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Critiques de David Graeber (116)
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Bullshit Jobs

Alexis de Tocqueville a jadis remarqué qu'« En politique, ce qu'il y a de plus difficile à apprécier et à comprendre c'est ce qui se passe sous nos yeux. » Et je suis cent fois d'accord avec lui. Et c'est en cela que David Graeber nous offre un trésor qu'il nous faut chérir : comprendre dans les détails de son fonctionnement le monde politico-socio-économique que nous avons sous les yeux.



Je tiens à tirer deux très, très grands coups de chapeau. Tout d'abord à l'auteur, David Graeber, que je considère comme l'un des plus grands et des plus stimulants essayistes actuels dans le domaine social. Ensuite, je tiens à saluer l'éditeur Les Liens qui libèrent pour la qualité générale de ses publications, qui, avec La Découverte, L'Herne et La Fabrique est l'un des (trop) rares remparts à la toute puissance de la pensée dominante (c'est-à-dire, la pensée des dominants, rien à voir, bien évidemment avec une quelconque supériorité de fond ou de vue de ladite pensée).



Question : que dites-vous juste après avoir donné votre nom lorsqu'au cours d'une soirée entre amis l'on vous présente quelqu'un que vous n'avez jamais vu au préalable ? À un très haut pourcentage, vous allez évoquer votre profession et même, pour certain(e)s, si vous êtes actuellement sans emploi, vous allez avouer, avec une once de dépit dans la voix, que vous êtes au chômage. D'ailleurs, très souvent, vous n'allez pas dire que vous êtes au chômage, mais que vous " cherchez du boulot ".



J'ai pris conscience de ce détail, il y a longtemps déjà, lorsque fringante étudiante en éthologie des primates, j'eus le privilège de côtoyer Hans Kummer, légende (à l'époque encore) vivante (et francophone de surcroît) de la discipline. Tandis que je lui serrais la main, pleine d'admiration, il m'avait courtoisement demandé qui j'étais. Je m'étais alors bêtement présentée à lui comme étant l'étudiante de " Machin " de l'Université de " Truc ". Il me répondit du tac au tac, avec son accent suisse et la sagacité qui brûlait dans son regard : « Ça, ce n'est pas vous, c'est votre fonction. » J'en fus bouleversée : je ne m'étais spontanément définie que par ma profession, qui en plus, n'en était pas vraiment une.



J'ai depuis noté cette tendance chez de très (trop) nombreuses personnes. « Bonjour, enchantée, " Machine ", je travaille chez " Bidule " et vous ? » Jamais on ne m'a dit : « Bonjour, enchantée, " Machine ", dans le privé, j'adore la danse africaine et la peinture chinoise et vous, qu'est-ce que vous aimez ? » Parallèlement, juste après avoir décliné leur nom et leur profession, ces mêmes personnes en viennent très vite, pour la plupart ou du moins très souvent, à reconnaître qu'elles détestent leur boulot, ou que leur patron est un con ou un incompétent notoire et qu'elles aimeraient bien trouver autre chose.



Suite de la question : comment peut-on à la fois autant se définir par notre travail et autant le détester ? Pourquoi cette dissonance ? Est-ce que ça a toujours été comme ça ? Est-ce que c'est une évolution vraiment actuelle qui en est cause ? Si oui, laquelle ?



Si l'on essaie de creuser un peu le douloureux problème du " pourquoi ? " ces personnes détestent leur boulot, viennent très souvent en premier l'ennui, dû aux tâches répétitives et à la paperasse abondante, abondante, toujours plus abondante. Viennent aussi les conditions de rémunération, le fait d'être littéralement phagocyté par son travail jusque dans sa sphère privée, etc.



Bref, ce constat, tout le monde a eu l'occasion de le faire. Vous avez peut-être aussi eu l'occasion de constater combien certains énoncés de profession vous apparaissent peu clairs. « Mais qu'est-ce que c'est au juste que ce boulot ? » Et, bien souvent, vous n'êtes pas beaucoup plus renseignée après qu'avant avoir eu des explications dudit professionnel.



Voilà, nous touchons au but. David Graeber essaie de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. Pourquoi des gens dépriment parce qu'ils se rendent compte que leur travail n'a soit aucune utilité, soit il est globalement néfaste pour la communauté.



Il montre et démontre que les emplois les plus utiles socialement et les plus productifs sont également les moins bien payés. le personnel d'entretien, les manutentionnaires, les infirmières, etc. dont personne ne remet en cause l'intérêt de leur tâche pour les autres sont payés au lance-pierre tandis que les responsables de la communication interne d'une grosse entreprise (un exemple parmi des milliers d'autres) sont payés dix fois plus. Qu'est-ce qui justifie cela du point de vue de la productivité ? du point de vue du bien général apporté aux autres ?



Il y a longtemps déjà, le regretté Coluche avait trouvé une formule percutante pour s'adresser à un homme politique bien connu de l'époque : " ministre du temps perdu à un fric fou ". Voilà ce que David Graeber appelle les " bullshit jobs " c'est-à-dire non pas les " boulots de merde ", ceux qui sont utiles mais que personne ne veut faire car mal payés et déconsidérés, non il s'agit ici de " boulots à la con ", c'est-à-dire des boulots très bien payés, qui ne servent littéralement à rien.



Un bon indicateur du bullshit job est de se poser honnêtement la question : si mon travail était supprimé, est-ce que la communauté s'en porterait plus mal ? Très souvent, la réponse est non et même, plus inquiétant, la communauté s'en porterait plutôt mieux (démarcheurs téléphoniques de mon cœur, c'est à vous que je pense très fort en écrivant cela). En général, dans le privé, la succession hiérarchique des managers située entre le grand patron et ceux qui font effectivement un vrai boulot est jugée par ces derniers plutôt nuisible à la bonne exécution de leur tâche. (Dans le public, ça devient carrément kafkaïen et, hormis les échelons en rapport direct avec la mission à accomplir, c'est-à-dire, le tout premier échelon, c'est du bullshitland sur toute la ligne !)



C'est un peu comme si toute cette flopée de contrôleurs, formateurs, managers, chef d'équipe, responsable quelconque vous demandait : « Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous aider dans votre tâche ? » Vous leur répondriez invariablement comme il fut répondu à Jean-Baptiste Colbert : « Rien ! surtout ne faites rien ! à chaque fois que vous faites quelque chose, c'est pire, et ça se traduit par une nouvelle paperasse ou un questionnaire à la con de plus à remplir. Laissez-nous faire, surtout, laissez-nous faire, ne faites surtout rien. »



Et voilà comment, malgré tout, une longue, chaque jour plus longue chaîne hiérarchique — qui se nourrit d'elle-même à chaque échelon, que ce soit dans le public ou dans le privé — vient sucer, en bonne sangsue qu'elle est, tout l'argent généré par l'authentique travail des salariés les plus mal payés et les plus productifs.



Est-ce cela l'efficacité tant vantée du capitalisme ? Pourquoi cette longue chaîne de sangsues si l'on souhaitait vraiment rendre la production efficace ? Il y a d'autres explications que le capitalisme, d'autres fonctionnements qui sont devenus légions et c'est à la compréhension de tout ceci que nous invite David Graeber, avec mille fois plus de talent et de brio que la maigre pitance que je viens de vous servir.



Franchement, chapeau David Graeber. J'ai le sentiment, à la lecture de cet essai, qui se situe à la frontière entre le social, l'économique et le politique, de mieux comprendre le monde dans lequel je vis, ce qui est le but, je crois, de tout essai digne de ce nom. Alors merci David Graeber de nous tenir éveillés et pardonnez-moi si, une fois encore, je n'ai produit qu'un bullshit avis, car je me rassure en me disant qu'il ne représente, tout bien pesé, pas grand-chose.
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La Démocratie aux Marges

David Graeber nous offre, avec ce petit livre, une vision très intéressante de ce qu'est la démocratie. Peut-être pensez-vous vivre dans une démocratie ? Peut-être imaginez-vous qu'il n'est pas de forme plus démocratique de gouvernement que celle à laquelle sont arrivés un certain nombre d'états dits " occidentaux ".



Eh bien, Mesdames et Messieurs, au risque de vous surprendre, de vous déplaire éventuellement, je suis au regret de vous dire que vous ne vivez pas dans une démocratie et que vous n'y avez jamais vécus. Non, vous vivez dans une république. Or, bien qu'on essaie de vous faire accroire que république et démocratie sont des termes synonymes et interchangeables, il n'en est rien.



