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Critiques de Hédi Kaddour (139)
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La bataille du rail : Cheminots en grève, écriv..

36 auteurs pour autant de nouvelles, illustrés par les dessins de Mako.

36 auteurs engagés, car cet ouvrage polyphonique n'a qu'une seule ligne éditoriale : celle de défendre les services publics, un certain « idéal de solidarité »

concrétisé ici par le train dans la tourmente de cette nouvelle « bataille du rail ».



36 pierres apportées à l'édifice d'une lutte, puisque les droits d'auteurs sont entièrement reversées aux caisses des grévistes contre cette réforme ferroviaire 2018.

À chacun d'en juger la nécessité bien sûr, mais il fallait le préciser, car il ne s'agit pas ici d'un don seulement caritatif, mais profondément politique.



Bien sûr, ces nouvelles sont très différentes, et parfois inégales, mais toutes réussissent la gageure de parler à nous tous, qui avons en commun cet « imaginaire du rail».

Comme Didier Daenincks dont « le sang noir du monde ferroviaire coule dans [s]es veines. »



Lu en juillet 2018.
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Waltenberg

Evoquer le XX siècle (de 1914 à 1991) en sept cent pages, au long d’une intrigue focalisée sur « l’intelligence » au sens anglo-saxon du terme et sur « l’influence » (le soft power), est le défi relevé par Hédi Kaddour, qui s’attarde sur six périodes :

⁃ 1914 début de la guerre, avec une charge de cavalerie dantesque et la mort d’Alain Fournier

⁃ 1928 à « Waltenberg » (traduire Davos) rencontre de personnalités influentes dans un contexte marqué par la SDN, Aristide Briand, la montée du nazisme, les soviets

⁃ 1956 insurrection hongroise, rapport Khrouchtchev, décolonisation, montée en puissance de la Chine

⁃ 1969 départ du Général de Gaulle, le Vietnam, la révolution culturelle

⁃ 1978 fissures dans le bloc soviétique

⁃ 1991 l’après communisme



Le romancier suit quelques personnages, un écrivain allemand Hans Kappler, un journaliste français Max Goffard, une artiste Lena Hellstom, le responsable des services est allemands Michael Lilstein, et un compagnon de la libération Henri de Vèze qui croisent Caillaux, Poincaré, Liautey, Malraux, Toukhatchevski, Béria, Staline, Kohl et Gorbatchev et révèlent les « dessous » de la petite et de la grande histoire et dévoilent des anecdotes culturelles.



C’est passionnant pour qui aime les fresques historiques comme « Le cheval rouge » ou « Rapsodie italienne » et j’ai pris beaucoup de plaisir à cette découverte mais la lecture est complexe.



L’auteur aime les phrases longues, voire interminables, (sans égaler Mathias Enard et « Zone »), et passe d’une époque à l’autre dans le désordre, avec des flashbacks, en pratiquant le monologue,parfois déroutant, et il m’est arrivé de me demander qui était le « je » en train de s’exprimer…



Enfin c’est un roman à clés, et s’il est aisé de reconnaitre Keynes derrière John Maynes ou Condoleezza Rice en Maisie, je m’interroge pour identifier Henri de Vèze (Léon Bouvier, Geoffroy de Courcel, Auguste Jordan ou Claude Mantel ?)



En conclusion, cet ouvrage paru en 2005, n’est pas un roman d’espionnage, (c’est la série blanche de Gallimard et non la série noire), c’est une oeuvre atypique comme Zone publié en 2008, qui demande de l’attention, de la concentration, mais qui enseigne beaucoup à qui sait lui consacrer le temps requis.
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Les Prépondérants

Silence, on tourne!

Logez dans un même bled, des américains, des français, et des arabes.

Mettez en décor les années 20, le début du cinéma hollywoodien, et le déplacement d'un barnum venu chercher l'exotisme pour pellicule, sur les sables de l'Afrique du Nord.

Entre les joyeux, libres et bruyants Yankees et les musulmans, c'est la curiosité, la suspicion des extrêmes, sous l'œil de la communauté française, coloniaux ou propriétaires terriens, "prépondérants" imbus de leur autorité supérieure et du poids moral de leur civilisation.



Dans un roman au parfum d'exotisme, Hedi Kaddour orchestre le choc des cultures, la confrontation d'individus aux valeurs différentes, notables français, élites arabes, modernisme outre -Atlantique. Dans ces temps où le nationalisme devient un sentiment puissant, où les prémices d'une décolonisation interrogent chacun en enthousiasme, inquiétude ou fatalisme, voici un roman d'aventures qui entraine le lecteur des paysages de sable et de palmiers à Paris agité de fêtes, puis Berlin, dans une Allemagne exsangue et sonnant déjà de bruits de bottes.



Histoires d'amour croisées sans sentimentalisme, conversations brillantes, propos ironiques, ragots et potins, racisme ordinaire, subtilité des arabes... L'auteur ressuscite la liberté des années Folles avec virtuosité, pour nous parler de colonialisme, de condition de la femme, de désir en dépit des préceptes de classe, de religion ou civilisation.



Ses personnages sont bien construits, femmes libres sous chapeau cloche ou voile imposé, hommes élégants des communautés coloniales, caïd retors ou "indigène" inculte. Certaines scènes sont palpitantes de vérité, portées par un souffle épique et cinématographique. L'écriture foisonnante et alerte, flirtant avec une pointe d'humour mordant et un talent certain pour la parabole.

C'est un livre passionnant, historique, au résumé difficile, qu'il faut accompagner en observateur d'un monde en pleine mutation.



Excellente lecture! (Peut-être un prix littéraire car il est sur de nombreuses listes)

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La nuit des orateurs

Rien de plus impénétrable que les trahisons et les ambitions cachées, mais Hedi Kaddour voit et entend tout dans cette authentique fresque romanesque qui dresse le portrait désolant de la cour impériale de Rome sous Domitien.

Avec une admirable densité qui caractérise son écriture, l'auteur sonde l'économie aussi subtile que complexe du despotisme, faite de soupçons, de rumeurs, de flatteries, de délations, de lâchetés, d'alliances de circonstances, de ballets de courtisans et d'ennemis potentiels mêlés selon une chorégraphie déterminée par la nécessité de ne pas offenser celui qui occupe le Palatin. Avec patience et rigueur, Hédi Kaddour déploie sous nos yeux une Rome déliquescente où l'instrument du pouvoir, le discours politique, a perdu de sa sphère d'influence et de rayonnement pour devenir un outil d'apparat au service de l'enrichissement personnel lorsqu'il ne s'agit pas de sauver sa tête.



