AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de James Baldwin (265)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Meurtres à Atlanta

James Baldwin est une icône de la condition afro-américaine aux Etats-Unis, et il porte le drapeau, associé à celui de l’homosexualité, double peine dans cette nation aux idées corsetées dans des principes aliénants et iniques.



Dans ce récit, James Baldwin s’appuie sur une série de meurtres perpétrés sur des enfants et adolescents,, 28 en deux ans, et tous noirs. A la barre, un accusé idéal, noir, lui aussi, et reconnu coupables de deux meurtres, concernant des adultes. Dans la foulée, il fut aisé, en accumulant des indices ténus et discutables, de lui attribuer la responsabilité des meurtres d’enfants.





Le récit se décline comme une enquête policière, et analyse les arguments de l’accusation, qui a de plus pris appui sur des techniques récentes et révolutionnaires, comme la recherche des « fibres ». Le juge avait un but : prouver par tous les moyens que Wayne Williams était l’auteur de tous ces meurtres, ce qu’il n’a jamais reconnu, et ceci quels que soient les arguments et preuves, parfois sidérantes, qui seraient utilisées.





A partir de cette affaire, l’auteur pose la question de la place des noirs dans son pays. En revenant sur les origines, l’histoire et les postulats sur lesquels s’est créée cette entité multiforme que sont les Etats-Unis. Il pointe aussi du doigt la responsabilité de l’économie et de la place prépondérante qu’elle a prise dans notre monde, qui ne voit que par la valeur marchande des biens, fussent-ils humains. Il refuse également la notion de couleur de peau qui est une aberration si on l’utilise pour créer des catégories humaines. A moins que la vraie raison soit ailleurs.



Un plaidoyer d ’une logique implacable, mais que pèse la logique dans une société qui se prosterne devant le dieu du commerce ?
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          771
Un autre pays

Another country?  C'est  d'abord la mort. Le grand saut dans le vide, du haut du pont de Brooklyn, au fond de l'Hudson : au coeur de la nuit noire, au fond de l'eau noire, Rufus le musicien noie son noir désespoir. Son désespoir de Noir americain. Faute d'un ailleurs où il pourrait aimer et être aimé.



Another country ? C'est Manhattan, ce microcosme de l'intelligentsia new yorkaise où noirs et blancs vont aux mêmes fêtes, aux mêmes concerts de jazz, aux mêmes événements culturels. Dans ce "monde à part" des USA des années soixante, noirs et blancs s'aiment, se désirent , couchent ensemble, vivent ensemble.  Se quittent.  Comme Ida, la chanteuse  et Vivaldo l'écrivain. 



Another country?  C'est parfois l'exil. Celui que choisit , provisoirement,  Eric, acteur et dramaturge,  pour fuir l'humiliation et la persécution que lui vaut, dans certains coins de son pays natal, sa double condition de noir et d'homosexuel.



Another country, c'est, en un mot,  la négritude.



Même pour les Noirs américains les plus écoutés, les plus lus, les plus admirés, les plus apparemment intégrés.



Même aux yeux des  blancs les plus ouverts, les plus militants, les plus solidaires ou les plus amoureux.



Même dans un cocon privilégié comme Manhattan.



Même dans  l'exil ensoleillé  de la Provence. 



Ce "continent noir" marqué par quatre siècles d'esclavage ne s'efface jamais des mentalités, reste inscrit  dans  les corps comme au fer rouge,  est  rappelé sans cesse par le nom des anciens maîtres qui tient lieu d'état civil , se trahit dans les regards, dans les hésitations, les méfiances, les ellipses, les généralisations.



Another country , Un autre pays est un roman centré sur un petit groupe d'intellectuels. Noirs et blancs, tous amis, ou amants, tous artistes, cosmopolites, généreux, avec des problèmes ordinaires de couple ou d'amitié,  des problèmes de succès, de sympathie ou d'antipathie, d'alcool ou de drogue, de sexe ou de solitude, de confiance, de désir, de solidarité ou d'indifférence. Les problèmes de tout le monde.



Sauf que cette terre étrangère, cet "autre pays"  où vivent certains d'entre eux - Rufus, Ida, Eric- complique leurs échanges, fausse la donne, obscurcit les perspectives, précipite les drames.



C'était mon premier James Baldwin, après le magnifique I am not your negro vu à l'écran.



Je l'ai dévoré le coeur serré.  Presque au bord des larmes parfois.



Et j'ai beau me répéter que le livre date des années soixante,   le bruit et la fureur des manifestations Black lives matter provoquées par l'assassinat de Georges Floyd aux USA et dans le monde me rappellent clairement que rien, profondément, n'a changé depuis, malgré les lois d'intégration raciale, les mesures  de parité forcée ,  malgré Barack Obama,  ce "président noir" promis aux noirs  américains par Bob Kennedy.



On retombe toujours dans les mêmes tristes ornières. Et Donald Trump succède à  Obama...



Il y a quelque chose de désespérant dans la rémanence obstinée d'Un Autre Pays quand on voudrait tellement voir l'avènement d'un pays autre.
Commenter  J’apprécie          615
Si Beale Street pouvait parler

James Baldwin nous plonge dans ce roman, dans les années 70, à Harlem, alors peuplé de population presque exclusivement noire.

Avec une écriture riche et forte, il nous emmène au cœur d'une histoire d'amour entre deux jeunes noirs américains qui il faut le dire se termine mal.

L'amour est puissant dans ce roman tant dans ce jeune couple que dans leurs familles. Mais, la toile de fond prégnante de ce livre, c'est la peur et le racisme. Le jeune homme est accusé d'un viol qu'il n'a pas comis, jeté en prison sans espoir.

Ce roman est le récit d'une machination qui broie l'homme noir. Il ne peut y échapper, n'a pas de moyens pour contrer son destin.

Une très belle écriture nous dépeint ce monde impitoyable, là où l' espoir s'amenuise au fil des pages de faire libérer cet homme.

Le quartier d'Harlem, aujourd'hui à changé, il paraît même qu'il est devenu " bobo" mais le regard et le pouvoir des hommes sur d'autres restent malheureusement déterminant.

Si Beale Street pouvait parler ne peut que nous toucher à la façon violente d'un coup de poing.

Commenter  J’apprécie          585
Meurtres à Atlanta

En l’espace de deux ans, environ, vingt-huit enfants dont l’âge varie de 7 ou 16 ans, ont été assassinés. Le seul point commun : ils sont tous noirs, issus de familles pauvres. L’enquête piétine, on évoque au passage la main du Ku Klux Klan, dans cette ville du Sud, dont les dirigeants sont noirs. On n’envisage pas d’emblée que le tueur puisse être noir, jusqu’à ce que le FBI mette en évidence ce qu’il a appelé « un faisceau d’indices » et curieusement un homme noir est arrêté.



