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Citation de ChouettedeMinerve


J'avais renoncé à la drogue, mais pas aux tentations. La vie de patachon que je menais multipliait autour de moi les hameçons où m'accrocher. Avec ceci qu'il n'est rien de si plaisant que de voir un repenti repiquer au péché et que plus d'un prosélyte, en douce, s'employait à me faire oublier mes bonnes résolutions. Un soir, dans l'atelier d'un ami peintre, à Montparnasse, je me laissai convaincre d'essayer une certaine poudre qu'on me vantait de toute première bourre.
Je ne touchais plus à la drogue, certainement, et mon erreur fut de vouloir me prouver à moi-même qu'à présent je dominais complètement le problème, et le produit.
Comme dit Corneille :
Et les occasions tentent les plus remis.
( Polyeucte, III, 5.)
Je m'octroyai donc deux prises, ignorant que cette poudre que j'essayais était quasiment pure, qu'on ne l'avait pas, comme d'habitude, coupée avec du lactose. L'effet du stupéfiant fut sur moi "catalpultueux", comme aurait dit Léon Bloy. Les copains me retrouvèrent un peu plus tard, couché dans un petit lit sous l'escalier, complètement groggy, et j'avais déjà les extrémités des doigts qui viraient au verdâtre. Les pendards qui s'occupaient de moi ne firent ni une ni deux. Ils diagnostiquèrent un état de manque carabiné. "On va lui en refiler une petite prise !" Une petite prise de plus, sur un homme déjà en overdose, vous imaginez le résultat ! C'était éteindre un incendie en tapant dessus à coups de fagots. On me fit renifler ma prise et... Exit Gélin, le rideau tombe.
Le lendemain matin, Danielle se présentait à la clinique où le docteur Schwartz m'avait fait transporter en urgence. "Qu'est-ce que tu as encore fait mon doux chat ?" Je n'étais pas fringant. J'avais bien failli y rester, mais enfin, le coeur avait tenu, j'étais tiré d'affaire, il ne me fallait plus que du repos.
Danielle arrive donc et m'annonce que, la veille, pendant que je faisais mon quatre-cent-unième coup, papa était opéré à la clinique de la rue Mozart, où il avait sollicité son admission peu de temps auparavant.
Les médecins voulaient que je reste au moins trois semaines sous surveillance, mais je quittai les lieux séance tenante, après avoir signé l'obligatoire décharge. Dans le brouillard où je me trouvais, séquelle de mon overdose, une seule idée brillait en moi avec quelque clarté, celle que j'avais fait le c... pendant que mon père était en train de souffrir.
Je me rendis dare-dare à la clinique de la rue Mozart. J'entrai. Je vis mon père. Il avait sur les traits la joliesse de la douleur. Monique était à son chevet, et Lauer aussi, tous deux pleurant. Moi, je ne pouvais pas prononcer une parole, tant ma gorge était contractée.
J'ai pris papa dans mes bras comme s'il était un bébé et je l'ai embrassé partout sur le visage : je lui ai embrassé le nez, le front, les joues, les yeux, la bouche. Je l'ai baisé comme on baise un enfant qu'on vient de mettre au monde. Et je suis parti sans avoir réussi à dire un seul mot.
A midi, étroitement surveillé par le docteur Morand, je me trouvais prêt à tourner sur le plateau de La neige était sale.
J'ai tourné, j'ai travaillé et, parce que la drogue m'avait fait oublier mon père au moment où celui-ci avait besoin de moi, jamais, plus jamais je n'ai repiqué à l'héroïne.

Chapitre XVI, p160 à 162.
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