Jusqu'à un certain point, j'ai adhéré sans trop de peine à la démonstration de l'auteur, séduite par son art consommé du récit semé d'images fortement évocatrices. Rome était comme un écran de cinéma au fond de mes yeux. Mais ce qui s'annonçait comme la dernière nuit de Tacite accompagnée de toute l'épaisseur tragique que recèle une accusation de complicité de lèse-majesté s'est mué en une dissection interminable des rapports politiques et des jeux de dupe au sein de l'élite romaine. Chaque personnage croisé donne lieu à des portraits disséqués avec un luxe inouï de flux de conscience et de monologues intérieurs déplaçant progressivement le centre de gravité du roman. Comme si Hédi Kaddour était moins intéressé par l'intrigue que par ses implications ou ce qu'elle peut révéler des personnages, faisant de Rome non plus un lieu pour L Histoire mais pour une multitude d'anecdotes certes passionnantes et enrichissantes, mais aussi pesantes par leur dimension didactique.



C'est une oeuvre qui impressionne par son érudition mais le besoin d'emplir tout l'espace du récit et de ne pas laisser de marge possible pour des mots entre les lignes a été un obstacle au plaisir de lecture.
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La nuit des orateurs

Roman historique très imprégné de lyrisme, La Nuit des orateurs révèle, chez son auteur, une érudition et un travail d’écriture hors du commun. Romancier après avoir été poète, Hédi Kaddour, un Franco-tunisien que son prénom n’a pas empêché d’être en son temps reçu premier à l’agrégation de lettres, est une grande figure de la littérature française, qu’il a enseignée à l’Ecole Normale Supérieure et aux États-Unis. Mais à mon grand embarras, je dois avouer que la lecture de son livre m’a déconcerté. Il va falloir que je m’en explique.



Nous sommes à Rome, à la fin du premier siècle de notre ère, sous le règne de l’empereur Domitien, dont l’un des favoris vient d’être condamné pour prévarication, après les accusations – justifiées – d’un sénateur. Ce dernier a ensuite multiplié les provocations indirectes à l’endroit de l’empereur, au risque de se voir inculper pour lèse-majesté, un crime passible de la peine de mort. Deux amis, Publius et Pline, jeunes notables proches du pouvoir, pourraient être convaincus de complicité et promis au même sort. Tout se jouera au cours d’une nuit, dans le premier cercle des fidèles de l’empereur, tandis que la vie mondaine et culturelle de Rome bat son plein.



L’auteur nous plonge au cœur des rivalités entre les élites de l’Empire, de leurs luttes pour la survie dans l’entourage d’un empereur tout-puissant, qui s’arroge droit de vie et de mort sur ses sujets, et en abuse. Chacun revient sur ses atouts personnels, affute sa stratégie pour s’attirer de bonnes grâces ou pour induire en erreur les délateurs. Art de la manipulation, de l’insinuation, de la médisance, de la calomnie. Qu’il s’agisse de rumeurs, de réquisitoires ou de plaidoiries, tout repose sur le choix des mots, sur le choc de l’image de soi. Seul l’empereur peut s’y soustraire : un battement de paupières ou une crispation de la lèvre lui suffisent pour signifier une décision.



Pour dénouer les crises, il faut savoir agir, écouter, bien comprendre les enjeux politiques et historiques. Tandis que les hommes perdent leur lucidité, une femme se mobilise : Lucretia, l’épouse de Publius. Les deux jeunes notables survivront. Signés Tacite et Pline le Jeune, leurs écrits laisseront d’ailleurs la trace de cette affaire et le témoignage de la cruauté sournoise de Domitien.



Le livre brosse un tableau fouillé de la vie quotidienne dans les lieux de pouvoir de la Rome impériale. Une société structurée, où patriciens, plébéiens, esclaves, affranchis et étrangers évoluent dans des castes extraordinairement inégalitaires. Le formalisme complexe et intangible des rituels civils et politiques masque en fait le ramollissement des âmes. Les mœurs, incroyablement dissolues, violentes, barbares, détonnent par rapport à l’idée que j’en gardais depuis mes cours d’histoire et de latin.



Le climat général est à la méfiance. L’Empire est une dictature et comme dans toutes les dictatures, tous se tiennent les uns les autres par la barbichette de la méfiance. Ils ont tous peur ; depuis l’esclave, qui redoute d’être battu à mort ou envoyé au fond d’une mine, jusqu’au haut magistrat, qui craint que ses faiblesses ne déplaisent à l’empereur, avant de réaliser que ses forces pourraient aussi déplaire à l’empereur. Un empereur cruel, parce qu’il se méfie des complots, jusqu’à en voir partout.



Tout cela est passionnant. Pourquoi alors mon sentiment de déception ? Plusieurs types de difficultés. Une terminologie très spécifique à la Rome antique, ce qui nuit à la fluidité du récit. Et surtout, un texte qui devient très analytique, dès lors que l’auteur s’insère dans le cerveau des personnages. Les réflexions sont énoncées et réénoncées en variations subtiles, sous forme de monologues intérieurs, où chacun fourbit son argumentation, ressassant forces et faiblesses, avantages et inconvénients, chances et menaces. Les phrases deviennent longues, très longues, d’abord isolément, puis en séries. Lorsqu’on en est réduit à des analyses syntaxiques complexes et ennuyeuses, le risque est de perdre le fil général. Plusieurs chapitres m’ont ainsi laissé au bord du chemin.



Un peu comme lorsque, jeune lycéen, je me débattais dans une version latine difficile.

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Les Prépondérants

Ils ne sont pas nombreux les auteurs français à se frotter à la France coloniale de l’entre-deux-guerres, mais ceux qui le font s'attachent à démystifier le fameux choc des civilisations comme les tourments qui président à la conquête de la liberté. C’est du moins ce que l’on peut dire à propos de Hedi Kaddour dans Les Prépondérants situé dans un pays du Maghreb sans nom.

Dans ce roman à la frontière des genres, Hedi Kaddour dessine à travers les regards croisés de ses personnages une grande fresque d’un monde profondément hétérogène, traversé par de multiples lignes de démarcations puissamment ressenties comme méprisantes et obsolètes pour le lecteur du XXIe siècle.

Entre une bourgeoisie coloniale corsetée dans une volonté de sublimer leur sentiment de supériorité, des notables arabes parfois complices, une jeunesse autochtone révolutionnaire ou traditionnelle attirée par la liberté mais bien impuissante, on a le sentiment de contempler une société figée et verrouillée par les lobbies colons.





Toutefois, lorsqu’une équipe de tournage américaine débarque avec leur modernité décomplexée et leur « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », ce n’est guère du goût de ceux qui profitent du régime de protectorat français. Est-ce que cette arrivée va entraîner la fiction dans un roman d’aventures riche en rebondissements ?

Pas vraiment. L’auteur français a préféré inscrire le roman dans un tableau des mœurs où une galerie de personnages devisent, s’aiment, se mêlent et se repoussent avec en toile de fond un regard discret sur les rapports de domination.

