L'enfance est une herbe verte dans le sang. Luxuriante.
Parfois, elle tente de s'échapper par une chute, des genoux écorchés.
Une plaie - il n'y a pas de belle blessure - dont il faudra essayer de refermer les lèvres. Alors, il vaut mieux qu'elle s'écoule par la bouche. Consentie. Heureuse d'être sur la langue.
Loin dans l'âge.
Mon père disait en riant que j'étais née une nuit où il n'était pas sorti pêcher les étoiles. Il parlait toujours ainsi des nuits magnifiques - qu'il n'aurait manquées pour rien au monde - où elles tombaient à la mer, à foison.
Pourtant, il ne faisait jamais pêche par des nuits pareilles, où il fallait même étouffer ses propres pas, nus sur le pont de la barque. Pour ne pas effrayer les poissons.
La mer, me disait-il, n'est prodigue que lorsqu'elle est mauvaise. Et la pêche bonne, quand elle cogne, d'une écume qui leur trouble la mémoire.
A présent, je sais que je suis née une nuit de mer furieuse.
Une nuit de corps alanguis, barques amarrées loin de la grève
Dans la maison, Rose est à la fois fleur et miel pour sa petite famille... Elle tresse de vrais bouquets de caresses qu'elle dépose sur la tête de ses trois garçons. Elle les attache à l'infini avec toute la douceur de son regard.
Marcher dans les pas de nos aïeux dépose en nous la face cachée des choses souterraines. Le plus triste, me dis-je, est d'avoir perdu leur voix, de ne plus les entendre s'exprimer dans leur langue rocailleuse affolée par les bourrasques.
(p. 21)
L'odeur du jasmin
J'ai toujours su qu'un jour je reviendrai. C'était – pourquoi ? je l'ignore – une certitude mais, comment dire, nimbée d'un sentiment diffus dans la coquille de mes jours.
J'ai toujours su que je ferais retour. Et peu importe, me disais-je, que ce retour se fît en rêve, hors de toute réalité, ou encordé, sur des chemins de poussière.
Le retour joue des tours. Se retourne. Il est tout. Eau verte. Suit les méandres de l'incertain. En quête de joie. D'aube violette.
Le retour est retour au lieu. Il se fait de par passages secrets. Rivières souterraines. Ruelle moites. Escaliers. Souvenirs. Retour au lieu de. En lieu et place de.
L'enfance ?
Je revois, la nuit, le clocher du village, trônant en majesté, toisant la pleine, haute tour comme on dirait de guet et autour de laquelle s'organisait le ballet strident des corneilles.
Comment dire la nature du retour ? L'odeur du jasmin sous le vent ?
À rebours de mémoire. Un instant.
(p. 13)
Il ose juste un vague signe des doigts, longtemps après qu'elle soit passée comme pour retenir sa trace.
J'avais la sensation de tout savoir sur cette plage. D'en connaître chaque galet. Et les interstices entre chaque galet. Où la mer se faufilait comme un crabe un peu gauche. Furtive et éphémère. Le frisson de l'eau devant l'écume. Toujours. Avant que tout ne se perde dans la mémoire du sable.
(p. 24)
[...] les grues. Immenses oiseaux de fer blanc perdus après un long cou de girafe, elle construisent pour les hommes des nids en pierre qu'on n'abandonne jamais à l'automne.