L'exemple classique de la démocratie, c'est celui des cités-états grecques du Vème siècle avant J.C., qui correspond, soit dit en passant, à la participation de chaque citoyen aux décisions collectives, c'est-à-dire à chaque citoyen homme et en âge de porter les armes. Les femmes n'ont évidemment pas voix au chapitre ni les non citoyens, qui sont assez nombreux.



Le régime politique que nous expérimentons tous depuis notre enfance n'a rien à voir avec cela. Il s'agit d'une république représentative où toutes les décisions politiques sont prises par deux assemblées de représentants et validées par un pouvoir suprême. Ces deux assemblées sont censées représenter, pour l'une, le peuple, pour l'autre, l'aristocratie bourgeoise.



Ces modèles républicains s'inspirent donc en tout du modèle de la république romaine et absolument pas de l'agora d'Athènes. À Rome, l'équilibre décisionnel était répartit entre le Sénat, c'est-à-dire les représentants de l'aristocratie, et le Plèbe, les représentants des hommes libres issus du peuple. le tout étant chapeauté par le consul, celui qui a la décision finale en cas de litige.



En France, c'est exactement ce modèle : la Plèbe, c'est l'Assemblée Nationale et le Sénat... ça ne s'invente, pas, c'est le Sénat. Aux États-Unis, idem, la Plèbe, c'est la chambre des représentants et le Sénat, qu'est-ce que c'est ? je vous le donne en mille : le Sénat. En Grande-Bretagne, la Plèbe, c'est la chambre des communes et le Sénat, c'est la chambre des Lords, etc., etc. chacun reconnaîtra son type de gouvernement.



Bref, rien qui ait vraiment à voir avec la démocratie et c'est cela que David Graeber a le mérite de mettre en lumière. J'aime beaucoup cet auteur. Pourquoi ? Parce qu'il est partisan et qu'il n'a pas l'hypocrisie de le cacher derrière une soi-disant objectivité. L'auteur est clairement anarchiste et il le spécifie d'entrée de jeu.



On est libre de se sentir ou de ne pas se sentir en accord avec ses convictions, mais son argumentation ou ses choix sont ainsi cohérents et méritent qu'on s'y attarde.



Dans un premier temps, il démontre que ce que l'on entend généralement par " occidental " ne repose en réalité sur rien et que les bases du système occidental pourraient tout autant être revendiquées par la culture musulmane et quelques centaines d'autres.



Ensuite, le mot démocratie lui même est épluché et David Graeber s'emploie à montrer qu'Athènes n'est probablement pas l'inventeuse de la démocratie et que son " modèle démocratique " est loin d'être un modèle, notamment parce que les votes correspondent à des hommes en arme et donc, qu'une estimation, au juger, des forces en présence influençaient le vote.



Ce livre, malgré son faible nombre de pages est assez dense et nous emmène sur le terrain de l'histoire, de l'ethnographie, de la sociologie et, bien sûr, de la politique. On nous y parle de la constitution de la " démocratie américaine " et de l'adoption de ce mot qui faisait peur à tout le monde aux balbutiements de la république américaine.



L'auteur nous parle aussi, et c'est ce qui donne le titre à l'ouvrage, des véritables cas d'apparition, au cours de l'histoire, de gestions réellement démocratiques. Et on ne les trouve pas là où l'on s'y attendrait le plus… en fait, toujours en marge des états constitués. Finalement, c'est toujours plus ou moins dans une sorte de melting-pot ethnique et culturel, dans une zone laissée vacante par les grands états constitués et avec des larges systèmes coercitifs qu'a le plus de chance d'apparaître la démocratie vraie.



L'État implique la présence d'un système efficace de coercition pour faire appliquer les lois votées par une courte majorité. La démocratie, elle, n'ayant pas normalement de système spécifique de coercition se base sur le consensus. En fait, ce que nous dit l'auteur, c'est que le système de scrutin majoritaire nous empêche de rechercher le consensus : c'est toujours un camp contre un autre et jamais une adhésion quasi unanime.



Il y a pourtant eu des formes alternatives et elles existent encore, notamment chez les zapatistes. Dans l'histoire, à titre d'anecdote, il semble bien que l'un des systèmes les plus démocratiques jamais mis en place soit au sein des équipages de bateaux de pirates où les décision étaient prises de façon consensuelles.



J'ai peur, en me relisant, de mal exprimer ce que l'auteur dit avec beaucoup de pertinence. En gros, selon lui, les zones d'apparition de la vraie démocratie se situent toutes plus ou moins dans des zones d'expérimentation, loin des grosses machines-états avec leurs vastes systèmes de contrôle du citoyen. L'auteur engagé prône l'auto-gestion donc évidemment il dénonce la main-mise des états sur les processus décisionnels, c'est naturel.



Mais là où cela m'interpelle fortement, c'est quand, par exemple assez récemment, j'ai été surprise de constater que les mécanismes tribaux de prise de décision dans un pays, généralement pas reconnu comme un exemple démocratique, la Libye du temps de Kadhafi, pour ne citer que lui, en ce qui concernait les décisions locales, présentait des aspects beaucoup plus démocratiques que les décisions qui étaient prises chez nous à la même époque ou même maintenant.



Bref, un très intéressant et très enrichissant petit bouquin, qui remet à plat beaucoup de nos idées et de nos conceptions, que, par habitude ou par paresse, on n'a jamais trop pris le temps de questionner. Je recommande donc vivement, mais ce n'est bien évidemment qu'un avis aux marges, c'est-à-dire, pas grand-chose.



P. S. : À titre d'exemple, histoire de vous prouver avec un cas très actuel que nous ne vivons pas dans une démocratie, la modification des rythmes scolaires dans l'école primaire en France est une réforme que ne voulaient ni les enseignants, ni les parents, ni les élèves. Pourtant elle nous a été imposée d'en haut, sans concertation véritable, par la magie du système républicain, soi-disant démocratique. Dans une vraie démocratie, chaque localité aurait procédé à l'adoption ou non de cette réforme, suite à des discussions pour arriver au consensus. Ici, consensus il y a, certes, mais contre cette réforme. Vive la république " démocratique " !

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Au commencement était...

David Graeber, l'auteur du coriace Dette : 5000 ans d'histoire,s'allie avec un autre David pour se lancer à son tour dans un gros bouquin d'histoire globale. Commençons par les défauts. Déjà, c'est parfois pénible à lire, la faute à une structure un peu fourre-tout. Ça manque de direction, de sens de la narration, et pour cette raison je vois mal ce livre devenir un classique. Ensuite, les auteurs aiment taper sur Jared Diamond et Yuval Noah Harari, à qui ils reprochent, sans doute pertinemment, de céder à des préjugés idéologiques. Pourtant, nos deux David font exactement la même chose : leur perspective idéologique, ancrée dans la gauche universitaire américaine, est clairement féministe, anticoloniale et anarchiste. Je ne veux pas dire que ces sensibilités seraient « mauvaises » (je les partage en bonne partie) mais qu'il y a dans ce bouquin un biais idéologique évident. Ainsi, on a droit à quelques absurdités, par exemple cette affirmation sortie de nulle part que le pain levé aurait nécessairement été inventé par une « femme non blanche ». Là comme à d'autres moments, les auteurs laissent clairement de côté le scepticisme scientifique au profit des guéguerres idéologiques modernes, ce qui jette le discrédit sur l'ensemble de leur propos. Heureusement, la plupart du temps, ils développent leur argumentation de façon plus convaincante.



On commence inévitablement avec Rousseau et Hobbes, et la critique de la position défendue (partiellement) par Diamond et Harari : l'idéalisation du monde pré-agriculture et, paradoxalement, une sorte de téléologie qui rend inévitables les structures de domination moderne (raison pour laquelle, selon moi, Harari est tant apprécié par les puissants). Nos David défendent la théorie selon laquelle les sociétés à petite échelle ne sont pas nécessairement égalitaires et les sociétés à grande échelle ne sont pas non plus nécessairement autoritaires. Commence donc une plongée profonde dans nombre de sociétés passées, une plongée à la richesse inégalée dans, je crois, aucun autre livre que j'ai bien pu lire. S'il y a bien une raison de lire Au commencement était, c'est cet incroyable aperçu de la variété stupéfiante de l'organisation sociale des sociétés et civilisations passées, variété à laquelle je ne peux que faire allusion ici. En somme, il n'y aurait aucune forme originale des sociétés humaines.



