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Citation de Cielvariable


« Vous ne savez pas tous ce que signifie cet insigne ? Vous allez l'apprendre, très vite ! […] Jean avait 19 ans. C'était un ouvrier de la fabrique. Un beau jeune homme, le meilleur tisserand de notre usine. […] Nous nous connaissions depuis l'enfance, nous avions partagé nos premiers jeux, puis, en grandissant... nous découvrîmes notre amour. » […] Nous nous aimions ! » martèle Achille en parcourant des yeux la foule muette, guettant peut-être un mouvement, une critique, un jugement dans les dizaines de regards braqués sur lui. Mais personne ne bronche. […] Jean m'avait fait découvrir mon attirance pour les garçons. L'époque était dangereuse pour ceux de notre espèce, car l'homosexualité était punie de prison sous le régime de Vichy et, même si ma position sociale me protégeait quelque peu, j'aurais brisé le cœur de ma mère si je lui avais révélé mes penchants. Quant à Jean, le milieu ouvrier était pétri d'intolérance. Nous nous rencontrions donc en cachette dans un refuge caché au fond de ce parc, la nuit. C'est là que, un soir, les miliciens nous surprirent. Après nous avoir molestés, ils nous livrèrent à l'administration allemande. […] La suite ? Des convois étaient organisés en direction des grands camps d'internement...» […] Dans le camp, l'administration nazie nous avait attribué des insignes : noirs pour les asociaux, verts pour les "droit commun", roses pour les homosexuels. Je ne sais par quel miracle je me vis classé parmi les "droit commun". Un sort plus enviable que le fameux triangle rose qui signalait les déviances sexuelles... Jean, lui, arborait ce maudit symbole qui le livrait autant aux sévices des geôliers qu'aux brimades des détenus. Il [Jean] ne travaillait plus avec nous. Il faisait, à présent, de longs séjours dans un bâtiment isolé. Au début, j'en étais heureux pour lui […]. Pourtant, il me semblait le voir s'affaiblir, il n'était plus que l'ombre de lui-même, mon beau tisserand, émacié, décharné, fuyant les regards. Des bruits couraient sur ce pavillon : un médecin allemand y expérimentait de nouveaux vaccins contre le typhus ; les Tziganes, les asociaux lui servaient de cobayes. On parlait même de castration pour les homosexuels... […] Un soir, on nous rassembla sur la plate-forme où, d'habitude, se déroulait l'appel. […] À cause de ma petite taille, j'étais placé au premier rang, près d'un jeune asocial à la peau mate qui travaillait dans la même unité que la mienne. À son teint, je le croyais espagnol ou italien, car nos crânes rasés, nos allures faméliques, nos uniformes de détenus gommaient tous les indices sociaux. Il ne se liait à personne, mais un jour où j'étais prêt à tomber d'épuisement, il avait détourné l'attention du Kapo afin que je puisse reprendre mon souffle. Au bout d'une attente interminable, trois maîtres-chiens arrivèrent, accompagnés de leurs bergers allemands en laisse, et un officier se campa face à nous, jambes écartées, pour lire une déclaration. Je compris qu'un prisonnier avait tenté de s'échapper. […] On amena le détenu, le visage défiguré par les coups, les vêtements en lambeaux. Il fallait le porter tant il avait été battu. Je reconnus Jean. J'allais hurler, lorsqu'une main brune se plaqua sur ma bouche. Mon voisin me glissa en espagnol : "Tais-toi". Ils agenouillèrent Jean de force, lui placèrent un sac sur la tête... Et ils lâchèrent les chiens sur lui. […] Je ne me souviens pas des jours qui suivirent. Le garçon qui m'avait soutenu venait me voir. Dès qu'il le pouvait, il me déchargeait des tâches les plus lourdes, me glissait un peu de nourriture. C'était Lazlo. J'appris, grâce aux bribes d'espagnol que je connaissais, qu'il était gitan. Sa tribu avait été dispersée, nombre d'entre eux se retrouvaient dans les camps. »
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