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Citation de Sycorax


Donc, une partie de la nuit, on but et l'on dansa. On but comme on sait boire à Clochemerle, c'est-à-dire beaucoup. On dansa comme on danse dans toutes les campagnes françaises, c'est-à-dire gaillardement, en étreignant fortement, sans excessif souci de la mesure et sans grâces inutiles, de bonnes matrones et des filles robustes, qui n'ont pas des corsages de la ville avec rien dedans, ni cette bizarre maigreur contre nature, qui doit rendre bien affligeantes les nuits des citadins qui ont des femmes à la mode.
D'ailleurs les meilleurs plaisirs de cette nuit dansante se prenaient hors de la zone lumineuse des lampions. On pouvait voir beaucoup d'ombres qui s'en allaient par deux, bien en deçà du bourg, et se glissaient dans les vignes. La noire profondeur des haies en était également peuplée. On ne saurait dire si tant d'ombres accouplées, infiniment discrètes, étaient maris et femmes, mais tout le monde avait l'obligeance de le croire, bien qu'une chose pût en faire douter : on ne surprenait entre ces ombres ni discussions, ni aucun échange de ces mots aigres-doux que des êtres vivant ensemble depuis longtemps ne cessent généralement de s'envoyer à la figure. On peut supposer que cette exceptionnelle retenue était l'effet de la température clémente et du bon vin. Car il serait immoral d'attribuer ce bon accord à de scandaleuses libertés prises avec les moeurs. Tout au plus pouvait-il se commettre quelques confusions parce que certains Clochemerlins, assez empressés auprès de la femme du voisin, ne pensaient plus à s'occuper de la leur, qui ne pouvait pas demeurer au milieu de la fête les bras ballants, comme une qui-ne-vaut-plus-la-peine. Heureusement, les Clochemerlins séparés de leur femme s'occupaient de celle des autres, ce qui fait que tout allait par deux, d'une manière peut-être un peu fantaisiste, mais qui ne laissait rien à désirer quant à la symétrie. [...]

Au demeurant, ces petits écarts avaient des motifs qui les faisaient excusables. À vivre très près l'un de l'autre, les époux finissent par trop se connaître, et plus ils se connaissent, moins il reste à découvrir, moins le besoin d'idéal trouve à se satisfaire. Ce besoin d'idéal, il faut le placer ailleurs. Les hommes le reportent sur la femme du voisin, ils lui trouvent un quelque chose qui manque à la leur. L'imagination travaillant là-dessus, ils en ont la tête pleine, de la femme du voisin, et ça les met dans des états impossibles, à s'en rendre malades, des fois, la cervelle toute tournée. Naturellement, on la leur donnerait, la femme du voisin, en remplacement de la leur, bientôt ça deviendrait tout pareil qu'avec l'ancienne, et ils recommenceraient de lorgner dans les environs. Et les femmes, de même, se montent la tête sur l'homme de la voisine, parce que cet homme les regarde mieux, par envie et curiosité, que leur hommes à elles, qui ne les regarde plus du tout, forcément. Elles ne peuvent pas comprendre que leur homme a cessé de les regarder parce qu'il les connaît dans tous les coins et recoins, et que l'autre qui les trouble avec ses jolies manières, dès qu'il aura fourré son nez partout, il se désintéressera aussi bien de la question. Ces inconséquences sont dans la nature humaine, malheureusement, et ça complique les affaires, et les gens ne sont jamais contents.
Ainsi la fête, chaque année, offrait l'occasion de donner corps aux illusions qui avaient occupé les têtes pendant des mois.
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