La suite sur mon blog :
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La Démocratie aux Marges

Ah la démocratie…



Vaste sujet débattu au sein de ma famille pendant mon enfance. le soir avec papa, maman et ma soeur, on se retrouvait autour de la table de la cuisine pour manger tous ensemble, et pour se foutre dans cette ambiance de dingue qui nous unissait tous les quatre à une époque trop lointaine (ou mon père pouvait encore faire deux choses à la fois : tenir debout une bouteille à la bouche) : mon paternel de part son sperme posait sa ceinture sur la table m'invitant expressément à bouffer rapido ma putain de soupe bordel de merde que sinon ça allait claquer sec sur mon cul tout rose… Sacré papa, il avait l'éducation taquine mais rassurez-vous jamais il n'a posé ne serait-ce qu'un putain de doigt sur moi, par contre ma mère qui avait toujours une claque au bec maîtrisait moins sa nervosité face au petit blondinet que j'étais…



Ouais donc : début un peu mitigé avec la démocratie familiale…



- Tu la veux celle-là

- Non

- Et ben tu l'auras quand même… ça t'apprendra à me répondre, et baisse les yeux…je suis pas ta copine…



Deux choix s'offraient donc à moi : reproduire le même schéma familial basé sur la bonne ambiance et les claques nerveuses pour un petit rhume mal soigné…. ou devenir une personne absolument génialissime…



Et à force de branlettes endiablées sur mon futur moi, je m'imaginais du genre parfait, l'orgasme narcissique au bout des doigts qui s'agitaient frénétiquement pendant pas mal d'années…puis j'ai rencontré la lecture, la vrai, pas les livres d'images dénichés un soir de jeunesse dans le placard mon père qui perdait souvent l'équilibre une bouteille à la bouche depuis le départ en loucedé de ma mère qui était partie se réfugier chez sa maraichère de mère qui voulait absolument être ma grand-mère… Non là je vous parle de la vraie littérature, celle qui t'ouvre des horizons fous, qui souvent donne un sens à ce qui n'en a pas beaucoup…



Finalement je suis devenu un pauvre mec ordinaire, proche du peuple sa mère, par dépit hein , j'aurais quand même préféré être un enculé bien richou, mais malheureusement on ne choisit pas sa réussite de merde… et puis j'ai re-rencontré ma meuf, croisé préalablement en seconde 4ème quelques années auparavant, alors qu'elle ressemblait vaguement à un truc bizarre entre homme et femme, heureusement son prénom et ses cheveux longs ont tranché en faveur du X… l'autre X est venu après… et au bout de 10 ans de réflexion avec les pour et les contres et un 95F bien engagé, on s'est installés en amour, avec meubles, lave-vaisselle, machine à laver, parquet bois, chats, et lit commun… Mais fallait-il encore que l'on trouve nos marques en amoureux, et ça s'est fait toute en douceur, naturellement, moi je m'occupais du repassage, de l'aspirateur, des vitres, de la salle de bain, de la serpillère, des travaux, et elle de presque rien… Il y avait eut consenSUCE entre nous, un accord oral sur la troisième syllabe qui nous convenait parfaitement pendant les quelques secondes de négociations, après je crachais cul sec pour sceller notre accord… ça marche encore aujourd'hui, avec quelques variantes sur les syllabes…



Dans ce bouquin, ça parle de démocratie, de ses origines ou non, des mythos grossier des états pour justifier un tas de conneries non démocratiques… Alors oui il existe bien quelques démocraties par ci par là, rien de bien folichon c'est vrai, mais et on pourrait réussir avec un peu de bon sens, de moralité, d'altruisme, et une grande dose d'utopisme… Pour ça faudrait déjà que l'on arrête de se tripoter le nombril en s'imaginant que l'on est les rois du monde…



Pour toutes autres informations structurées, intelligentes, et d'une grande clarté, veuillez vous diriger vers la critique de Nastasianounette…



Sur ce, a plus les copains…

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Bullshit Jobs

Un nombre important (et croissant) de gens, lorsque sondés à savoir si leur travail a une utilité quelconque, répondent : "non". Ces bullshit jobs, se retrouvent tout autant (sinon plus) au privé que dans la fonction publique. Qu'on parle de middle management, de ressources humaines et tout cela.



Graeber, dans cet essai, tente d'analyser pourquoi une économie capitaliste, pourtant centrée sur l'efficience, en vient à dilapider tant de ressources pour des emplois inutiles. Ne soyez pas surpris : "it's not a bug, it's a feature".



Plusieurs explications sont soulevées. La plus intéressante vient du statut social : Plus un travailleur a de gens en dessous de lui, plus il se sentira important. Les PDG aiment bien comparer combien ils ont de secrétaires pour calculer à quel point ils travaillent fort, sont occupés, bref : cela leur permet de calculer leur prestige.



Mais ce n'est pas vrai que pour les PDG. Les cadres, contre-maitres et tout poste médian entre le PDG et le concierge compétitionnent de la même façon. Plus on a d'employés sous nos ordres, plus on se convainc que notre propre poste est important et nécessaire.



Une autre raison est aussi le refus du capitalisme actuel de prendre la direction d'une société du loisir. On vise le plein emploi, convaincu que sans cela, la civilisation s'effondra. Il faut donc inventer constamment des besoins et des jobs inutiles. Après tout, la plupart des rapports de Ressources Humaines concluent que l'entreprise a besoin de plus d'effectifs... aux Ressources Humaines.



La plume de Graeber ici est particulièrement amusante, sans sacrifier dans sa rigueur habituelle.
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Bullshit Jobs

En 1930, John Meynard Keynes prédisait que les technologies auraient suffisamment progressé d’ici la fin du siècle pour que les pays industrialisés puissent instaurer une semaine de travail de quinze heures. Pourtant, la technologie a été mobilisée pour nous faire travailler plus en créant des emplois inutiles. Dans les grandes entreprises, alors que les campagnes de réductions de coût, les licenciements et les accélérations de cadence touchent systématiquement les personnes qui fabriquent, transportent, réparent ou entretiennent, le nombre de « gratte-papier » semble sans cesse gonfler car la classe dirigeante a compris qu’une population heureuse, productive et jouissant de temps libre est un danger. C’est pourquoi, tandis que les « vrais travailleurs » sont constamment écrasés et exploités, les sans-emplois sont terrorisés et dénigrés et les gens « fondamentalement payés à ne rien faire » adhèrent aux vues et aux sensibilités de la classe dirigeante et réservent leur animosité à ceux dont le travail a une valeur sociale indéniable.

(...)

Cette longue démonstration copieusement illustrée de très nombreux témoignages (dont nous n’avons pas du tout rendu compte ici) permet une lecture particulièrement vivante et aisée. Moins dense que d’autres ouvrages de l’auteur, son propos n’en demeure pas moins extrêmement pertinent et un excellent complément de son titre précédent Bureaucratie. De nouveau, David Graeber, en décloisonnant les connaissances, invite à un point de vue radical et totalement original sur nos sociétés.



Article (très) complet sur le blog.
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Au commencement était...

L’histoire des sociétés humaines est toujours racontée de façon linéaire et évolutionniste : les chasseurs-cueilleurs deviennent agriculteurs et sédentaires, la propriété privée apparait alors, source de toutes les inégalités, des cités sont fondées, puis des civilisations et des États, origines des armées de métier et des guerres, de l’administration et de ses formulaires, du patriarcat, de l’esclavage. L’anthropologue David Graeber et l’archéologue David Wengrow, s’appuyant sur les plus récentes recherches et découvertes scientifiques, racontent une histoire infiniment plus complexe, faite de nombreux allers-retours et de multiples combinaisons. Un panel d’organisations sociales se découvrent, oubliées ou occultées, bouleversant nombre de croyances et jetant « les bases d’une nouvelle histoire de l’humanité ».

(...)