Mauvais endroit au mauvais moment ? il aurait été trouvé sur les lieux d’un des crimes mais pourquoi ? Tout ceci est un peu capillotracté car on va le juger en fait sur deux meurtres, en sous entendant qu’il est coupable des autres aussi, c’est tellement plus simple.



James Baldwin, appelé à se rendre à Atlanta va essayer de décortiquer l’histoire, en mettant en parallèle des notions fortes : les relations entre Blancs et Noirs, la déségrégation qui pour lui aurait été la solution plutôt que l’intégration. Il met en relation la pauvreté, qui est toujours dans les mêmes quartiers, et la manière dont ces enfants sont souvent dans la rue, car ils y sont mieux qu’à la maison, et non pour le plaisir de traîner la nuit.



Il pose la question de la culpabilité : est-on coupable d’office si l’on est noir ? est-ce que Wayne Williams est vraiment le meurtrier ou était-il temps de mettre un terme à ce drame pour calmer le jeu ? il est le coupable idéal car c’est un jeune homme peu agréable, arrogant, qui avait tendance à être violent avec ses parents : le mauvais garçon, qu’on n’a aucun scrupule à condamner d’office. (Même si d’autres meurtres ont été commis pendant son incarcération) …



Comment les jurés ont-ils peu le désigner coupable et le condamner sans véritable preuve ?Certes, je le répète, c’est le climat engendré par ces meurtres qui l’a conduit au banc des accusés. D’un point de vue judiciaire, il est accusé de deux assassinats. Et pourtant, il est présumé coupable de vingt-huit meurtres, pour lesquels il est jugé sans être inculpé !



James Baldwin revient, avec brio, sur l’esclavagisme, la manière dont s’est déroulée la période après l’abolition de l’esclavage, le poids de l’homme blanc dans l’exploitation des pauvres, les effets de la colonisation, la manière dont les différents présidents américains ont été élus, et sur quels critères, et surtout la manière dont ils ont envisagé le racisme et la lutte éventuelle à mener pour en venir à bout, dans ce pays où la violence est omniprésente et où les marchands d’armes sont tout puissants.



Il aborde aussi l’Afrique du Sud et l’Apartheid, et il n’aura pas eu la chance de connaître, de son vivant, Madiba président…



Autre question soulevée : les soldats noirs ont un comportement héroïque pendant les guerres, mais ils ne seront pas mieux considérés pour autant, ceci se retrouve aussi dans les guerres plus récentes (Afghanistan, Irak…) ils ont le droit de mourir en héros, mais s’ils reviennent ils doivent faire à nouveau profil bas, situation que l’on peut retrouver dans les pays colonisateurs.



Il évoque aussi la notion de communauté qui ne doit pas aboutir à une exclusion ou encore le fait que certains voudraient être des blancs et se comportent comme eux. Il compare aussi la situation à Harlem à celle d’Atlanta, rivant son clou au passage à « autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell bien trop complaisante à ses yeux.



Il y a longtemps que je voulais me plonger dans un texte de James Baldwin et je n’ai pas été déçue du voyage, sa démonstration est brillante, même si elle ne peut rien changer au cours des choses, l’affaire étant considérée comme résolue. Le raisonnement de l’auteur est brillant, même si on n’est pas toujours totalement en accord avec lui. Afin de ne pas trop divulgâcher, j’ai choisi de limiter ma chronique aux éléments du discours de l’auteur qui m’intéressaient le plus, mais il évoque beaucoup d’autres thèmes tout aussi passionnants les uns que les autres.



Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de découvrir ce livre qui est toujours terriblement d’actualité et n’a pas pris une ride trente-cinq après avoir été publié pour la première fois. C’est le genre de livre qu’il faut déguster en prenant son temps et dont je pourrais parler pendant des heures, alors un conseil : si ce n’est pas déjà fait, lisez-le !
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          560
I am not your Negro

J'ai découvert James Baldwin dans le fabuleux documentaire de Raoul Peck "I am not your negro". Celui-ci est véritablement d'utilité publique et devrait être projeté dans les écoles.

Immédiatement, j'ai été touchée par cet homme brillant, éloquent, inspirant.

Je l'ai tout de suite estimé et admiré.



Le livre et le documentaire sont un écho l'un de l'autre, mais s'apportent l'un à l'autre une richesse. Tantôt on se concentre sur le poids des mots, tantôt les images nous transpercent l'esprit.

Je veux saluer, vraiment, l'extraordinaire travail réalisé par Raoul Peck pour avoir, pas seulement su exploiter, mais transcender les notes éparses que James Baldwin destinait à l'écriture d'un livre à jamais inachevé. La mort nous l'en ayant privé.



I am not your negro c'est "L'histoire des Noirs en Amérique, c'est l'histoire de l'Amérique. Et ce n'est pas une belle histoire."



Le projet de livre de James Baldwin était de parler de trois grands activistes noirs qu'il a côtoyés, tous décédés assassinés en l'espace de cinq ans, à moins de quarante ans.



Le moins connu d'entre eux (du moins en Europe), est Medgar Evers. James Baldwin dit ceci de lui "(...) je me suis souvenu de son visage, lumineux, franc, beau, et de la lassitude qu'il portait comme une seconde peau (...)

et de ce qu'il m'avait raconté sur les haillons d'un homme lynché

qui pendaient de l'arbre,

battant au vent pendant des jours,

et qu'il avait dû passer chaque jour devant cet arbre."



Malcom X ensuite, il dit de lui "Quand Malcom X parle, ou quand les autres prédicateurs du mouvement musulman parlent, ils mettent des mots sur la souffrance de tous les Noirs qui les entendent et les écoutent. Cette souffrance qu'on nie depuis si longtemps dans ce pays. De là vient la grande autorité de Malcom sur ses publics. Il confirme leur réalité. Il leur dit qu'ils existent vraiment, vous savez."



Martin Luther King, le troisième grand leader noir à qui James Baldwin souhaitait rendre hommage répondait aux dissensions existant entre la philosophie de Malcom X et la sienne comme "du Noir comme créature docile qui tend l'autre joue", King répondait donc "Nous ne sommes pas engagés dans un combat où nous nous asseyons sans rien faire. Il y a une grande différence entre la non-résistance au mal et la résistance non violente".

Malcom X voyait en lui "un Oncle Tom du XXè siècle".

James Baldwin quant à lui soulignait "Le Noir n'a jamais été aussi docile que les Américains blancs ont voulu le croire. C'est un mythe. Nous n'étions pas en train de danser et de chanter, là-bas sur la jetée. Nous étions en train d'essayer de rester en vie; nous étions en train d'essayer de survivre à un système extrêmement brutal. Le "négro" n'a jamais été heureux d'être là".