Bien que le roman s’ouvre sur des personnages au tempérament marqué au burin, l’auteur les fait évoluer au gré des discussions, des sarcasmes et joutes verbales. On voit progressivement des traits qui s’estompent ou approfondissent les caractères et atténuer ainsi les frontières inflexibles qui quadrillent la société de l’époque. Il y a principalement Kathryn la star de cinéma américaine, Raouf le fils du notable local à l’éducation française et arabe, Ganthier le propriétaire terrien qualifié de « seul français que la domination n’ait pas rendu idiot », Gabrielle la journaliste française aventureuse et Rania, jeune veuve issue de la bourgeoisie, traditionnelle et audacieuse. Des bourgeois mais qui se confrontent à la réalité du monde, à Nahbès, mais aussi à Paris et en Allemagne où se fomentent d’autres colères, d’autres révolutions.



Les Prépondérants n’a rien du roman conquérant et l’écriture scrupuleuse parfois monotone est susceptible d’affecter l’intérêt pour ce roman. En ce qui me concerne, j'ai aimé ce roman dans sa manière de dépeindre des personnages qui portent en eux le reflet d’une époque où la décolonisation est encore lointaine. Ce n’est pas un roman historique mais il a le mérite de nous obliger à regarder notre passé, la vanité de la supériorité et son miroir aux alouettes.

C'est un tableau intéressant avec le regard perçant de l'auteur capable de restituer les préjugés raciaux, sociaux et moraux, la confrontation au réel et la désillusion. On observe la manière dont se confrontent ces mondes en apparence si différents grâce à un auteur qui ne cherche pas à imposer une vision.





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La nuit des orateurs

J'avais été très impressionnée par le roman phare d'Hédi Kaddour : Waltenberg. Un mélange des genres inhabituel, un entrelacs déroutant de péripéties au niveau de l'intrigue, des personnages hauts en couleurs. A mes yeux, une vraie pépite romanesque. Dire que je n'ai pas retrouvé ces mêmes qualités dans son dernier roman : La nuit des orateurs serait excessif mais je suis un peu restée sur ma faim en ce qui concerne la construction romanesque...

On retrouve pourtant les mêmes ingrédients : un contexte historique très ciblé, celui de la Rome impériale, sous le règne de Domitien qui fait partie de cette lignée d'empereurs qui ne sont pas morts dans leur lit et pour cause ! le fil de l'intrigue du roman repose en effet sur l'ombre de la mort planant sur Publius Cornelius Tacitus et son épouse Lucretia ainsi que sur Pline le jeune. Leur crime ? Avoir plaidé contre Massa, gouverneur d'une province romaine, la Bétique, pour extorsion et bien d'autres forfaits. Ce qui ne pourrait n'être qu'un acte de justice va en fait devenir une épée de Damoclès au dessus de leur tête car ils ont franchi une ligne rouge invisible , celle qui fait que s'attaquer à un favori de Domitien équivaut à signer son arrêt de mort...

Un personnage on ne peut plus complexe que Domitien car il incarne toutes les facettes souvent contradictoires de la tyrannie.

Ce paranoïaque qui vit dans la terreur du complot sait aussi faire preuve d'une cruauté implacable et imprévisible. C'est d'ailleurs ce qui plonge son premier cercle dans une insécurité permanente car d'aucun sait que rien ne le protège définitivement : ni le rang, ni la fortune, ni les caresses sur le bras de l'Empereur. le plus sûr moyen de rester en vie dans ce contexte de terreur est de devenir délateur professionnel au service d'un régime impérial où ce mode de relations devient systémique. Autre moyen de se préserver, se retrancher dans un prudent quant à soi comme le fait Publius. Attitude un peu lâche qui n'est pas celle de son épouse Lucrétia, un beau personnage féminin dont la présence éclaire toute la première partie du roman. Une matrone romaine, hors du commun , car étonnante de lucidité et de courage si l'on en juge par la hardiesse avec laquelle elle va défier Domitien dans une joute verbale dont elle sortira gagnante !

Passionnant d'ailleurs est le pouvoir du verbe dans le roman. L'éloquence est parfois non seulement une arme de pouvoir mais aussi le plus sûr moyen de sauver sa tête sur un simple bon mot ! Hédi Kaddour excelle à nous faire partager dans des scènes très théâtrales ces moments de forte tension dramatique. Cette qualité on la retrouve également dans des scènes très cinématographiques qui nous donnent à voir, à sentir une ambiance avec une acuité qui doit tout à la plume de l'auteur. Qu'il s'agisse de la traversée de Subure, par la litière de Lucretia, "le quartier du vin, des instincts, des niches à 2 as le coït, quartier dangereux [où] beaucoup de gens n'ont rien à perdre" ou de cette autre scène qui nous transporte dans l'amphithéâtre de Rome avec une description très réussie d'une foule en délire, réduite à ses instincts animaux les plus bas, on est dans chacun de ces grands tableaux emporté par un flux constant d'émotions et d'évocations visuelles qui fouettent notre imaginaire.

Cette tension dramatique, cette peinture si expressionniste d'ambiances diverses, je ne les ai pas retrouvées dans la deuxième partie du roman beaucoup plus analytique. Hédi Kaddour nous plonge dans la psyché des protagonistes de l'histoire ce qui paradoxalement les rend plus lointains. de même, nous perdons également le fil de l'intrigue qui se distord tant et si bien que la fin du roman m'a vraiment étonnée...

En dépit de ses qualités, ce ne fut donc pas pour moi le vrai coup de coeur que j'avais éprouvé pour Waltenberg. Mais je continuerai à lire d'autres roman de cet auteur car j'apprécie sa manière de camper puissamment des contextes historiques et aussi le côté très acéré de sa plume !

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Les Prépondérants

A la manière orientale, foisonnante et riche, Hédi Kaddour raconte la vie d’une ville d’Afrique du nord après la Première Guerre mondiale.



Sous protectorat français, le lieu connait peu de tensions.Tous, arabes et colons ont trouvé un équilibre que seuls les Prépondérants, des notables français qui se font un devoir de diriger énergiquement la population locale sous prétexte de leur supériorité, veulent vraiment briser en réclamant la fin du protectorat pour une colonisation à l’Algérienne. Un équilibre qui va pourtant être rompu par l’arrivée d’une équipe de tournage américaine. La liberté de son comportement et de ses rapports avec les colons et surtout avec les arabes modifiant progressivement les relations des uns et des autres.