David Graeber et David Wengrow, avec cette impressionnante somme d’informations, parviennent à briser le récit unique évolutionniste. Dans un monde où on nous rabâche qu’il n’y a plus d’alternative, où tout est verrouillé, ils parviennent à bouleverser les imaginaires, à rendre de nouveau envisageable l’avénement d’autres possibles. En s’intéressant au passé, ils nous dotent de perspectives pour d’autres futurs, nous libèrent de la fatalité progressiste qui entrave notre imagination et nos volontés. Ils montrent également que l’État est loin d’être le seul mode de fonctionnement, quel que soit l’échelle, bâtant en brèche une idée trop largement reçue. Car « si l'humanité a bel et bien fait fausse route à un moment donné de son histoire – et l'état du monde actuel en est une preuve éloquente –, c'est sans doute précisément en perdant la liberté d'inventer et de concrétiser d'autres modes d'existence sociale. »



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Pour une anthropologie anarchiste

Petit essai qui tente de voir ce que l'anthropologie peut apporter aux diverses pratiques anarchistes. C'est d'ailleurs le texte qui a fait perdre son poste de professeur universitaire à Graeber. (J'imagine que ce n'est pas de la Cancel Culture quand la victime est un anarchiste. 🙃)



On explore donc comment la démocratie, loin d'être une invention européenne, est une pratique qui se retrouve partout dans la monde sous diverses formes. Souvent : des gens qui discutent autour d'un repas. À mille lieux des procédures, Code Morin et autres artifices populaires auprès des syndicats, associations étudiantes et organismes communautaires.



On y voit aussi les mécanismes culturels mis en place chez des tribus autochtones pour éviter l'accumulation de richesses ou de pouvoir par quelques individus.



Bref : Pour une Anthropologie Anarchiste est un excellent point d'entrée dans l'apport immense de Graeber aux sciences humaines.
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Sur les rois

Avec ces sept articles consacrés à la royauté, les anthropologues américains David Graeber et Marshall Sahlins explorent la signification réelle du pouvoir.

(...)

Une somme incontournable pour quiconque s’intéresse aux origines de la souveraineté et aux mécanismes du pouvoir.



Article (très) complet sur le blog de la Bibliothèque Fahrenheit 451 :
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Dette : 5000 ans d'histoire

Le livre qui a fait connaître Graeber au grand public, sorti dans la foulée de Occupy Wall Street en 2012. C'est un livre d'économie, rédigé par un anthropologue anarchiste. Et, fait remarquable, il est assez bon pour avoir forcé l'orthodoxie économique à revoir ses bases.



La thèse est la suivante : "On doit rembourser ses dettes" n'est pas un énoncé économique. C'est un énoncé moral.



Vous connaissez sans doute l'histoire : d'abord, les humains faisaient du troc. Puis ils ont réalisé que ce n'était pas pratique, et ont fini par inventer la monnaie. Avec la monnaie sont nés les comptes et, ensuite sont nées les dettes.



Or, nous dit l'anthropologue, une société qui pratique le troc à l'interne, ça n'a simplement jamais existé. Cette fondation même de l'économie contemporaine est fausse. Ce qui est réellement arrivé est l'exact contraire.



Imaginons un village qui n'a jamais connu l'argent. Ce village n'a pas vraiment de conception de la propriété, mais pour fonctionner, chaque membre de la communauté doit participer à la vie commune. Plusieurs chasses, certain reviennent bredouilles, mais mangeront avec ceux qui ont été plus chanceux. Quelqu'un est nul en chasse, mais est doué pour réparer les vêtements. Il est utile à la communauté.



Tout fonctionne en termes de dette morale. Le village est assez petit pour que tout le monde se connaisse. Il n'y a pas d'échange pour ainsi dire, tout est mis en commun. S'il y a un profiteur, quelqu'un qui ne fait pas sa part mais mange celle des autres, cela ce saura. La personne sera exilée.



Mais voilà, le village prend de l'ampleur. Tout le monde ne peut plus connaître tout le monde. On s'échange donc des services. On prend des notes. Les dettes morales deviennent des dettes écrites.



"La sœur de Jacques avait besoin que je couds sa robe, je l'ai fait. Je ne la connais pas mais elle m'a invité à souper au printemps pour me remercier."



Et puis voilà, deux semaines plus tard, tu as besoin de graines parce que tes semences sont mortes. Un gars que tu ne connais pas en a. Tu lui en prends et lui laisse en échange le bout de papier qui promet le souper au printemps.



Ces dettes papiers circulent, changent de mains et au fil des ans, deviennent la monnaie.



(Je résume beaucoup. Graeber est plus convaincant que moi. Il a aussi des exemples empiriques pour supporter cette théorie. Notes pour le troc : ça a existé entre les différents villages, mais jamais dans leur fonctionnement interne, juste pour le commerce externe. Les seuls cas connus d'économies internes basés sur troc sont les endroits qui ont connu la monnaie, mais où elle a disparu. Dans bien des villages des provinces romaines, alors la chute de l'Empire, par exemple.)



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Ainsi, la monnaie est elle-même essentiellement une dette. La livre Sterling anglaise, par exemple, est née d'une conciliation de dette de la monarchie qui a eu pour impact de faire disparaitre toute la monnaie frappées par différents seigneurs, et de la remplacer par celle d'un même créancier. Si vous me suivez bien : cela veut dire que 100% de la monnaie anglaise est une dette. À sa création, si le roi avait payé sa dette, il n'y aurait plus eu un seul sous en circulation.



Et puis ce n'est que très récemment que les dettes sont devenues inoubliables. Avant, un créancier pouvait être tué ou jeté en prison, ce qui effaçait la dette. Le créancier plus malin pouvait même effacer lui-même une partie de ce qui lui était dû pour éviter que leur assassinat soit la solution à un problème politique.



Cela n'est plus possible aujourd'hui, alors que l'économie a pris le dessus sur le politique. Un pays qui devient démocratique doit reconnaître les dettes de son ancien dictateur s'il veut accéder au système financier mondial. Tout cela alors même que la dette mondiale est plus élevée que le total d'argent en circulation.



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Finalement, le livre parle de solutions. Que faire des dettes?



L'une des solutions pragmatiques proposées est le rachat de dettes à bas coûts simplement pour les pardonner. Chose qui a été tentée par John Oliver à une certaine échelle en 2016 et qui a bien fonctionné.



Un article sur le sujet au cela vous intéresse :



https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/785918/john-oliver-rachat-dettes-15-millions



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Le livre est très bien vulgarisé. Il est sérieux et très intéressant y compris pour des gens qui ne sont pas particulièrement anarchistes. Comme je disais, les économistes libéraux orthodoxes ont dû revoir leurs thèses, en réaction à ce livre.
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Dette : 5000 ans d'histoire

Ce livre imposant (mais accessible) est à la fois formidable et désespérant.



Je l'ai lu par effet d'aubaine : j'avais encore subi une discussion pénible avec un collègue à qui je tentais d'expliquer qu'un État n'est pas un ménage et que le problème des dettes publiques ne se pose et ne se résout pas de la même façon. Pénible parce que je patinais à expliquer clairement pourquoi, mes relents de souvenirs de keynesianisme s'embrouillaient dans mon esprit vieillissant. J'avais aussi remarqué, interloqué, que la dette publique, mantra de toutes les politiques en France depuis le virage de 1983 (sans parler de l'assassinat de la tentative de changement grecque par la finance internationale et l'Europe politique réunies), a soudain disparu des radars avec le Covid sans que cela n'émeuve personne. Bref : je lis une critique sur Babelio peu avant Noël et roule dans la hotte et dans ma PAL.



Et bien je n'ai pas été déçu !



Formidable parce que c'est un monument d'érudition associé à une théorie plutôt structurée utilisée comme grille de lecture.



Ce livre remet en question, pour ne pas dire démonte furieusement, l'ensemble de ce que nous sommes tous supposés tenir pour acquis sur le sujet. Et pas via de belles phrases ou arguments polémiques, mais en démontrant l'inanité des fondements des théories économiques au regard des faits historiques, des découvertes anthropologiques et du simple bon sens. Lesquels sont puisés aux quatre coins du monde et sur cinq mille ans d'histoire. Et organisés : l'auteur synthétise au passage les rapports humains sur une grille universelle (communisme, échange, hiérarchie) et démontre la place centrale du crédit et de la dette dans toutes les sociétés. Il expose en plus énormément de choses sur l'évolution du fonctionnement économique (et le rapport entre l'économie et la façon de concevoir le monde) de la plupart des civilisations depuis l'antiquité : Sumer et le Moyen-Orient puis le monde islamique ; la Chine et l'Inde au travers des âges ; pour l'occident, la Méditerranée antique, le moyen-âge européen, la révolution capitaliste et les temps modernes. Et c'est passionnant.