Dans un discours en 1963, James Baldwin nous renvoie à nous-mêmes et nous pose la question :

"Ce que les Blancs doivent faire, c'est essayer de trouver au fond d'eux-mêmes pourquoi, tout d'abord, il leur a été nécessaire d'avoir un "nègre", parce que je ne suis pas un nègre, je suis un homme. Mais si vous pensez que je suis un nègre, ça veut dire qu'il vous en faut un. La question que vous devez vous poser, que la population blanche de ce pays doit se poser, (...) Si je ne suis pas un nègre, ici, et que vous l'avez inventé, si vous, les Blancs, l'avez inventé, alors vous devez trouver pourquoi. Et l'avenir du pays dépend de cela, de si oui ou non le pays est capable de se poser cette question".



Et cette question, cinquante-cinq ans plus tard, est toujours brûlante d'actualité, au pays de Trump ou ailleurs, n'est-il pas ?



En conclusion, je terminerai ce billet par les mots de Raoul Peck : "James Baldwin a aimé la France, mais la France l'a oublié (NDLR : James Baldwin a fui l'Amérique et a vécu plusieurs années à Paris, avant de retourner dans son pays).

A la sortie du film "I am not your negro" en France, en 2017, (...) dans mes échanges avec le public après les projections, j'ai perçu une soif nouvelle pour Baldwin, une curiosité, un élan, un amour pour cet esprit bouleversant.

La personnification même de l'humaniste. (...)

James Baldwin a aimé la France, mais la France se souviendra-t-elle de lui ?"



Vous l'aurez compris, autant le livre, le documentaire que l'homme sont passionnants. Souvenez-vous de James Baldwin.

Commenter  J’apprécie          539
La prochaine fois, le feu

James Baldwin, encore et toujours.

Qui s'interroge encore et toujours  sur ce qu'est être Noir dans les États Unis des sixties.



Cette fois, plus de truchement romanesque, sa voix nous parle, directement, dans deux lettres ouvertes qui sont aussi des essais. La première,  " Et mon cachot trembla", est  écrite à son neveu à l'occasion  du centenaire de l'Émancipation, la seconde, "Au pied de la Croix, Lettre d'une région de mon esprit " est écrite à  la suite  d'un double face à face religieux, avec les évangélistes de son enfance puis, à l'âge adulte, avec l'Islam.



Deux lettres, donc . Peut-être une forme sensible et vibrante de manifeste en faveur d'une réconciliation des deux communautés entre lesquelles Baldwin se sent écartelé et qu'il voit se monter l'une contre l'autre, dans une terrible violence.



Une façon en tout cas de nous apostropher car l'heure est grave.

Comme Dieu le disait à Noé,  après le déluge:



"L'eau ne tombera plus,

Il me reste le feu."



La prochaine fois, le feu est écrit dans l'urgence.



 Les émeutes raciales, les mouvements radicaux comme celui des Black Muslims ( Baldwin raconte en détail et avec la distance ironique qu'on lui connaît, sa rencontre avec un de leurs leaders religieux,  Elijah Muhammad) , répondent aux provocations, aux injustices, aux humiliations des Blancs qui refusent, dans la  pratique,  les nouvelles lois d'intégration.



La situation est tendue, explosive. Avoir Baldwin dans son camp est un atout politique de poids .



 Dégoûté par l'éducation chrétienne de l'église évangéliste prônée par son père qui lui a fait éprouver résignation, fatalisme et assujettissement à un Dieu décidément très Blanc,  Baldwin se tourne vers le Dieu noir. Il va interroger l'Islam.



Mais rien n'emporte son adhésion. 



Il retire de cet examen et de cet entretien deux certitudes: celle de n'appartenir à aucune chapelle d'aucune sorte, à aucune coterie, lui, le sceptique, l'incroyant. La seconde,  celle de demeurer inébranlablement  un écrivain, un solitaire, un humaniste inquiet qui entend garder son sens critique, son libre arbitre. 



Sa voix à lui .



Et c'est de là qu'il nous parle. Avec quelle force et quelle pressante conviction!

Dans la préface de mon édition, Christiane Taubira , une bien belle voix, elle auusi, lyrique et inspirée, fait chorus.



Pas une ride.



On est dans la même urgence, toujours.



 Sauf que les chances d'un rapprochement des deux communautés sous la pression de ceux , Noirs et Blancs, qui sont  "concients"qu'il faut " créer la conscience des autres ou peser sur elle" , semblent encore plus compromises dans la tension actuelle et sous une présidence aussi incompétente .....qu'inconsciente, justement. .

Commenter  J’apprécie          520
I am not your Negro

Je ne sais pas ce que c'est que d'être Noir. Je ne le saurai jamais. J'ai toujours eu la chance d'être du bon côté. Même lorsque je vivais à Mayotte, et que je me suis fait insulter et traiter « d'enculé de Blanc », j'étais quand même du bon côté, celui de la culture dominante. C'était même la raison de l'insulte. Que ce soit aux USA ou en France, face aux violences policières, le racisme qui se dénonce encore aujourd'hui mérite l'attention de tous. Je comprends aisément le combat que sous-tend ce livre et je m'y associe. J'ai beaucoup de mal à imaginer l'Apartheid. James Baldwin nous parle de la « dignité humaine », qui devrait être un postulat pour toute l'Humanité. Dans ce livre, on croise Martin Luther King, Malcolm X, Medgar Evers et leur combat pour la reconnaissance des Noirs aux USA dans les années 60, face à la culture Blanche dominante représentée par John Wayne entre autre. Je n'avais jamais rien lu de Baldwin. C'est le manuscrit de ce livre inachevé qui a permis à Raoul Peck d'en faire un film, devenu un livre documentaire. Tout se mélange un peu. C'est ce qui créé finalement l'impression pour le lecteur de revivre cette époque. Le texte est agrémenté de nombreuses photos « choc » qui ré-orientent notre regard sur « l'american way of life » de cette époque, sur un tout autre versant. A lire, à lire, à lire.
Commenter  J’apprécie          503
Harlem Quartet

"Il faut du courage pour affronter la vie dans l'Amérique des années 1960. le chanteur Arthur Montana est retrouvé mort dans les toilettes d'un pub londonien à l'âge de trente-neuf ans. Il était noir, homosexuel et chantait le gospel. Son frère, Hall, se souvient.

James Balwin a écrit ce roman comme une tragédie. Il nous convie à vivre au rythme de la communauté noire américaine où la famille, la congrégation, sont des refuges où l'on se sent au chaud, en sécurité. « le rire résonne, les bavardages abondent : ils oblitèrent pour l'instant la souffrance et le danger permanents. » Avec lui, on espère le meilleur pour les rêves de ces hommes et de ces femmes, et l'on pleure le destin brisé des plus vulnérables. Leur vie, c'est la musique, comme un cri.

(...)