A travers leurs histoires sentimentales entrecroisées et la lutte de femmes militant contre une société musulmane machiste en passant par l’émancipation de certains jeunes Arabes éduqués séduits par le communisme, d’une Allemagne ruinée, sous occupation française, tentée par le nazisme pour se sortir d’une situation infamante au Paris des années 20, les personnages d’Hédi Kaddour vivent sous nos yeux les prémices de la fin d’une époque. Certains se battent pour conserver leurs acquis, les plus lucides pressentent au fond d’eux-mêmes que maintenir le statu quo est déjà un combat d’arrière-garde.



Un conte intelligent et subtil sur l'éveil des consciences qui a conduit aux grands bouleversements du début du XXe siècle.

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La nuit des orateurs

Absolument passionnant.

Hédi Kaddour nous transporte dans la Rome antique, à une époque où le tyran assassinait comme il respirait, où les poètes payaient cher le prix d’un bon mot… Il est troublant - c’est l’intérêt du roman - de constater que rien n’a changé. « L’amphithéâtre a remplacé le forum, le public a remplacé le peuple » : un écho malicieux aux réseaux sociaux qui proscrivent le vrai débat. « Ce soir, je suis trop républicaine, se dit Lucretia. Nous rêvons tous comme Cicéron d’un prince éclairé, philosophe, modéré, bon orateur, sans prétoriens » : notre République ne fait-elle pas un usage excessif de la répression policière ?

J’ai adoré les pages dédiées à la vie à Rome, au quotidien de ses hommes de lettres et de pouvoir. Mentions spéciales pour la traversée périlleuse de Subure (p42), les agitations d’Aurelius dans l’arène (p104), l’invitation de Lucretia au banquet de Domitien (p123), la lecture fantasque de Pétrone (p159), les ravages de la chiromancie (p248) ou l’intervention du centurion trop zélé (p284). Il en ressort le portrait vibrant d’un empire gangréné par les intrigues de cour et la paranoïa du maître.

Intéressante également la trajectoire de ces esclaves devenus des affranchis riches et méritants - version antique de l’ascenseur social.

J’ai juste deux petits reproches. Le premier, c’est que l’auteur tend à répéter la même technique pour parler d’un protagoniste : il parle de lui à la troisième personne du singulier et ne révèle son nom qu’au bout de dix pages, pour ménager le suspense. Le second, c’est que, vers la fin du livre, l’auteur se complaît trop à décrire la duplicité du pouvoir, à montrer que chaque décision est l’ombre d’un calcul plus complexe. L’histoire s’en trouve alourdie.

Avant Marx, Machiavel et Tocqueville, les Romains avaient pleinement vécu la comédie (souvent la tragédie) du pouvoir. Hédi Kaddour en fait le récit, citations latines à l’appui.

Bilan : 🌹🌹

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Les Prépondérants

Un roman foisonnant, au charme quelque peu désuet. Une langue vivante, enveloppante. Une narration qui emprunte son rythme aux contes orientaux, ondulant entre tradition écrite et transmission orale. On comprend tout de suite ce qui a séduit les jurés de l'Académie Française qui lui ont décerné leur prix ex-æquo cette année (avec Boualem Sensal), et les jurés du Goncourt qui l'ont fait figurer dans leur dernier carré, battu sur le fil par Mathias Enard. C'est à un voyage érudit, charnel et cocasse que nous convie Hedi Kaddour, avec style et générosité.



Nous sommes dans les années 1920, dans une ville imaginaire du Magreb, Nabhès, que l'on pourrait avoir envie de situer du côté du Maroc puisqu'on y parle du Protectorat et qu'il y est aussi question d'un souverain... Peu importe, l'auteur a sûrement pioché dans de nombreux lieux pour créer son décor et y faire évoluer ses personnages. Les stigmates de la guerre sont encore bien présents même si la vie a repris son cours. Elle a fait de nombreuses veuves dont la jeune Rania, qui n'envisage pas pour autant de tomber sous le joug d'un autre mari malgré les incitations pressantes de son frère. Elle a hérité de la ferme d'un oncle et mène son petit monde à la baguette tout en résistant aux velléités d'extension de son voisin, Ganthier, un colon qui ne la laisse pas tout à fait insensible. Lorsqu'une équipe américaine débarque tout droit d'Hollywood pour tourner un film dans la région, la petite société de Nabhès est soudain confrontée à une vague de modernité qui fait ressortir les oppositions locales. Car les germes des futures révolutions couvent déjà, les jeunes générations sont influencées par le vent communiste qui vient d'Europe, les colons français s'accrochent à leur suprématie, traditionalistes et modernistes s'affrontent. Raouf, le fils du caïd n'est pas insensible aux discours de tous ceux qui parlent de liberté et de prise de pouvoir du peuple. Mais les beaux yeux de Kathryn, l'actrice principale l'arrachent pour un temps à ses préoccupations politiques. Tout ceci sous le regard observateur et critique de Gabrielle Conti, journaliste et maîtresse femme, témoin des transformations qui se jouent dans le monde.



Sous la plume d'Hedi Kaddour, ce microcosme s'agite et grouille de vie, transportant son lecteur des ruelles du souk au Cercle des Prépondérants (les notables français, tenants de la plus grande fermeté à l'égard des "indigènes"), d'un marché de village au Grand Hôtel qui abrite les soirées les plus cosmopolites, d'une ferme à une séance de cinéma en plein air (très bon passage où les villageois commentent à haute voix les mœurs des personnages à l'écran). Ses personnages de femmes sont particulièrement intéressants, la complicité qui s'instaure entre Rania, Gabrielle et Kathryn, unies par la volonté de s'affirmer et de s'émanciper, au-delà de leurs cultures et de leurs modes de vie respectifs est un des centres d'intérêt du livre. Le voyage de Raouf et Ganthier en Europe est l'occasion de retracer le climat politique qui règne alors que les conditions de l'armistice ont mis l'Allemagne à genoux et que pointent dans les rues de Berlin les premières manifestations à croix gammées sous la houlette d'un certain Adolf Hitler. Dans un Berlin qui oscille entre misère et décadence, Gabrielle observe avec une certaine lucidité les bouleversements à venir. Tandis que, de retour à Nahbès, les prémices d'autres changements sont déjà visibles. L'Histoire est en marche.



Il faut saluer la générosité avec laquelle l'auteur anime ses personnages et fait vivre tout un monde, rôles principaux et secondaires, sans oublier les figurants et les animaux. Il faut saluer également sa dextérité à les faire évoluer dans un contexte mouvant et surtout à rendre leurs histoires passionnantes. Les scandales hollywoodiens répondent aux manœuvres des marchands jaloux, les histoires d'amour ne connaissent pas les frontières, les visions des uns et des autres viennent éclairer le climat géo-politique et compléter un foisonnant tableau d'ensemble. Et surtout, l'humour est là, au détour de chaque page. L'humour bienveillant du romancier qui voit s'agiter des personnages dont il connaît très bien les destins.