Désespérant parce que l'histoire de l'humanité n'est finalement qu'un long cortège d'atrocités avec juste quelques variations dans le niveau de violence. En gros, dès qu'on sort des groupes agraires isolés, c'est l’asservissement perpétuel de l'homme (y compris et en premier lieu de la femme) par l'homme avec comme arme idéologique la dette. Prétexte ou conséquence mais systématiquement : la dette. Et sur le temps long, il n'est pas évident que le niveau de violence ait tant baissé que ça, il ne faudrait pas que l'absence de guerres en Europe depuis 70 ans nous abuse (et encore, j'omets l'ex-Yougoslavie, l'Ukraine et autres ex-républiques soviétiques).



Bref, elle est pas jolie jolie la race suprême de la planète. En plus, sa dernière invention pour se martyriser les uns les autres, le capitalisme, l'emmène droit dans le mur.



Et c'est ballot : tout savant et structuré qu'il soit, Graeber avoue ne pas avoir de pistes pour s'en sortir. Je me venge : 4 étoiles seulement !

(Plus sérieusement : 4 étoiles parce que parfois, j'ai eu du mal à suivre. Soit qu'il m'ait pris pour plus intelligent que je ne suis, ou parce qu'il est parfois un peu embrouillé. Mais le voyage en valait la peine.)
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Les pirates des lumières

L’anthropologue américain David Graeber retrace l’histoire des Zana-Malata, population établie au Nord-Est de Madagascar, descendants métissés des pirates qui s’y étaient installés par milliers au début de XVIIIe siècle. Surtout, il défend l’hypothèse d’une influence de leurs pratiques, conscientes et intentionnelles, proto-démocratiques et de leurs expériences sociales radicales, dont la fameuse expérience utopique de Libertalia, sur les penseurs des Lumières.

(...)

Ces « utopies pirates », avec leurs modes de prises de décision et leurs aspirations égalitaristes, nourrirent certainement les conversations en Europe au tournant du XVIIIe siècle, grâce à l’intérêt pour la piraterie, alimentée par la littérature, accordant à leurs acteurs un rôle politique au niveau mondial jamais reconnu. David Graeber fournit en annexe un tableau confrontant la chronologie de ces événements avec celle de la publication des principaux textes du Siècle des Lumières. Il semble avoir épluché la totalité des documents disponibles afin de les confronter, de retracer la généalogie jamais entreprise de la liberté moderne, de contribuer au projet de « décolonisation des Lumières ».



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Dette : 5000 ans d'histoire

L'histoire de la monnaie m'a toujours fasciné : tenter de comprendre ce qui a poussé les individus à accorder de la valeur à des morceaux arbitraires de métal me plongeait dans un abîme de perplexité. Avec mes cours d'économie, j'ai accepté de bonne grâce l'explication de la raison de l'apparition de la monnaie, le désagrément de la double coïncidence des besoins (j'ai de la farine, je veux des chaussures : je dois trouver un cordonnier qui cherche de la farine, ou un boucher qui accepte de la farine en échange de viande, et un cordonnier qui échange de la viande contre des chaussures, etc.). Mais l'explication restait insatisfaisante : le besoin de monnaie n'explique rien sur l'entente générale sur le métal, et surtout, on prend l'histoire en cours de route : dans une économie basée uniquement sur le troc, personne n'aurait l'idée de se spécialiser dans un seul produit.



Aussi ai-je été plutôt surpris, et enthousiaste, quand l'auteur a balayé tout ça d'un revers de la main : cette explication tient du mythe fondateur, et ne correspond en rien à la situation historique. Tout comme d'ailleurs, la lente évolution proposée, troc – monnaie métallique – monnaie papier – monnaie virtuelle. Les premières économies sont fondées essentiellement sur la dette, et pas sur un échange immédiat : quand on a besoin de quelque chose, on le prend, et quand quelqu'un d'autre aura besoin de quelque chose plus tard, on lui donnera. Les communautés sont suffisamment petites pour que tout le monde se connaisse, et les abus sont empêchés par la pression sociale. Les paiements comptants ne sont exigés au départ que pour les étrangers de passage, et les individus en qui personne n'a confiance. Ce n'est que très lentement que l'argent va prendre la place de l'honneur et du respect de la parole donnée, en engendrant de sérieux problèmes moraux.



J'ai beaucoup apprécié cet essai, qui n'hésite pas à bousculer le lecteur, à remettre en cause des idées jusque là jugées évidentes. Là où j'avais toujours vu une histoire monotone et prévisible, l'auteur multiplie les hypothèses, les débats, des contre-exemples tirés des quatre coins du monde. J'ai été moins convaincu par sa lecture purement « monétaire » de l'histoire : on nous décrit parfois la naissance de philosophies, de religions, des grands massacres, comme des conséquences de simples histoires de dettes qui ont mal tourné. Mais enfin, dans l'ensemble l'essai était très rafraîchissant : il n'y a rien de mieux que de recevoir un bon coup de pied dans ses idées reçues au début d'un week-end.



Je tiens à signaler que j'accepte de troquer cet ouvrage contre un autre, mais j'en veux un en échange immédiatement, et d'un nombre de pages équivalent à celui-ci, soit 670 pages.
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Dette : 5000 ans d'histoire

Vous vous dites certainement…



Un livre d’économie sur la dette. Quelle idée ?!

Plus de 600 pages ! Quel calvaire !

5000 ans ! Quel intérêt ?

Un essai sur la finance ! Je n’y comprendrais rien !



Et bien j’ai trouvé cet essai de David Graeber passionnant et vertigineux et fascinant.

Pourquoi ?



En premier lieu, ce n’est un livre de finance économique.

Pas de formule mathématico-financière.

Pas de graphique (je crois qu’il y en a un ou deux, mais ils sont clairs et l’essentiel du propos n’est pas là) Pas de terme obscur. Il suffit de comprendre “prêt”, “dette”, “intérêt”, “gage” …

Mais je divulgâche un peu le livre en vous disant que l’on croit connaître ces mots courants … C’est un livre que je qualifierais d’économie humaine.



Tout d’abord David Graeber et un très bon conteur. Un conteur documenté, sourcé, qui s’appuie avec sérieux sur d’autres disciplines.



Un conteur malicieux qui parfois commencera par vous raconter de belles histoires de monnaie, de dette, de troc et de peuples primitifs. Histoires familières, déjà entendues ou même enseignées et pour pourtant parfaitement fausses ! David démonte impitoyablement ces beaux contes.



Mais un essai « 5000 ans de dette » même bien argumenté et écrit n’est pas quand même absolument rébarbatif ?



Pas du tout !

Pensez à la « dette » dans les religions, la morale, dans la rédemption chrétienne, les offrandes, l’accumulation de trésors par les temples et églises.

Quel que soit l’époque, le continent, la civilisation, la religion abordés, la dette est partout.



Sommes-nous dès la naissance débiteurs de dieux, du monde, de ses représentants, des autres hommes, des dirigeants, des états ? Les réponses apportées sont multiples et éclairantes sur notre propre rapport au monde.



La monnaie est aussi excellemment bien traitée dans ce livre.

Inventée, réinventée, rejetée, méprisée, convoitée, monnaies sociales, monnaies métalliques, monnaie étatique, monnaies privées.

Les implications de la monnaie sont immenses, multiples et graves.

Exemple : depuis quand, où et comment a-t-on donné un prix à la vie ?

Bien plus multiples, bien moins simplistes que les belles histoires de troc et de marché.



Une grande partie du livre traite d’un sujet capital.

Celle du gage ultime, du dernier gage qui reste au débiteur face au créancier.

Surtout si cette dette, la dette de sa vie ce n’est pas lui qui l’a engagé.

Le gage de sa propre liberté, de sa propre vie : l’esclavage.

Esclavage, dette et monnaies sont indissociables inextricablement liés.



De multiples chemins ont mené vers et hors de l’esclavage.

À différentes époques, sous différents systèmes économiques, sous différentes religions.

L’esclavage existe toujours. Il a laissé de profondes traces dans le capitalisme contemporain.



L’essai se termine sur le capitalisme et son fonctionnement si « naturel ».

David Graeber convoque de multiples domaines (histoire, sociologie, philosophie…) pour nous démontrer à quel point la dette est une convention qui pourrait être tout autre…



Bémols



Même bien écrit, le livre est dense.

Les éclairages donnés sont multidisciplinaires.

Beaucoup de passages méritent d’être relus non pas à cause de leur complexité ou hermétisme, mais à cause de tous les prolongements, conséquences qu’ils impliquent.