" Les nègres peuvent chanter le gospel comme nul autre parce qu'ils ne chantent pas le gospel… (…) Quand un nègre cite L'Evangile, il ne cite pas : il vous raconte ce qui lui est arrivé le jour même et ce qui va certainement lui arriver demain… »

Leur univers, c'est celui de l'Amérique ségrégationniste et plus encore celle du Sud. « L'air était rempli d'une humiliation, d'une frustration, d'une haine, d'une peur à couper au couteau. » Malgré tout, reste l'espoir de pouvoir vivre un jour ensemble. « Notre histoire c'est l'autre, voilà notre seul guide. Une chose est absolument certaine : on ne peut renier ou mépriser l'histoire de quiconque sans renier ou mépriser la sienne propre. Peut-être est-ce cela que chante le chanteur de gospel. »

Il y a du sacré dans ce roman qui nous apostrophe, un peu à la manière des chants qui convoquent le Seigneur. Nous sommes invités à « mettre notre maison en ordre » pour y accueillir la vie."

Elisabeth Dong pour Double marge (Extrait) https://doublemarge.com/harlem-quartet-de-james-baldwin/
Lien : https://doublemarge.com/harl..
Commenter  J’apprécie          490
La conversion

"La conversion"est un roman partiellement autobiographique paru en 1953.

A travers les multiples réflexions , les portraits décrits , les nombreux retours en arrière, les souvenirs des protagonistes où chacun renoue avec sa mémoire, cet ouvrage pose les graves difficultés des Noirs Américains au XX ° siècle .......

Il raconte "l'examen de conscience "de John, fils de prédicateur, en ce mois de mars 1935, le jour de ses quatorze ans , au destin scellé d'avance par sa famille : il sera prédicateur ........

La famille Cimes vit à Harlem, dans la crasse : " la crasse était enchâssée dans les murs et les planchers, elle triomphait sous l'évier où les cafards se multipliaient "alors que la mère de famille Elizabeth, s'acharne à tenir propre un taudis dont la poussière s'infiltre partout et que son fils , John, l'aide beaucoup .

Aux Etats - Unis , dans ces années - là , être noir est une faute qui interdit de vivre normalement , sereinement et convenablement ......

La société raciste condamne et John, à quatorze ans commence à en prendre pleinement conscience .

L'intrigue du roman se déroule pendant sa journée d'anniversaire .il reçoit une révélation mystique, la religion apparaît comme seul recours à le sauver du monde corrompu dans lequel il évolue .

Dans ce premier ouvrage , l'auteur se pose en défenseur de la cause des noirs, de leur lutte pour l'égalité .

Il met en avant la place occupée par la religion catholique , notamment évangéliste ........

Peut- être l'ensemble des questions qui se posent l'ont - elles assailli au même âge ?

Une phase spirituelle et morale nourrie de mille hontes ------être noir , bâtard,faible, être homme donc pêcheur------précipite John dans une tentative de rébellion ......je n'en dirai pas plus .

C'est un roman étrange et tourmenté, émaillé et construit surtout autour de l'histoire de la communauté américaine noire sur plusieurs générations .

Il sensibilise , avec une sincérité douloureuse à la question noire , aux victimes de la violence et de la ségrégation.

Il fait penser au prélude de l'écriture d'une certaine grande dame sur le même thème : Toni-Morrison, dont j'ai lu nombre d'oeuvres .

Mais il peut ne pas plaire à tout le monde à cause de la mention des questions religieuses qui nourrissent ce texte :sectes, pêchés, prières, appels au Seigneur , miséricorde de Dieu , glorification du Verbe, Phrases de Cantiques , Voies du Seigneur , Rédempteur , Prophéties Etc.....

Ce n'est que mon avis bien sûr !

Commenter  J’apprécie          444
Meurtres à Atlanta

Les faits, rapidement : Atlanta entre 1979 et 1981, au moins 28 enfants et adolescents de 7 à 17 ans sont assassinés, tous africain-américains. Pas de mobile apparent, pas de pistes, une enquête qui prend son temps avant de passer la seconde et finalement l'arrestation d'un certain Wayne Williams, 23 ans, peut-être coupable, peut-être pas mais qu'importe puisqu'il prend deux peines de perpétuité pour l'assassinat de deux adultes survenu dans la même période, n'écopant de rien pour les enfants tout en laissant planer une culpabilité qui ne fait de doute pour personne.



On voudrait accuser le racisme (et on aurait raison, les faits sont là) mais à l'instar de Reagan qui déclarait la « guerre à la drogue » quand on comprenait bien que le message sous-jacent était « guerre aux Noirs », Atlanta, ville du Sud, raciste et bigote a à cette époque un maire noir à sa tête, alors, du racisme ? Où ça ?

D'un autre côté, que Wayne Williams soit lui aussi Africain-américain peut-être considéré comme "normal". Pour Micki Pistorius, Robert Ressler, John Douglas et tous ceux qui se sont sérieusement penchés sur les meurtres en série, les serial killers dans leur grande majorité choisissent leurs victimes dans leur propre groupe ethnique.



Alors la discrimination et la haine dont cette affaire a pourtant toute l'apparence auraient pu passer sous les radars du racisme si James Baldwin ne s'était pas rendu lui-même sur place histoire d'y mener sa propre enquête et de nous livrer le résultat de ses recherches. Résultat sinistre mais malgré tout, tristement prévisible.

Donc malgré l'absence de preuves décisives et même si le tribunal ne le condamne pas pour le massacre des enfants, dans l'opinion publique, Wayne Williams est le seul et unique coupable. Fin de l'histoire.





James Baldwin à travers ce livre émettra d'emblée des doutes sur la culpabilité de Williams et si on accepte de s'y pencher un peu avec lui, vu comme cette affaire fût honteusement traitée, difficile de ne pas en avoir. Malgré cela, il n'exonèrera pas non plus Williams de toute accusation.

Peut-être Baldwin pensait-il en envisageant l'écriture de ce livre y mettre plus de sérieux que cette parodie de procès et donc réussir à trancher ce noeud gordien. Il n'en sera rien et ce qui devait être à la base un livre sur l'affaire en question va en profiter pour prendre d'autres directions, beaucoup d'autres.



Si, bien entendu, les meurtres d'Atlanta servent de fil rouge à cet essai, c'est avant tout d'Histoire, de société et de l'éternelle dichotomie Noirs-Blancs dont James Baldwin nous entretient en refaisant le chemin qui de petit bled bouseux a mené Atlanta à devenir la grande métropole qu'on sait, à l'intégration rendue impossible et au rêve américain qui s'apparente encore et toujours à un cauchemar pour les Noirs.

Deux ans d'assassinats sauvages, une arrestation quelque peu arbitraire et c'est toute l'histoire de l'Amérique qui se déroule pendant une parodie de procès dont on ne saura peut-être jamais si la culpabilité décrétée de Wayne Williams est avérée ou si ce pauvre gars "arrogant et mou" selon Baldwin s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment et surtout avec la mauvaise couleur de peau.



