres classiques russes que j'ai lus jusque là ! Je suis fan ! A l'attaque et que les meilleurs meurent les derniers !
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Dans la datcha de Gogol

Que l'on m'apporte mon ..........?............. Les soirées sont fraîches à Saint Petersbourg, et voyez- vous... d’ailleurs... selon moi... je le crois encore bon... sauf un peu de poussière... Eh ! sans doute il a l’air un peu vieux... mais il est encore tout neuf... seulement un peu de frottement... là dans le dos...

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