Les notes sont nombreuses et utiles.

Donc, prenez votre temps !



En conclusion



Un livre passionnant. Riche de points de vue moraux philosophiques, historiques multiples.

Des outils, des armes pour déconstruire qu’« Il est clair qu’on doit toujours payer ses dettes. »
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L'anarchie pour ainsi dire

Dans le monde antique, aussi bien en Chine, en Grèce qu’en Inde, la philosophie était presque exclusivement écrite sous forme de dialogue : la pensée était supposée collective ou « dyadique » et le but de la philosophie était de se cultiver jusqu’à ce que la conscience individuelle soit possible. Si la pensée chrétienne s’était déjà éloignée du dialogue, c’est Descartes qui introduit la césure, renversant entièrement la procédure en commençant par l’individu conscient de soi, puis se demandant comment celui-ci peut établir une communication avec autrui. Une grande partie de la pratique anarchiste repose sur le principe dialogique : « On prête une grande attention à prendre des décisions pragmatiques et coopératives avec des gens qui ont des visions du monde fondamentalement différentes, sans essayer de les convertir à un point de vue particulier. » Cette proposition de discussion avec Mehdi Belhaj Kacem, Nika Dubrovsky et Assia Turquier-Zauberman, ne pouvait donc que ravir David Graeber. Ensemble, ils questionnent l’anarchie dans la sphère du politique.

(...)

Après ce tour d’horizon assez étourdissant, tant les notions abordées sont variées et les fulgurances intellectuelles nombreuses, David Graeber propose un semblant de conclusion : « L’anarchisme concerne la possibilité qu'une foule devienne plus intelligente que n'importe lequel des membres individuels qui la composent. Il s'agit de créer les modes de communication et de délibération qui permettraient que cela se produise. D'où l'accent mis sur la pratique. »



Un ouvrage qui n’est pas près d’être rangé sur les étagères, tant sera pressant le besoin d’y revenir souvent.



Article (très) complet sur le blog de la Bibliothèque Fahrenheit 451 :
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Bureaucratie

Professeur d'anthropologie à la London School of Economics, militant anarchiste américain - il a été un des théoriciens du mouvement Occupy Wall Street -, et auteur d'un essai monumental sur la dette, Dette : 5000 ans d'histoire, David Graeber revient avec Bureaucratie.



Bureaucratie est la traduction du livre The Utopia of Rules: On Technology, Stupidity, and the Secret Joys of Bureaucracy.



On imagine sans mal que l'éditeur et le traducteur ont considéré que, pour le marché français, il serait plus vendeur de mettre l'accent sur la bureaucratie que les autres thèmes développés dans le livre. Pour renforcer cette décision, la citation suivante a été placée en première de couverture : « Il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie absolue de Louis XIV ». Avec ce titre et cette citation, le lecteur français devrait être certainement plus attiré que par le nom de l'auteur, Graeber - comme il le raconte, son nom est parfois orthographié « Grueber », qui se rapproche du nom du terroriste dans Die Hard.



Le livre se compose d'une introduction - La loi d'airain du libéralisme et l'ère de la bureaucratisation totale -, de trois chapitres - Zones blanches de l'imagination. Essai sur la stupidité structurelle, Des voitures volantes et de la baisse du taux de profit, et L'utopie des règles, ou pourquoi nous adorons la bureaucratie, au fond - et d'un appendice - de Batman et du problème du pouvoir constituant. Pour l'essentiel, il s'agit de textes déjà paru sous des formes différentes - seule l'introduction et le chapitre L'utopie des règles, ou pourquoi nous adorons la bureaucratie, au fond sont des nouveautés - et qui, peu ou prou, traitent tous de la bureaucratie.



L'introduction traite de la loi d'airain du libéralisme - « Toute réforme de marché - toute initiative gouvernementale conçue pour réduire les pesanteurs administratives et promouvoir les forces du marché - aura pour effet ultime d'accroître le nombre total de réglementations, le volume total de paperasse et l'effectif total des agents de l'État » - et de l'absence d'une critique de gauche de la bureaucratie. le premier chapitre traite de ce que Graeber qualifie de stupidité structurelle, de violence structurelle. le chapitre 2 développe l'idée que le capitalisme néolibéral ne produit plus que des gadgets technologiques au lieu de grandes innovations. le chapitre 3 traite d'une espèce de paradoxe, un « attrait caché » : à savoir pour quelles raisons les individus, alors qu'ils s'en plaignent, adorent finalement la bureaucratie. L'appendice revient sur The Dark Knight Rises, le dernier film de la trilogie de Christopher Nolan consacré à Batman, perçu par les manifestants d'Occupy Wall Street, y compris Graeber, comme une propagande anti-Occupy.



J'ai apprécié l'ensemble du livre avec une préférence pour le chapitre 2 - Des voitures volantes et de la baisse du taux de profita été intéressant pour moi - et le chapitre 3 - L'utopie des règles, ou pourquoi nous adorons la bureaucratie, au fond.



Dans le chapitre 2, David Graeber développe la thèse que le capitalisme néolibéral ne produit donc plus de grandes innovations et surtout des technologies bureaucratiques - « En même temps, dans les rares domaines la créativité libre et imaginative est vraiment stimulée, comme le développement de logiciels ne source ouverte sur Internet, elle est canalisée, au bout de compte, vers la création de plateformes encore plus nombreuses et efficaces pour remplir des formulaires » - au détriment de technologies poétiques - « l'utilisation de moyens rationnels, techniques, bureaucratiques, pour donner vie à des rêves impossibles et fous » comme les voitures volantes. Cette idée rejoint le point de vue de l'auteur de science-fiction Neal Stephenson. Stephenson déplore en effet la « mort de l'innovation » (innovation starvation)* : afin de lutter contre cette « mort de l'innovation », Stephenson a lancé le projet Hieroglyph**. Cette thèse rejoint également, et de façon étonnante, le manifeste d'un fond de pension déplorant que « Nous avions rêvé de voiture volantes et nous avons eu 140 caractères ».



Dans le chapitre 3, David Graeber traite de la question de l'utopie des règles en utilisant pour sa démonstration la fantasy*** et les jeux de rôles - en l'occurrence D&D****. L'utilisation de ces deux domaines-là pour rendre compte de l'utopie des règles rend ce chapitre-là passionnant. Avant, je lisais simplement de la fantasy ou jouais à des jeux de rôles ; désormais, je m'intéresserai à l'utopie des règles et à mon rapport à la bureaucratie lors de la pratique de ces deux activités ludiques.



Comparativement à d'autres des livres de Graeber - par exemple, Des fins du capitalisme : Possibilités I -, Bureaucratie est (globalement) accessible au lecteur. Il est d'autant plus accessible que, pour assoir sa démonstration, David Graeber puise les exemples dans ses expériences personnelles - il raconte ses difficultés avec la bureaucratie lorsque sa mère est tombée malade ou lorsqu'il a essayé d'ouvrir un compte à Londres - et professionnelles - il utilise par exemple certains des études anthropologiques qu'il a faites à Madagascar - et également dans les oeuvres de fiction - évidemment Batman, mais aussi Star Trek, James Bond vs. Sherlock Holmes, Harry Potter, le Procès, ou les jeux de rôles D&D et World of Warcraft. Les réflexions et démonstrations de Graeber sont brillantes - certes, il est possible de ne pas les partager mais l'auteur ne cache ni ses idées, ni son engament. Les nombreux détours de production par la fiction et autres exemples concrets d'interaction avec la bureaucratie rendent la lecture agréable et fluide.



A la fin de l'introduction, David Graeber écrit : « Si ce livre contribue, même modestement à ouvrir une conversation de ce genre, il aura vraiment apporté quelque chose à la vie politique contemporaine » : on ne peut que souhaiter, pour le livre et surtout pour nous, qu'il ouvre de nombreuses conversations de ce genre.



* http://www.worldpolicy.org/journal/fall2011/innovation-starvation

** http://hieroglyph.asu.edu/

*** Que le traducteur a décidé de traduire par fantaisie.

**** Dungeons and Dragons.



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Bullshit Jobs

Un livre éclairant qui date un peu je crois. Ces notions ont été pas mal médiatisées et il n'est plus besoin de les expliquer à l'honnête citoyen. Le "Job à la con" est donc ici classé par catégories de nuisance sociale et d'autonuisance, les deux pouvant avoir lieu simultanément.