L'intérêt de ce livre est donc l'ingénieux entrelacement que tresse James Baldwin pour d'une part nous raconter l'affaire des meurtres d'Atlanta et d'autre part faire une critique virulente mais juste et justifiée de sa terre natale visant, au travers une écriture riche et incisive, à la dénonciation d'une société injuste et clivante, société qu'il ne connaissait que trop bien.

Commenter  J’apprécie          415
La Chambre de Giovanni

David aime les hommes, et se déteste pour ça. Chaque fois qu’il succombe aux charmes d’un jeune homme, il tremble de peur à l’idée d’être découvert, pense aux blagues salaces et aux propos injurieux qui accompagnent les gens de son espèce et craint de les incarner. Pour se tranquilliser, le jeune américain part à Paris. À l’abri de la foule, et des regards connus, il peut fréquenter les milieux homosexuels en relative tranquillité.



Cette tranquillité ne le pousse toutefois pas à s’affirmer, même pas dans ces cercles fermés. Il clame à qui veut l’entendre qu’il aime les femmes, et les quelques aventures qu’il a ne comptent pas vraiment. D’ailleurs, il a une petite amie, et il vient de la demander en mariage. Si ça, ce n’est pas une preuve ! Le fait qu’elle soit partie seule en Espagne pour faire le point avant de répondre ne semble pas le troubler outre mesure.



Pendant cette absence, David rencontre Giovanni, un immigré venu d’Italie. Giovanni est tout le contraire de son nouvel amant : il se donne à 100 % dans cette nouvelle relation, sans crainte des regards, sans peur des préjugés. Dans la chambre de Giovanni, coupée du monde extérieur, avec ses rideaux toujours tirés, une petite bulle d’amour pur peut exister. En dehors, David ne peut tout simplement pas supporter le poids de cette relation. « Tu veux quitter Giovanni parce qu'avec lui tu pues. Tu veux mépriser Giovanni parce qu'il n'a pas peur de la puanteur de l'amour. »



L’ambiance de ce livre est très oppressante : dans la description du milieu homosexuel de l’après-guerre déjà, et la chape de plomb de la condamnation morale à supporter ; la haine de soi est omniprésente, tout comme la haine de l’autre, qui a contribué à vous faire chuter une nouvelle fois. S’ajoute encore à cela un rapport prostitutionnel qui ne contribue pas à adoucir les rancœurs, car seuls les très riches, ou les déclassés, peuvent être à l’abri des poursuites.



On plaint également Giovanni, pour qui l’amour semble si facile, et le poids du regard des autres si léger. Jusqu’au bout, il croira à la victoire des sentiments contre l’obligation de conformité ; prêt, même, à sacrifier une grande partie de la vie de son amant à la société des gens biens comme il faut. Mais pour ça, il faudrait que David arrête de fuir ce qu’il a fuit toute sa vie. Et la partie est loin d’être gagnée…
Commenter  J’apprécie          402
I am not your Negro

Qui se souvient de James Baldwin ?

Cet écrivain américain est né en 1924 à Harlem, le quartier afro-américain de New York. Noir et gay, il est rejeté par sa famille. A l'âge de 10 ans, deux officiers de police abusent de lui. Toute sa vie, l'écrivain n'aura de cesse de dénoncer la violence et l'oppression à l'égard des minorités à travers ses écrits : romans, poésies, nouvelles, pièces de théâtre et essais. Exilé une grande partie de sa vie à Paris et à Saint-Paul-de-Vence, James Baldwin a été célébré sur le tard par les intellectuels français qu'il recevait chez lui, ainsi que de nombreux artistes noirs-américains de passage en France.



Le livre « I am not your negro » est tiré du documentaire franco-américain éponyme, réalisé par Raoul Peck en 2016 et récompensé par de nombreux prix. Ce documentaire retrace la lutte des Noirs américains pour les droits civiques à partir d'un texte inédit de James Baldwin « Remember This House », qui avait pour ambition de retracer l'histoire de l'Amérique dominée par les Blancs, à travers le combat de trois grandes figures des droits civiques : Medgar Evers, Martin Luther King Jr. et Malcolm X, tous plus jeunes que lui et assassinés avant leurs 40 ans.Ce livre restera inachevé à la mort de l'écrivain en 1987.



C'est donc à partir des notes de préparation de ce livre mais aussi à partir de notes personnelles, des lettres, des discours et des livres, des extraits de films documentaires ou encore des photographies que Raoul Peck a voulu rendre hommage de la manière la plus fidèle possible à l'esprit, la philosophie, les idées, l'âme et la tragique clairvoyance de cet auteur aujourd'hui disparu.



Dans ce livre, comme dans le documentaire, seule la voix de Baldwin nous porte, dénonçant la violence, les élucubrations raciales, les peurs et l'hypocrisie d'une société où « le blanc est une métaphore du pouvoir ». Quelle terrible désillusion, quelle tristesse pour cet homme qui se sait avant tout Américain de devoir s'exiler pour ne plus subir la violence de sa terre natale. Medgar Evers, assassiné en 1963, Malcom X, assassiné en 1965, Martin Luther King, assassiné en 1968. Si James Baldwin était resté aux Etats-Unis, quel aurait été son destin ?

Les mots de l'écrivain sont d'autant plus terribles qu'ils restent aujourd'hui terriblement d'actualité.

« Un coup d'oeil sur les Etats-Unis aujourd'hui suffirait à faire pleurer les anges et les prophètes. Ce n'est pas le pays des hommes libres et ce n'est pas qu'à contrecoeur et en de rares moments la nation des hommes braves. »

Mon seul regret concernant cet ouvrage est qu'il soit beaucoup trop court. Il m'apparaît comme une mise-en-bouche et il me semble essentiel pour compléter cette histoire des droits civiques et du racisme ordinaire – et terriblement violent – aux Etats-Unis de visionner le documentaire de Raoul Peck, unanimement célébré par la critique.
Commenter  J’apprécie          4010
Harlem Quartet



“I say : brother help me please / But he winds up knocking me /Back down on my knees / There's been times that I thought/I wouldn't last for long/ But now I think I'm able to carry on/ It's been a long, long time coming /But I know a change is gonna come / Oh, yes it will”

( “A Change is Gonna Come”, Sam Cooke, “Mister Soul”, tué par balles en 1964)





Gospel charnel, libre et blasphématoire, cri de révolte qui, bien au-delà de «venger sa race», célèbre sa force vitale et sa capacité de résistance face à l'oppression, Harlem Quartet est un pur chef-d'oeuvre, et son auteur, James Baldwin, sans aucun doute l'un des plus grands écrivains nord-américains du XXe siècle, toutes couleurs confondues...