Les Prépondérants est un superbe roman, ambitieux et généreux. Il comblera les lecteurs curieux et sensibles au climat que sait installer un auteur. Un peu comme face à un conteur, il faut se laisser porter, transporter. Retrouver le bonheur de cette première phrase qui naguère nous mettait en joie : Il était une fois...
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Les Prépondérants

Nous sommes à Nahbés, une petite ville de Tunisie dans les années 20.

Lorsqu'une équipe de tournage hollywoodienne y débarque pour tourner un film d' aventures exotiques : "le guerrier des sables ", elle provoque un choc. Elle bouleverse et avive les conflits traditionnels.

A Nahbes on trouve des colons comme Ganthier, le plus gros propiétaire de la région, ancien séminariste et officier de réserve.

Rania, jeune veuve tunisienne, énergique et forte tête, indépendante, à la tête d' une grande ferme est trop cultivée pour être dans la tradition. Elle pose que "trop de science c'est la science des incroyants."

Son cousin, Raouf, jeune nationaliste, fils du Caïd, vient d' avoir son bac. Il lit et cite Pascal , BAlzac et Montesquieu .

Il tombe amoureux de l' épouse du réalisateur Neil Dantree, lui aussi fervent lecteur De Balzac, la belle actrice aux yeux gris, Kathryn Bishop.

L' acteur principal du film Francis Cavarro narre à l'assistance du grand hôtel les derniers potins de Hollywood .............

Heidi Kaddour met en place avec finesse et habileté petit à petit tous les protagonistes de ce roman. L' intrusion de la clinquante, bruyante équipe hollywoodienne libre et de moeurs parfois alcoolisés heurte autant qu' elle fascine

"Les locaux".

L' intérêt et la fascination de cet ouvrage , au delà des rapports amoureux c' est la géo-politique, le choc des cultures et des continents.........les voyages dans l'après-guerre. Les acteurs aspirent à la liberté civile et politique face à la domination, l'iniquité, l' hypocrisie, et l' exploitation du colonialisme.

Les autres, les colons prépondérants se cramponnent à leurs priviléges.......

En fait le protectorat commence à se fissurer.

Heidi Kaddour plonge ses personnages dans les années folles, période où les cicatrices encore visibles de 14-18 annoncent en filigrane d'autres plaies à venir.

On partage les réflexions, les conversations, les questionnements de ces êtres de culture qui s' observent, se mesurent, s'aiment parfois.......

On sent que le monde va inexorablement changer sous nos yeux, notamment lors des voyages à Paris, en Alsace ou en Allemagne oú un certain Adolphe Hitler a organisé une manifestation......

Avec passion l' auteur concilie les dialogues politiques avec les silences amoureux.

Trés beau roman qui embrasse les tourments présents et à venir du 20°siècle , roman d' aventures où les vies et les destins se croisent , se cherchent ou se désirent .

Aprés Waltenberg en 2005, une belle re-découverte de cet auteur !
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La nuit des orateurs

Week-end à Rome !



J'ai tout de suite été attirée par ce roman se situant dans la Rome antique.



Heddi Kaddour en lisant la correspondance de Pline le Jeune est "tombé" sur un « procès un peu tordu », l'affaire Senecio.



Ce sénateur romain avait été pris comme avocat par les notables de la Bétique (actuelle Andalousie) contre Baebius Massa, le proconsul de la région, porté sur la corruption. Au point que l'empereur Domitien, dont Massa était proche, n'avait pu lui éviter d'être condamné pour extorsion. Enhardi, Senecio s'était attaqué plus directement à Domitien et à son despotisme à travers un livre, jusqu'à se voir mis en accusation devant le Sénat, et condamné à mort.



L'auteur s'est emparé de cette affaire pour en faire un roman.



L'auteur nous propulse à Rome, à la fin du premier siècle, sous le règne de l'empereur Domitien, dont l'un des favoris vient d'être condamné pour malversation après les accusations d'un sénateur.



Deux amis de Seneccio, Publius Cornelius (Tacite) et Pline,

pourraient être convaincus de complicité et risqueraient d'être condamnés eux aussi à la peine de mort, comme le sénateur.



L'intrigue va se dérouler au cours d'une nuit, tandis que Lucrétia, la femme de Tacite, se rend à travers Rome, vers le domaine de l'Empereur; afin de parler à celui-ci, ami d'enfance, et plaider la cause de son époux



La traversée de Rome est splendidement retranscrite nous traversons les différents quartiers, non sentons les odeurs…



Quelle femme, cette Lucretia, qui intime l'ordre à son mari de rester à la maison, tandis qu'elle risque sa vie à travers les ruelles, attaquée et en danger à chaque carrefour, en plus encore lors de l'affrontement avec l'empereur ! Il est vrai qu'elle est la fille d'un brillant général, Agricola !



Car Domitien, bien qu'il soit premier entre ses pairs, apparait comme un empereur despotique, qui exécute et exile ses opposants.



Il faut toute l'intelligence et la subtilité de Lucretia pour l'aborder !



Hélas, vous n'en saurez pas plus, car l'auteur, à la moitié du roman, part sur d'autres personnages, des discours, des pensées, des rencontres, des jeux dans l'arène …

C'est roman qui se modifie en essai philosophique !



Quel dommage !



Surtout que lorsqu'on étudie la vie de Tacite, on apprend qu'il n'a pas été exécuté et a été nommé consul après avoir été gouverneur d'une province. Il devient sénateur, historien et avocat !



Donc la mission de Lucretia a été une réussite !



Et Tacite, dans ses écrits s'est vengé de la tyrannie de Domitien !



Ce roman est servi par une plume magnifique, érudite, mais très exigeante qui nécessite des connaissances en histoire romaine et en vocabulaire !



Il est original, mais par sa deuxième moitié, très prolixe et didactique, m'a déçue.
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La nuit des orateurs

A la fin du premier siècle de notre ère, les deux sénateurs-orateurs-avocats, Pline et Publius (qui n’est pas encore le Tacite dont on se rappellera le nom) sont en sale posture : ont-ils perdu la confiance et les faveurs de l’empereur Domitien ? Sont-ils en danger de mort, pour avoir fait cause commune avec Senecio, l’un de leurs confrères, qui est allé trop loin dans son exigence de respect de la légalité ?

On peut supposer que Publius au moins, échappera à l’ire impériale puisqu’on connaît aujourd’hui les écrits qu’il n’avait pas encore produits au moment de cette fameuse nuit.



Plongée dans la Rome du vieux Gaffiot familial et démantibulé (que j’ai dû jeter dans un moment d’égarement, et aujourd’hui je me demande si on y trouvait les noms propres…) C’est vraiment une immersion, dans un monde plein de couleurs, de bruits, de violences, qui n’empêchent pas les favorisés du sort, retirés au plus calme de leurs demeures sénatoriales, de penser, d’écrire, de citer et comparer leurs auteurs préférés. Publius n’y renonce pas, même quand le risque se rapproche.