Si des sociétés étaient classées par le pourcentage de jobs à la con qu'elle produit, notre société moderne décrocherait le pompon.

La société soviétique sans chômage produisait des travailleurs pauvres qui ne faisaient pas grand chose. La société moderne produit des parasites qui s'évertuent à faire croire qu'ils font quelque chose et qui sont par contre très bien payés pour ce subterfuge.

Il est vrai que engraisser des talentueux clowns en crampons, des magnifiques bimbo.e.s marseillais.e.s, des très fin.e.s influenceurs.euses, des tendres et affectueux présentateurs de shows télévisés, des powerpointeurs de mac Kisait etc..., il est nécessaire d'exploiter des travailleurs inutiles comme les infirmiers, les profs, les petites mains de la restauration, les ouvriers de chantier etc...

Ici, ces jobs à la con qui ne servent à rien à part encaisser des sommes indues sont plutôt situés du côté des grandes structures, publiques comme privées. On a le droit à des explications sur l'intérêt d'avoir autour de soi, quand on atteint un certain niveau de rémunération, une cour servile qui renvoie une image flatteuse de sa fatuité.

Cela depuis suffisamment longtemps pour être à peu près certain que cela perdurera.

Enfin, tant que les premiers convaincront les seconds qu'il faut préserver l'habitabilité de la planète pour qu'ils continuent d'en jouir.



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Bullshit Jobs

J’ai tagué ce livre « Coup De Cœur » sur mon blog. Il me faudrait créer une étiquette « Indispensables ».

Ce livre fait partie de ceux qui changent votre vision du monde ou qui corrigent ce que vous croyez savoir.

Le précédent livre m’ayant fait cet effet est « Tout sur l’économie (ou presque) »



Avant de lire cet essai :

* Je savais que des « jobs à la con » existaient, mais je pensais que c’était un peu anecdotique

* Je croyais les « bullshit jobs » beaucoup plus répandus dans la fonction publique et les grosses administrations.

* Je ne connaissais pas suffisamment les racines historiques, religieuses de la « valeur » ou des « valeurs » que l’on accorde au travail

* Je croyais à la fable de l’efficience du capitalisme



Et bien cet essai :

* S’appuie sur des témoignages pour illustrer son propos. Mais même une foule de témoignages n’est pas une preuve. Alors justement…

* Trouve des preuves de ce qu’il avance : oui les « bullshit jobs » existent et ne se cantonnent pas au « public » (au contraire !)

* Casse le mythe dans le privé il y en a peu

* Casse le mythe d’un capitalisme efficient

* Plonge aux racines de la place, de la valeur, des valeurs que l’on associe au travail

Depuis quand associe-t-on le travail à la pénibilité ?

Qu’est-ce qui se cache derrière le fait de « vendre son temps ? »

* Catégorise de façon pertinente les genres de « bullshit jobs »

* fait le pont avec les décisions politiques

* Quelles conséquences sur les individus coincés

* et bien plus !



Alors évidemment on ne peut pas mesurer précisément le nombre de bullshit jobs car comment savoir qu’un poste apporte quelque chose à l’humanité ?

Il ouvre d’énormes pistes de réflexion :

* Pourquoi travaillons-nous ?

* Pourquoi garder les gens occupés à des tâches inutiles voir néfastes ?



Un livre indispensable alors que la voie « travailler pour consommer » nous aliène et nous conduit dans le mur.
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Au commencement était...

Mal servi par une écriture confuse, ce livre dévoile une synthèse stimulante des dernières découvertes archéologiques autour du monde. À condition toutefois de le lire en conservant un oeil critique face à la mauvaise foi de ses auteurs.



Les auteurs, que nous appelleront les deux David par facilité (Graeber et Wengrow), en ont gros sur la patate. Figurez-vous qu’une théorie « dominante », voire « officielle », règne sur l’histoire, l’archéologie et les sciences humaines. Ce courant de pensée serait évolutionniste (ouuuuh le gros mot), c’est-à-dire qu’il envisagerait les sociétés sur une échelle de temps/développement allant des chasseurs-cueilleurs égalitaires jusqu’aux sociétés commerciales civilisés hiérarchiques (les nôtres). Ils multiplient donc les indignations contre cet évolutionnisme prétendument dominant, pour mieux se vendre comme les justes redresseurs de tord d’une histoire malmenée.



Problème : les David ne citent quasiment pas de nom. Les rares fois où ils citent quelqu’un (Jared Diamond, par ex), on se rend bien compte qu’ils sont énervés contre des gens nés dans les années 1930 et qui ne sont plus vraiment au centre de la recherche actuelle. Les David font donc semblant de faire comme si la recherche n’avait pas évolué depuis les années 1960. De fait l’évolutionnisme n’a plus vraiment la cote, même s’il est vrai qu’aucune autre théorie globale de l’histoire de l’humanité n’a réussi à s’imposer ces derniers 60 années. Bref, le procédé littéraire est classique, mais malhonnête : inventer et caricaturer la position d’un prétendu adversaire pour mieux défendre sa thèse à soi.



Autre défaut : la mauvaise foi simplificatrice. À plusieurs reprises, les David affirment des choses comme si elles étaient acquises par la communauté scientifique, alors qu’elle font encore largement débat (ex : le peuplement de l’Amérique via le Pacifique) ; ou bien ils caricaturent la pensée d’auteurs qu’ils présentent. Le première chapitre en est un bon exemple. Les David défendent l’idée selon laquelle les critiques indigènes amérindiennes ont influencé la pensée des Lumières européens, et notamment Rousseau. Les David se contentent ici de réutiliser les arguments de plusieurs auteurs (Anthony Pagden, Tzvetan Todorov, Sankar Muthu…), l’influence des amérindiens n’est donc pas un scoop si on s’est déjà s’intéressé au sujet. Mais c’est un scoop déformé, mal expliqué, parce que personne ou presque n’écrit que ces écrits indigènes sont la source d’inspiration principale des Lumières (sauf les David) ; au contraire il y a tout un ensemble de raisons qui vont emmener les philosophes à se saisir de la question des inégalités (les Amérindiens ok, mais pas que, des commentaires sur la la Bible aussi qui comporte plein de passages appelant à l’égalité par ex). Il est donc doublement agaçant de voir ces David s’autoproclamer critiques subversifs alors qu’ils ne font que vulgariser des thèses d’autres chercheurs, et qu’en plus ils le font avec la subtilité d’un bulldozer.



Dernier défaut : le plan et l’écriture du livre. Beaucoup de détours et d’exemples au lieu d’aller à l’essentiel. Si le livre est gros, c’est surtout parce qu’il tourne souvent en rond, se perdant dans des démonstrations parfois éloignées de ce qui est censé être le thème du livre (par ex cet interminable chapitre où les David comparent deux sociétés récentes amérindiennes de Californie pour expliquer ce qu’est la shismogénèse, alors qu’ils l’avaient déjà expliqué le chapitre précédent…). Honnêtement j’ai souffert à la lecture jusqu’au chapitre « Pourquoi l’Etat n’a pas d’origine », c’est-à-dire plus de la moitié du livre. Le dernier tiers, heureusement, est beaucoup plus fluide. La conclusion, plutôt bien écrite par rapport au reste, synthétise l’ensemble des thèses défendues dans le livre.



*



J’ai donné les défauts (importants) qui m’ont un peu « gâché » ce livre. Pourtant, je l’ai trouvé très stimulant, surtout la fin.



Ce livre est en fait un énorme travail de « vulgarisation », comme on dit, c’est-à-dire de présentation de travaux scientifiques qui d’habitude restent dans la confidentialité des revues spécialisées. Ils vulgarisent deux choses. D’une part les découvertes archéologiques. Le monde de l’archéologie a connu des progrès stupéfiants ces dernières décennies, notamment grâce à de nouvelles technologies qui nous permettent d’apprendre plus et mieux sur les sociétés anciennes. Ces nouvelles découvertes ont rabattu pas mal de cartes : non les inégalités ne sont pas nées avec les premières villes, ni d’ailleurs la hiérarchie ou la royauté ; de très nombreux peuples semblent avoir inventé des formes de gouvernements démocratiques à travers l’histoire, notamment en Amérique du Nord ; les Indiens des plaines n’ont pas toujours vécu en tribus nomades, et il y a eu des villes imposantes avant qu’elles s’écroulent sur elles-mêmes (je donne quelques exemples, le livre en est riche de plein d’autres).