Testament littéraire de l'auteur, dernière des grandes fictions qu'il aura publiées (1979), ce roman d'inspiration autobiographique est rédigé dans une langue littéraire originale, magistralement incarnée, sensuelle et sensorielle, d'une très grande puissance émotionnelle, soutenue en même temps par une partition élégante, au phrasé quelquefois surprenant, travaillé moins de manière purement rationnelle qu'intuitive et spontanée, proche dans ce sens et dans la démarche même guidant son élaboration, du feeling à l'exécution et de l'improvisation omniprésents dans la tradition musicale noire américaine.



«Les nègres peuvent chanter le gospel comme nul autre parce qu'ils ne chantent pas le gospel, si vous voyez ce que je veux dire. Quand un nègre cite l'Évangile, il ne cite pas : il vous raconte ce qui lui est arrivé le jour même et ce qui va certainement lui arriver demain (...) Crunch ne chantait pas un voyage en Egypte il y a deux mille ans, mais sa mère, son père et lui-même, et ces rues juste là dehors, mon frère.»



Ces rues-là, en l'occurrence, sont celles de Harlem, arpentées par les quatre personnages au centre du roman qui y sont nés ou qui y ont vécu depuis leur enfance. Entre échappées plus ou moins longues qui les conduiront successivement, soit en tournées de chant à travers une Amérique contrastée et violente, toujours coupée symboliquement en deux, ou à l'étranger, en Corée pendant la guerre, sous un drapeau américain arborant pour le coup une seule et même couleur, ou bien en Afrique, en quête de sens et de racines, ou encore en Europe afin d'y respirer un air plus léger, ces derniers ne pourront cependant pas s'empêcher d'y revenir, de se rapprocher et de s'en séparer à nouveau, de s'y perdre et de s'y retrouver, comme dans un long et enivrant morceau de free jazz.



«Je peux voir ce que nous étions et ce que nous sommes devenus » - écrit Hal Montana en essayant de retracer l'essentiel de leurs vies. «Et tout s'est passé dans un clin d'oeil. Aucun de nous n'a vu son avenir arriver : nous avons vécu d'inimaginables états dans le présent jusqu'à ce que, brusquement, sans jamais avoir accompli un avenir, nous nous soyons retrouvés à déchiffrer notre passé.»



À travers les histoires croisés de ce quartet - Hal, le narrateur, ange gardien de son petit frère Arthur, chanteur de gospel devenu une star de la soul, retrouvé des années plus tard mort dans le sous-sol d'un pub londonien, Julia, enfant-prédicatrice puis égérie noire dans le milieu publicitaire new-yorkais, avant de tout plaquer pour aller vivre en Afrique, Jimmy, enfin, frère de cette dernière, précocement lucide et révolté -, James Baldwin dresse une galerie de portraits intimistes d'une époque et d'une génération secouée profondément par des mouvements d'émancipation.



Un témoignage poignant de la tension raciale régnant aux Etats-Unis dans les années 50 et 60, vu ici plutôt sous l'angle de personnages d'une grande densité humaine, et qui prendront corps pour le lecteur d'une manière très saisissante, tangible et réaliste. S'inspirant pour certains du parcours personnel de l'auteur (Arthur, comme Baldwin, est noir, artiste et homosexuel) ou de son entourage proche (certains aspects déterminants de la vie et de la personnalité de Julia font drôlement songer à Maya Angelou), le récit convoque aussi chez le lecteur, direct ou indirectement, de très nombreux souvenirs de cette époque charnière, ainsi que les ombres de certaines de ses figures les plus emblématiques : celles, bien sûr, de Martin Luther King, de Malcom X ou de Sam Cooke, mais aussi celles, tout aussi iconiques, d'un Miles Davis, d'une Billie Holiday, de Mahalia Jackson, Nina Simone ou Aretha Franklin.



Baldwin préfère ainsi raconter l'histoire de ces années-là, des violences et des combats qui les ont marquées d'un point de vue plus personnel, intimiste. Son récit est également dépourvu de revendications idéologiques ou de slogans identitaires, et ne cède jamais non plus à la tentation de l'auto-apitoiement ou de l'exaltation victimaire.



C'est surtout aux marques laissées individuellement dans la vie de ses protagonistes que l'auteur s'intéresse. S'il s'agit bien d'histoire américaine, celle-ci y est exposée à fleur de peau et à hauteur d'hommes et de femmes singuliers : il s'agirait avant tout de celle de la construction de leur subjectivité. L'auteur s'intéressera aussi à ce qu'ils pourront faire de ces marques douloureuses, y compris en les faisant approcher par moment ce qui, par devers le contexte de violence qu'ils ont connu et par-delà la haine que ce dernier a pu faire naître chez eux, leur permettrait éventuellement de les transcender et de se réconcilier malgré tout avec l'idée d'une fraternité possible entre les hommes. Il faut pouvoir malgré tout continuer à y croire, à rêver.



«Peut-être l'histoire ne se trouve-t-elle pas dans nos miroirs mais dans nos reniements: peut-être l'autre est-il nous-mêmes. L'histoire pourrait être bien plus que les sables mouvants qui engloutissent les autres et nous ont pas encore engloutis : l'histoire pourrait être en train d'essayer de nous vomir et de nous recracher.»



Harlem Quartet est également, et par-dessus tout dirais-je, un hymne sublime élevé à l'altérité. En tant que lecteur blanc, le temps de cette lecture, croyez-moi, on se teinte tout naturellement de noir, mieux encore, quelle que soit sa couleur de peau, elle incite chacun à s'affranchir de ses propres chaînes d'oppression, extérieures ou intérieures, nous le fait saisir tout en faisant souvent monter l'émotion aux yeux, excite en nous une salutaire rage de vivre malgré la souffrance que cela risque toujours d'entraîner, nous rappelle qu'en fin de compte c'est cette dernière qui, le plus souvent, nous rend plus forts, ou encore, pour reprendre les mots d'un de ses personnages qui résument magnifiquement cette démonstration, qu' «on ne peut renier ou mépriser l'histoire de quiconque sans renier et mépriser la sienne propre». C'est en somme ce que chante ce magnifique gospel scandé sous forme de roman.



Un pur régal!





Commenter  J’apprécie          3917
La prochaine fois, le feu

Entre deux lectures, du moment, tenter toujours d'en garder quelques-unes pour essayer de comprendre l'époque.



En piocher plusieurs dans les sélections de Céline, Nathalie, Léa ou Yann, et commencer par relire La prochaine fois, le feu, superbe essai de James Baldwin, traduit par Michel Sciama.



Se dire que oui, quand même, beaucoup de choses ont évolué depuis 1963, mais que le fond de la pensée émancipatrice de Baldwin reste d'une actualité frappante.