Alors, l’homme fort de cette nuit de tous les dangers, c’est sa femme, Lucretia. Quel personnage ! Belle évidemment, mais aussi intelligente, érudite, courageuse, d’une maîtrise parfaite de ses propres émotions et de la psychologie complexe de Domitien, auprès de qui elle se rend pour le dissuader de mettre à exécution ses projets d’assassinats, après avoir intimé à Publius son époux, de ne pas quitter leurs pénates.



Mention spéciale : à la description, en passant, du tyran de province, Massa, par qui est arrivé le ressentiment de Domitien à l'égard de Senecio, Pline et Publius. Massa, c’est le vice, la perversité, la cupidité, incarnés en un seul homme ; un portrait apocalyptique mais complètement crédible, hélas pour ses victimes.

Autre mention spéciale : à la première lecture publique de ses écrits par un affranchi que ses auditeurs considèrent avec amusement et condescendance, jusqu’à ce qu’il prenne la parole : Pétrone va mettre la révolution dans ce petit monde de lettrés académiques, en lisant ce qu’on peut supposer être un premier jet du Satyricon.



La nuit sera blanche, Publius et Pline sortiront, prendront le risque d’aller au Sénat...



L’Obs a qualifié le livre de « virtuose ». C’est exactement ça : on entre dans les pensées des personnages, et on partage successivement la distance élégante (et un peu lâche) de Publius, la droiture intrépide de Lucretia, les convictions républicaines de Senecio ; on en viendrait même à pardonner sa sanglante paranoïa à Domitien…



Impression de retrouver mes impressions d’adolescence de Quo Vadis. Et d’explorer la Rome antique, mais du côté de ses nantis, souvent érudits, pourtant sous contrôle permanent, obsédés par l’espionnite ambiante et les risques de dénonciations pour un oui, pour un non, pour un mot malheureux, pour un regard mal interprété. Les sénateurs n’ont plus la liberté de dire, et à peine celle de penser.

La Rome des nantis, ce sont aussi des repas aux plats sophistiqués (bizarres à mon idée), des esclaves qui ont peur à longueur de journées, l’attention portée à la finesse du cuir des sandales et à la façon dont tombent les plis de la toge, des comportements sexuels débridés qui ne choquent personne sauf s’ils deviennent ridicules, un luxe d’architecture, et de bibliothèques pour les fins lettrés, des châtiments et des mises à mort d’une inventivité invraisemblable, un empereur qui a oublié que la République devait être la chose de tous.



Sous la plume de Hedi Kaddour, cette Rome-là est riche, savoureuse, vivante. Mortelle souvent aussi. Assez terrifiante.

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La nuit des orateurs

L'espace d'une nuit – dans la Rome du Ier siècle ap. J.-C. – pour suivre le sénateur Publius Cornelius Tacitus et son épouse Lucretia Agricola dans leur tentative de sauver la vie et la fortune du futur historien Tacite sur le point d'être accusé de crime de lèse-majesté envers l'empereur Domitien. Il faut l'érudition, le style et la profondeur d'un écrivain tel qu'Hédi Kaddour pour nous entraîner dans l'épaisseur de cette nuit, nourrie de complots, vrais et faux, où les hommes macèrent dans leurs ambitions démesurées et dans la terreur de leur chute.

N'attendez pas un roman historique là où Hédi Kaddour se livre à une réflexion sur le pouvoir. D'un côté, le pouvoir impérial incarné par Domitien et son exécuteur des basses besognes, Norbanus, le préfet de la garde prétorienne. De l'autre, le pouvoir sénatorial représenté par Tacite, Pline le Jeune et Senecio, tous trois défenseurs des intérêts de la province de Bétique contre son ancien gouverneur Baebius Massa, protégé de Domitien. Mais, pour Senecio, la chute de Massa n'est peut-être que la première étape pour provoquer celle de l'empereur et le retour aux institutions et aux valeurs de la République ?

Kaddour se livre à une réflexion sur le pouvoir politique, mais aussi sur l'insatiabilité des classes dominantes dans l'accumulation de richesses et d'honneurs. Les sénateurs ont perdu leur influence au profit d'un enrichissement sans commune mesure avec ce qui était pratiqué sous la République où les valeurs morales primaient sur la fortune.

Rome, ville monde, est aussi une société du spectacle livrée aux jeux grandioses du cirque. Le peuple aime Domitien à condition qu'il lui offre des émotions toujours plus fortes. Le poète Aurelius est envoyé chanter l'histoire d'Orphée dans le grand amphithéâtre ; devant un parterre de bêtes sauvages, sa voix médiocre trouve dans l'angoisse de la mort une beauté soudaine, mais la foule ne se satisfait pas de si peu et sa cruauté trouvera à s'assouvir tout en flattant l'orgueil de Domitien.

Rome est enfin une société esclavagiste et la condition d'esclave libère les pulsions les plus violentes et les plus malsaines chez les maîtres. du haut en bas de l'échelle sociale, les esclaves assurent le fonctionnement de la vie quotidienne, mais aussi celui du palais, et encore l'exploitation des domaines agricoles, des mines, des moulins, des ports. Doté des meilleures intentions, soucieux d'humanité, plein de compassion, le maître n'en demeure pas moins le maître et ne peut toujours réprimer l'envie de punir, de soumettre, d'humilier.

Que reste-t-il dans un monde perverti ? La subversion opérée par la littérature. Dans un formidable chapitre montrant une soirée littéraire chez Titinius Capito, responsable du courrier impérial, Pétrone, jeune inconnu, protégé de Pline, livre à un auditoire incrédule des fragments de son Satyricon.

Comment ne pas voir dans la peinture extrêmement noire et violente de cette nuit romaine une métaphore de ce qui est à l'oeuvre dans nos sociétés modernes : confiscation du pouvoir par des élites, accaparement des richesses par quelques individus au détriment de l'intérêt public, assujettissement des plus faibles et des plus vulnérables, divertissements avilissants...