Ensuite, les David vulgarisent des auteur-es qui ont été peu traduits en français, notamment des chercheurs d’origine amérindienne qui portent un regard neuf sur l’histoire des peuples autochtone, l’arrivée des colons européens et leurs échanges.



Je dois dire bravo pour la somme des connaissantes présentées dans ce bouquin. C’est assez impressionnant, et c’est présenté avec beaucoup de pédagogie (même si, on l’a vu, les auteurs ont tendance à ne retenir que ce qui arrange leur thèse). La principale richesse du livre, c’est cette sorte de catalogue d’exemples d’organisations de sociétés que les auteurs présentent. Au fur et à mesure de ces plusieurs centaines de pages, il vont mobiliser de nombreuses ressources et nous parler de nombreuses sociétés à travers le Globe et l’histoire. C’est très intéressant, et ça montre bien l’inventivité et l’imagination des peuples humaines - y compris quand il s’agit d’inventer des systèmes politiques ! Une des thèses centrales du bouquin est de dire que l’humanité a inventé mille possibilité de gouvernement, de gestion des conflits, d’agriculture ou de cueillette. Et les auteurs le montrent, preuve à l’appui. Qu’on soit convaincu ou non par l’idée que vivre sous la domination d’un Etat n’était pas une fatalité, on doit reconnaitre l’immense travail de collecte et d’analyse de données des David.



Je ne vais revenir sur la thèse de chacun des chapitres, ce serait trop long. Je citerai juste « Pourquoi l’Etat n’a pas d’origine », que j’ai trouvé le plus stimulant de tout le livre. En fait c’est une poursuite des thèses déjà travaillées par Graeber dans On Kings (avec Sahlins). « L’Etat » est une expression qui veut tout et rien dire, historiquement eux identifient trois types de dominations, et c’est la combinaison de ces trois éléments qui fondent ce qu’on appelle Etat au XXIe siècle. Mais dans l’histoire, ces types de dominations peuvent être dissociées, ou associées seulement deux par deux, ce qui donnent des sociétés différentes. Cette typologie est intéressante car elle permet effectivement un regard décalé sur des sociétés qu’on classe souvent en « chefferie » ou « société complexe », expressions devenues un peu fourre tout à force d’être utilisées.



*



En résumé, un livre que je conseillerai parce qu’il est stimulant et ouvre de nouveaux horizons. Attention toutefois à ne pas tout prendre pour argent comptant, et d’aller lire les auteurs cités, car si la richesse de cet ouvrage est l’incroyable nombre de ressources mobilisées, elles sont parfois traitées avec un peu de légèreté.

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Au commencement était...

Imaginez un monde où l'on travaille deux à quatre heures par jour et où l'on consacre son temps libéré à créer des objets artistiques, se cultiver et conforter ses relations conviviales. Imaginez une société où les fonctions régaliennes (police, justice) soient assurées de façon tournante par l'ensemble des citoyens (les discriminations y deviennent impossibles, chacun se retrouvant dans la position de subir les brimades injustifiées qu'il aurait infligées précédemment à un autre). Imaginez une administration locale dont le rôle principal serait d'identifier et de soutenir les personnes ayant vécu des difficultés (maladie, accident, handicap...) en répartissant la production de façon à limiter les inégalités. Imaginez une population mettant en œuvre des stratégies empêchant qu'une classe dirigeante n'émerge et ne se renforce (responsabilités tournantes, épreuves subies par tout aspirant politicien afin de réduire son ego...). Imaginez que les guerres se règlent par le jeu ou par des combats sans armes avant de s'arrêter à la fin de la saison. Vous vous dites sans doute que cela est totalement utopique... Pourtant ces différentes formes de vie sociale ont bel et bien existé par le passé à travers le vaste monde. Et plus souvent qu'on ne l'imagine. Certains anthropologues (Pierre Clastres, Christopher Boehm) affirment même que 95% de notre histoire se serait déroulée au sein de « sociétés d'égaux ». Cela ne se sait pas et c'est bien dommage, car si les humains sont parvenus par le passé à inventer des formes de vie sociale égalitaires et non autoritaires, rien n'empêche d'imaginer que nous soyons encore aujourd'hui capables d'une telle inventivité. C'est la thèse euphorisante développée par David Wengrow, archéologue et David Greaber, anthropologue (1), dans un livre de 745 pages intitulé Au commencement était... Une nouvelle histoire de l'humanité (2). Un pavé dans la mare du récit sur l'origine et le cheminement des humains qui domine depuis plus de deux siècles.



Déconstruire nos mythes

Le monde est une construction sur laquelle reposent nos institutions et qui structure nos façons de vivre et de penser. Depuis le XVIIIe siècle (la Révolution française et l'essor du capitalisme), deux versions coexistent et s'opposent sur l'origine de l'humanité. Selon l'une, l'homme serait demeuré « égalitaire » tant qu'il était chasseur-cueilleur vivant en petites unités et il aurait perdu son innocence avec l'apparition de l'agriculture, le développement des premières villes puis des États (JJ. Rousseau, Second discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité - 1754). Selon l'autre, les hommes étant des êtres égoïstes, l'état de nature devait être un état de guerre de tous contre tous que seuls des dispositifs répressifs (gouvernements, tribunaux, police, administration) auraient permis de réguler (Thomas Hobbes, Le Léviathan – 1651). Avec des points de départ opposés, ces deux récits aboutissent à un résultat étonnamment analogue : celui d'une approche évolutionniste de l'histoire. Pour nos deux auteurs contemporains, ce récit des origines a beau être celui qui domine encore aujourd'hui, il n'en demeure pas moins qu'il est faux. Les découvertes archéologiques des quarante dernières années basées sur de nouvelles techniques de recherche viendraient étayer la thèse des deux David, lourdement étayée par un index bibliographique de plus de 1000 références, thèse sur laquelle ils ont travaillé pendant plus de dix années.



Des êtres capables de se transformer

Je me contenterai ici de relever quelques aspects de leur argumentation. 1. Il existait une grande variété dans la façon de vivre des chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, résidant dans différents endroits de la planète. Certains valorisaient le loisir par rapport au travail, pour d'autres c'était le contraire. Certains étaient cupides quand d'autres refusaient accumulation des biens et propriété privée. Certains privilégiaient leur intérieur, d'autres les créations collectives. Certaines sociétés étaient fortement hiérarchisées quand d'autres se moquaient ouvertement de leurs chefs. 2. Le blé et l'orge ont compté parmi les premières cultures domestiquées il y a environ 10.000 ans dans le Croissant fertile (correspondant à la Palestine, Israël et le Liban actuels). Mais ce que l'on nomme « révolution agricole » c'est à dire le passage à la sédentarité par la stabilisation agricole a pris plus de 3.000 ans (un peu long pour nommer cela « révolution »), car les cueilleurs considéraient le travail agricole comme trop contraignant et ne l'adoptaient que par intermittence. 3. L'organisation verticale des sociétés (États, villes) fondée sur des monarques surhumains serait surévaluée. Les recherches archéologiques montrent que ces systèmes hiérarchisés sont limités à de très petites zones ; la majeure partie des sociétés s'organisaient d'une façon plus horizontale et égalitaire. 4. La violence et la guerre sont demeurées des situations relativement rares au long de la préhistoire. 5. L'organisation sociale changeait du tout au tout en fonction des saisons, pouvant passer d'un mode hiérarchisé dans les périodes de regroupements à un mode égalitaire lorsque le groupe se scindait en petites unités pour la cueillette et la chasse ; ces changements successifs permettant de prendre de la distance par rapport à la façon de vivre.



Revoir notre copie

Le livre ne tranche pas sur les raisons qui ont conduit les humains à réduire toujours plus leurs libertés élémentaires au point qu'aujourd'hui peu de gens sont capables de se représenter comment ils pourraient vivre en exerçant pleinement leurs trois libertés élémentaires (celle de partir s'installer ailleurs, celle d'ignorer les ordres donnés par d'autres ou d'y désobéir, celle de façonner des réalités sociales nouvelles et radicalement différentes). Mais le simple fait de savoir que, pendant des millénaires, des sociétés sont parvenues à les maintenir vivantes nous offre l'espoir de pouvoir à nouveau les activer.



(1) David Graeber est mort peu après avoir mis le point final à ce livre

(2) Éditions Les Liens qui libèrent, novembre 2021, 745 pages
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