Tenter à son invitation de changer de focale : que l'on soit blanc pour s'extirper de sa position confortable, oser le discernement et se rappeler que l'histoire sur ce sujet n'explique rien et n'excuse rien ; ou que l'on soit noir pour arrêter de se positionner en fonction de l'autre, éviter les tentations de société parallèle ou de sortie par la violence.



Se souvenir des ravages historiquement causés par la religion en matière de ségrégation, prétendant offrir un salut, quand ce n'était qu'une nouvelle forme de soumission.



Être frappé - et encore plus à travers le prisme des événements récents - par cette conviction forte de Baldwin : la position de l'homme blanc n'a de tout temps été qu'une résultante de la peur et de l'incompréhension de l'homme noir.



Apprécier enfin la pédagogie de cet essai, la fougue passionnée de son auteur, la beauté de sa langue et de ses mots simples, sa lettre d'amour à son neveu, et l'utile préface de Christiane Taubira ajoutée à l'édition Folio.
Commenter  J’apprécie          393
Harlem Quartet

Lecture quelque peu essoufflée des 700 pages de ce roman ayant pour point d'ancrage Harlem mais qui étend son intrigue de la Californie, à la Corée en passant par Londres, Paris, Abidjan même et surtout le Deep South - foyer de tous les fantasmes et toute violence de l'Amérique profonde...

Essoufflant surtout cette course au-dessus des nombreuses fractures de la société américaine des années 50 et 60 : couleurs, races, sexe, statut social et religion.

C'est à travers plusieurs épisodes de la vie intime d'une poignée de protagonistes que James Baldwin construit une épopée à rebours, celles de ces jeunes en route pour leur destin qu'ils voient brisés ou qu'ils brisent selon les circonstances (guerre, drogue, violence sexuelle ou meurtres racistes).

La densité de l'intrigue vient de ce que l'intime peut autant se teindre d'érotisme sensuel que de conflits psychiques ou interpersonnels. On y trouve une réflexion en profondeur sur la différence non théorique mais vécue que ce soit à travers l'homosexualité ou le racisme pour aboutir à une vision plutôt noire - ceci sans mauvais jeu de mot - de la société américaine avec cette plongée en apnée dans l'effroi des communautés ségréguées de ces années-là.

La densité du récit s'abreuve encore de l'étrangeté du point de vue narratif à la fois interne mais souvent omniscient ainsi que de l'omniprésence de la musique et surtout du gospel dans lequel évoluent les personnages.

Je termine donc ce roman le souffle court, émerveillé de cette écriture rhapsodique et horrifié par les fractures profondes - irréparables ? - qui ont blessé et blessent sûrement encore la société américaine.

Merci à @Creisifiction de m'avoir donné l'envie de lire !

Commenter  J’apprécie          386
Un autre pays

La grande plongée d'un homme noir dans le néant des eaux glacées de New York est le point de départ de cette histoire où se ramifient celles de ses amis blancs, de sa sœur, mais aussi celle de l'Amérique des années 60' entre libéralisme et rejet, bourgeoisie et misère. Portrait en clair-obscur, sans manichéisme donc, des relations complexes et ambiguës entre Noirs et Blancs où ressentiments et amalgames percutent même les amours mixtes et les amitiés sans couleurs.



James Baldwin, grand écrivain militant à cette époque ségrégationniste de l'Amérique, distille certains éléments auto-biographiques dans cette histoire qui est avant tout une analyse des comportements humains. Il y parle du racisme, aussi bien du côté Blanc que du côté Noir. De misère comme destinée parce que vous n'êtes pas né blanc et de ce qu'il vous faut faire pour survivre à votre condition. Mais aussi d'homosexualité, avec tout ce que cette différence suscite aussi comme réprobation et comme imagerie mentale.



J'ai découvert James Baldwin dans le documentaire "I am not your Negro" de Raoul Peck (à découvrir absolument si ce n'est déjà fait !), ainsi que dans le livre qui en est tiré.

Comme rarement une âme humaine peut parler à une autre âme humaine, cet homme m'a touchée. Il émanait de lui une éloquence sincère et brillante, mais aussi une humanité bouleversante. Et c'est bien naturellement qu'à présent que l'une de ses œuvres est rééditée que je me suis empressée de le lire.



Même si Un autre pays n'est pas une histoire à rebondissements, on ne s'y ennuie cependant pas. L'écriture de James Baldwin m'a fait penser à certains égards à John Steinbeck, même si ici la misère est urbaine et noire. Mais on y est, et les personnages faits de bleus et de bosses, nous les côtoyons dans la même pièce. Et nous lisons comme bercés par ses mots, ivres de sa musique...



L'auteur, par le truchement de ses personnages, fait acte d'une profondeur d'analyse parfois déroutante. A tel point que je ne suis pas toujours sûre d'en avoir pesé tout le sens. Mais en tant que Blanche européenne vivant au 21ème siècle, le pourrais-je tout à fait ?

James Baldwin nous dépeint un monde, une réalité qui nous, aujourd'hui, nous parait si absurde, si étrange et si hideuse qu'on ne peut sans doute pas prendre toute la mesure de ce qu'était être Noir en Amérique, bien que pourtant, l'histoire ne se situe pas dans le Sud, mais là où les conditions de vie étaient réputées "favorables" aux Noirs...



Je ne sais trop quelles conclusions, quelle "morale" tirer de cette histoire, si ce n'est peut être que dans ce jeu d'attirance/répulsion, amour/haine, la frontière s'avère ténue et que dans ce monde, au sommet de l'échelle de la domination - dont le sexe est un puissant vecteur de pouvoir - l'homme blanc hétérosexuel y figure à la première place. Car la condition des Noirs, mais aussi des femmes, des homosexuels, des étrangers est à des degrés divers, les échelons que l'on piétine.

- En 2019, a-t-on évolué ? -



Malgré une écriture dense qui s'étale sur près de 600 pages, et malgré finalement le peu d'événements qui s'y déroulent, James Baldwin, par son talent et sa richesse de réflexion - très complexe - sur la nature humaine vient nous interpeler et nous ébranler, avec un intérêt pour ses personnages - dont les reliefs et les aspérités nous les rendent vivants - qui ne se dément pas.
Commenter  J’apprécie          382
I am not your Negro

Je n'avais jamais entendu parler de James Baldwin avant l'émission qui lui a été consacrée par François Busnel dans La Grande Librairie en 2017. L'histoire des Noirs américains m'interpelle toujours et je m'étais promis de lire I am not your negro.



Ce livre est en fait tiré du film-documentaire éponyme réalisé par Raoul Peck en 2016. Je ne l'ai pas vu et je dois dire que je me suis plus d'une fois demandée si ça n'avait pas été une erreur de ma part. Car j'ai eu l'impression qu'il y avait de nombreuses ellipses lors de ma lecture, qu'il me manquait des éléments pour assembler tout ce que je lisais.