Texte exigeant, traversé de fulgurances, ourlé d'un latin qui n'est jamais là pour en mettre plein les yeux, mais pour coller au plus près de la pensée d'une époque, ce livre réussit une remarquable plongée dans le passé pour nous faire sentir nos errements du présent.
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Les Prépondérants

En lisant Les Prépondérants, les amateurs de cinéma français "colonial" des années 30 ne seront pas dépaysés. Avec un regard différent, soit, puisque près d'un siècle est passé, mais les différents portraits que tresse Hédi Kaddour dans ce roman choral ne sont pas si éloignés de la description du Maghreb d'entre les deux guerres que l'on est habitué à imaginer (fantasmer ?). L'auteur ne réussit pas vraiment la fresque qu'il aurait voulue, car trop digressive -l'épisode Fatty Arbuckle est interminable et fastidieuse, la description de la Rhénanie occupée et de la montée du nazisme, hors sujet- et certains personnages, notamment féminins, ressemblent à des clichés ambulants (l'actrice américaine, la journaliste émancipée). Plus convaincante est la figure Rania, la jeune veuve qui résiste au machisme et au racisme ambiants mais d'héroïne présumée du roman, elle devient au fil des pages un second rôle sans véritable épaisseur. A part cela, le livre suscite cependant un véritable intérêt, mais à travers des scènes isolées et son évocation aigre-douce du choc des cultures : américains, colons, autochtones. Les prépondérants se lit comme une sorte de feuilleton avec des épisodes plus ou moins cocasses ou tragiques. Il s'en faut de peu, peut-être pour cause d'absence de point de vue, pour que le liant se fasse dans ce qui aurait pu être une sorte de Coup de torchon, en moins caustique, et qui se révèle plutôt un tableau de moeurs à la Chabrol, agréable à lire certes, mais pas tout à fait au niveau des ambitions qu'on lui prêtait, sans doute à tort.
Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
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Waltenberg

Où l’on apprend les subtilités de la fabrication de la bombe dans les secrets de beauté des dames ;



Où les espions mangent des Linzertorte dans des hôtels suisses ;



Où la taupe et les traîtres ne sont – évidemment – jamais ceux que l’on soupçonne ;



Où l’on joue au croquet à Singapour comme au Maroc ;



Où l’on découvre le kangourou caché dans La Condition humaine ;



Où l’on apprend qu’il est difficile de rédiger une dissertation de philosophie en surveillant deux messieurs d’âge mûr en imperméable dans une librairie.





Comment en suis-je arrivée là ?





Dans la perspective d’un long voyage en train cet été, j’étais lors de mes visites (fréquentes) en librairie en mode « pavé » : Waltenberg me saute aux yeux, la 4e de couverture m’emballe (ce qui est rarement le cas) ; et me voilà embarquée (oui, je n’ai pas tenu le coup jusqu’à cet été !)



De quoi s’agit-il ?



Difficile à résumer en quelques lignes, pour ne pas dire carrément impossible ! On a là affaire à un roman qui embrasse le siècle, de 1914 à 1991, et qui prend sa cohérence comme a posteriori, dans le dernier chapitre. Les personnages sont très nombreux – mais l’on s’y retrouve assez vite, quand bien même quelques doutes persistent – les temps du récit mutiples avec des projections ou des retours dans le temps multipliés à l’envi. Il y a quand même un fil directeur dans tout ça, bien retranscrit par le bandeau de Gallimard, « une taupe dans le siècle », c’est tout à fait ça.



La citation



« La locomotive et le kangourou. Où l’on voit que la guerre du Rif reste une obsession pour Max Goffard. Où Lilstein vous raconte l’histoire du cocher Selifane et vous demande de toujours penser librement. Où il est question de cyanure et de caramels mous. Où Lilstein essaie de vous traduire ce qu’il entend par Menscheit. Où la conversation entre Max Goffard et son auteur tourne très mal. Où de Vèze décide de faire du pied à sa voisine de table » [en-tête du chapitre 8], p. 439.



Ce que j’en ai pensé :



Pour autant il ne faut pas vraiment lire Waltenberg comme un « vrai » roman d’espionnage. On lit ici une fresque impressionnante, qui naît d’un projet ambitieux, et donne lieu à une œuvre foisonnante, d’une densité incroyable. C’est une œuvre d’une érudition incroyable – mais c’est un roman rythmé, entraînant, où l’on passe en quelques paragraphes des charges de cavalerie en 1914 aux réceptions de Lyautey au Maroc ou à la répression de l’insurrection de Budapest, où l’on croise aussi bien Malraux que Staline, et où l’on apprend même que la marine britannique a continué à fonctionner à contre-courant de toutes les autres marines du monde pendant quelques années, ayant maintenu les anciens ordres où bâbord et tribord étaient inversés, ce qui n’a pas manqué d’entraîner quelques incidents … Les têtes de chapitre, à l’ « ancienne », sont délicieuses, et je me permets d’ailleurs très modestement d’en reprendre le principe pour commencer mes billets, tant je le trouve séduisant. Bref, un roman foisonnant, très dense voir même touffu (parfois trop … ce n’est pas le livre qu’il faut prendre en se couchant à une heure avancée …). Au total, Kaddour finit part composer un tableau subtil et complexe qui fait ressurgir toute la culture européenne, dans sa richesse et ses ambiguïtés : la fin de la Belle-Epoque, l’entre-deux-guerres, la guerre froide, la décolonisation … au travers d’un enchevêtrement extrême, d’un travail en plusieurs «couches» avec un métier constamment remis sur l’ouvrage. Un roman vertigineux et fascinant.
Lien : http://le-mange-livres.blogs..
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Waltenberg

Chers tous,



Sauf erreur de ma part, ce premier roman d'Hedi Kaddour n'a fait l'objet d'aucune critique sur ce site. C'est une injustice dont je vous rends responsable et à laquelle je refuse d'être associé.



Waltenberg a été élu meilleur roman français de l'année 2005 par la revue Lire. Il a obtenu la bourse Goncourt du premier roman 2006. Et vous ? Vous l'avez lu ? Non ? Vous étiez où ? Vous faisiez quoi ? Répondez.



Que je vous raconte l'histoire ? Et puis quoi ? Peu importe l'histoire ! Vous êtes punis. Vous vous êtes punis, privés de Lena, privés de Hans, de Max, ou du jeune Lilstein. Ah ! Ah !



Vous avez raté un auteur, je vous dis ! Un vrai ! Un qui ose ! Un qui intitule ses chapitres :



"""

Chapitre 1 -

1914 -

LA CHARGE -

Où l'on voit la cavalerie française se lancer à l'assaut des rêves allemands.

Où Jans Kappler se souvient de Lena Hotspur et de l'époque où elle prenait des leçons de chant chez madame Nietnagel.

Où Max Goffard diffère son entrée en scène et condamne les mitrailleuses pour enfants.

Où un commandant français se met à parler de l'Afrique et d'un duel.

Où meurt Alain Fournier

"""

Un auteur qui utilise parfois la virgule comme Céline utilisait les points de suspension. Avec la même audace. ("""C'est le chant d'un jeune meunier, il va vers la vie, il va rencontrer une belle meunière, marcher c'est une joie, une ronde, un départ, le bruit de l'eau, même les pierres entrent dans la ronde, le piano pousse en avant, en recommençant à chaque fois, à chaque fois une force nouvelle, bon, j'arrête.""")



Un auteur qui commence son livre ainsi :



"""

Le geai a cessé de crier. Hans a une pointe de sabre sur le ventre, un sabre à courbe légère. L'homme qui tient le sabre a un visage très pâle, jeune.

La lame tremble. Il y a d'autres hommes derrière, à cheval, jeunes eux aussi, culotte rouge, tunique bleu foncé, casque à cimier, des dragons français.

Dans ce bois ?

"""



Vous avez raté Waltenberg en 2005 ou en 2006. C'est que vous étiez trop petits et que vous ne saviez pas lire. Je comprends. Maintenant, rattrapez vous : Waltenberg, Hedi Kaddour. 800 pages. Chez Folio. Foncez, y en a presque plus.

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La nuit des orateurs

Dès les premières pages de ce roman, je comprends que tout est réuni pour me plaire… Hédi Kaddour nous embarque pour une balade dans la ville impériale en prenant grand soin de ne pas épargner à son lecteur la pauvreté, la violence, le stupre qui y règnent. Ici, on saisit très vite que l’empereur Domitien oscille perpétuellement entre violence et paranoïa. Sa personnalité tyrannique, ses terribles accès de fureur font que l’avenir des trois accusateurs de Massa ne tient qu’à un fil…



Le décor est posé, je sens que l’auteur va me tenir en permanence dans un état de stress et va jouer avec mes nerfs au sujet de la sanction des trois accusateurs ! J’aime cette sensation, j’aime naviguer en eaux troubles et ne pas avoir toutes les réponses à mes interrogations dans les premières pages. Pour un roman historique, je trouve que Hédi Kaddour propose quelque chose d’assez novateur et qu’il réussit pleinement son pari !



Ce que j’ai aimé de ce roman, c’est l’impression d’avoir voyagé entre les époques. J’ai parcouru les différentes provinces de l’Empire romain, déambulé dans les rues de Rome en litière, eu l’honneur de prendre un repas aux côtés de l’empereur dans une salle à manger tournante construite par Néron… Je ne pensais que cette histoire allait être une si belle invitation au voyage.



Là où le génie de l’auteur intervient, c’est de parvenir à proposer à son lecteur de revivre des scènes frôlant celles se déroulant dans un théâtre, montrant l’importance du verbe et surtout de l’éloquence de certains grands hommes. Les mots sont des armes et ici, ils peuvent vous sauver la vie ou bien vous condamner en un claquement de doigt.



Tension permanente, scènes théâtrales, immersion au sein du pouvoir, pour moi ce livre est une très belle surprise et l’une de mes plus belles lectures de 2021. Malgré tout, je me dois de faire une petite mise en garde, je trouve que la compréhension peut parfois être un peu délicate si l’on a pas quelques connaissances sur la carrière des honneurs à Rome et sur l’organisation de la société romaine… voire même quelques notions de latin. En effet, de-ci, de-là, quelques expressions non traduites nous sont proposées. Devoir chercher à chaque fois serait probablement assez pénible.
Lien : https://ogrimoire.com/2021/1..
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La bataille du rail : Cheminots en grève, écriv..

Sortez de votre train-train et prenez avec moi, ce train de nouvelles, d'écrivains solidaires de cheminots en grève. Les droits du livre sont intégralement reversés en soutien aux grévistes.





Prévert écrivait : "Le train m'égare, la gare m'étreint." J'ai aimé le texte de Laurent Binet qui convoque le plus long générique de film, avec l'arrivée en gare, d'un train, d'où descend C.Bronson, dans "Il était une fois dans l'ouest." Tandis que H.Fonda essaie de prendre une locomotive, dans "Mon nom est personne". Cris Evans remonte des derniers wagons, avec des prolétaires révoltés ( les cheminots?) pour " Snowpiercer".



Vous rencontrerez peut être d'autres écrivains, dans les wagons suivants, pendant que "le train sifflera 3 fois". Lisez ce livre, et compostez votre billet " de soutien".
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La nuit des orateurs

Herennius Selecio. Philosophe sous le soleil de Rome au Ier siècle, il plaide la cause de Baebius Massa pour attaquer le pouvoir impérial. Pour enfoncer le clou dans le cercueil, il publie l’éloge d’un autre philosophe stoïcien : Gaius Helvidius, exilé puis mis à mort sous Vespasien. Il cherche des soutiens prestigieux et les trouve avec Pline le Jeune et un certain Publius Cornelius, sénateur avec d’autres fonctions glorieuses à son actif, et, plus connu sous le nom de Tacite. Mais ces trois têtes risquent de tomber bien que Tacite soit proche de l’empereur. Nous sommes sous le règne de Domitien. Et si Le Tibre s’écoule majestueusement à Rome il est témoin de flots de sang provoqués par cet homme impitoyable, cruel, qui aime encore plus faire assassiner ses amis que ses ennemis, qui « tue comme il éternue » et aime offrir un sourire carnassier devant sa prochaine victime. Entre deux condamnations, il aime torturer les mouches avec un poinçon. Pourtant, une femme va oser l’affronter. Elle le connait, sait qu’il aimerait avoir ses faveurs, elle, la superbe romaine qui fait enrager la prostituée Flavie, la maîtresse de son mari. Oui, son mari, qui se nomme Tacite. C’est le début de l’histoire, de cette histoire d’orateurs dans les ténèbres des effluves romains, Lucretia dans une longue nuit qui s’annonce dans des combats de l’esprit où la poésie trouve une place au milieu d’un cirque de haine et de jalousie.



Loin d’être des vacances romaines, ce nouveau roman de Hédi Kaddour est un récit au vitriol sur l’emprise politique, sur un Domitien sans foi ni loi – sûrement en s’inspirant des carnets de Pline le Jeune – et sur cette cour prête à également torturer amis ou ennemis pour obtenir le droit de vivre. Un droit précaire. Courtisans, affranchis, esclaves… quel que soit le rang auquel on accède on peut terminer du jour au lendemain dans les caves de l’enfer, fouetté à coups de verges et brûlé à petit feu pour faire durer le plaisir. Les rumeurs se réjouissent, les complots frétillent. Et même quand ils n’existent pas, du haut du Mont Palatin on les invente. Un jeu comme un autre dans un labyrinthe machiavélique.



Mais l’histoire ne s’arrête pas aux faits. Elle s’habille de toges, de drapés, de tuniques, elle se mélange aux couleurs, aux parfums doucereux, au miel, aux fleurs. Elle rampe dans la boue, dans l’immondice, les odeurs de cadavres et de pourriture. Elle se cogne aux félins, surveille les flambeaux, rencontre les dieux, de Jupiter à Minerve en passant par Priape car tous les appétits charnels sont légion. Avec parfois une étrange modernité….



Impérial !
Lien : https://squirelito.blogspot...
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