A partir d'un texte inachevé de James Baldwin (Remember This House), qui met à l'honneur les trois figures du combat Noir américain que sont Medgar Evers, Martin Luther King et Malcolm X (tous assassinés avant leurs 40 ans), Raoul Peck brosse aussi, petit à petit, le portrait de James Baldwin.



La forme adoptée par Raoul Peck dans ce livre (mélange de textes, analyses de scènes de films, discours, échanges, photos d'archives...) donne la sensation de lire quelque chose d'un peu décousu. Cela n'empêche cependant pas d'apprécier l'oeuvre et donne très envie de découvrir plus avant le combat mené par ces quatre grands hommes.



"C'est vraiment une sorte d'apathie et d'ignorance qui est le prix de la ségrégation."
Commenter  J’apprécie          372
Meurtres à Atlanta

Ce que je remarque en premier lieu en ouvrant ce livre c'est que le titre, plutôt, racoleur n'est en rien celui donné par l'auteur :

"The evidence of things not seen"

Ce que l'on pourrait traduire par :

"L'évidence des choses non vues"

C'est plus évident que penser qu'il s'agit d'un roman policier, même si il y a des morts, un homme arrêté et un jugement.

Pour faire court : un homme est accusé de deux meurtres et comme 28 enfants ont été assassinés, tout simplement, la police et la justice essaie de coller la totalité à ce bonhomme. On fait d'une pierre deux coups et on diminue les frais

Ah, j'oubliais, l'accusé est noir, les morts aussi.

Atlanta c'est en Géorgie, le sud des Etats Unis d'Amérique, pays de coton, si on voit ce que je veux dire.

"Georgia on my mind" dont chantait un certain...

Bref, l'auteur, journaliste pour ce "fait divers", emploie ce récit sous forme d'essai pour attirer l'attention de ses lecteurs sur la condition des noirs à cette époque. C'est à dire en 1985.

D'aucuns diraient que rien n'a beaucoup changé depuis lors. Peut-être pas tout à fait mais pas loin.

Baldwin met cette suprématie blanche au dessus de ces pauvres qui existent dans ce pays depuis bien longtemps et il n'hésite pas à faire des indiens, des chicanos et des noirs un ensemble qui ne trouve pas sa place dans la vie de cette nation.

Qui dirige, qui gouverne, qui dicte et fait la loi, qui la fait respecter : des blancs, depuis toujours et même si depuis l'espérance aura pris le visage d'un certain président ce n'était pas le cas à l'époque de l'écriture.

La plaidoirie de l'auteur pour cette, ces, communauté(s) passe bien avant ces meurtres et ce procès qui ne sont qu'un prétexte, un de plus à la persécution subie de mille façons par la communauté noire. Puisque c'est de ça dont on parle.

De fait n'y a t-il pas 8 jurés blancs pour 4 noirs?

Comme disait Bob Dylan : vous pouvez sortir vos mouchoirs, il est temps de pleurer.

Il fallait draguer la rivière pour savoir s'il n'y avait pas d'autres morts, aussi on a retrouvé un cadavre d'homme noir inconnu, puis un autre et encore un autre et ainsi de suite. Alors on a arrêté de draguer la rivière...

En 1996 Atlanta a organisé les jeux olympiques. Les visiteurs recevaient un plan de ville...coupé à la limite de la ville blanche! La ville noire ayant été purement supprimée. Mais c'est Mohamed Ali qui a allumé la flamme olympique, alors...

Il faut lire ce livre!
Lien : https://www.babelio.com/livr..
Commenter  J’apprécie          372
La conversion

La conversion" est le premier roman de James Baldwin, un grand auteur américain revenu sur le devant la scène littéraire en France il y a quelques années seulement, depuis le succès du documentaire de Raoul Peck qui lui était consacré.



Par le truchement du récit autobiographique, "La Conversion " récrit en 1952 raconte l’examen de conscience de John, le jour de ses 14 ans, en attente d’une révélation mystique.



Dès ce premier roman, James Baldwin plaide la cause des Noirs et de leur lutte pour l’égalitéUn grand premier roman dans lequel on ressent les promesses du grand romancier en devenir!




Lien : http://www.baz-art.org/archi..
Commenter  J’apprécie          370
Meurtres à Atlanta

Quelle claque !

En refermant ce livre j'ai l'impression de tenir entre les mains un révolver brûlant duquel s'échappe une trainée de fumée.



James Baldwin est envoyé dans le sud des États-Unis, à Atlanta, pour rédiger un article journalistique sur une série de meurtres. Il va faire bien plus, puisqu'il va mener sa propre enquête et réaliser une étude sociologique du présumé meurtrier et des différents protagonistes de son procès. C'est ce travail qui servira de base à cet essai.



Dès les premières lignes le ton est donné, Baldwin monte sur le ring, déterminé à mettre KO l'adversaire. Il fait preuve d'une telle éloquence que je n'ai pu m'empêcher de lire la majeure partie du livre à voix haute. Le discours est rude, violent, les arguments sont affûtés, percutants, et chaque coup porté fait mouche.



C'est qu'il a de quoi être remonté car les incohérences sont nombreuses :

- une affaire qui malgré son ampleur reste inconnue du public, jusqu'à ce que l'association des familles de victimes alerte les médias

- un accusé officiellement inculpé pour le meurtre de deux adultes, mais officieusement présumé coupable (et jugé) pour le meurtre de vingt-huit enfants dont la série de meurtres précède celle des deux adultes

- une "série" de meurtres dont, hormis l'origine ethnique des victimes, personne ne sait dire quelles en sont ses caractéristiques, alors même que les causes de décès des victimes sont "diverses et variées"

- un verdict, "condamné pour un nombre indéterminé de victimes", qui ne satisfait personne



Le thème central de cet essai est bien entendu la condition de l'homme Noir aux États-Unis, mais avec le talent qu'est le sien Baldwin va bien plus loin et parvient à généraliser son propos. L’oppression des non-blancs par les blancs étant selon lui au cœur de l'histoire récente de l'humanité.



Tout y passe, il évoque ainsi Martin Luther King, Malcolm X, Nixon, Kennedy, le Ku Klux Klan... Le colonialisme européen, l'esclavagisme, les afrikaners, le nazisme, l'extermination des indiens par les pionniers américains...



En bref, du grand Baldwin, un essai sociologique incontournable qui reste malheureusement d'actualité dans ces "États dits Unis" où les mentalités n'ont jamais su se défaire des fantômes du passé. Et où l'homme Noir doit lutter en permanence pour que ses droits soient reconnues et son intégrité préservée.
Commenter  J’apprécie          362




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de James Baldwin Voir plus

Quiz Voir plus

Connaissez-vous Molière et avez-vous bien lu son "Dom Juan" ?

Molière est né à :

Châteauroux
Paris
Orléans
Toulouse

20 questions
36 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}