15 décembre 2009 :
Mot de l'éditeur :
Un inconnu vient se réfugier en un lieu où il croit trouver la tranquillité : une cave donnant sur une petite place, dans un village du Sud.
Un inconnu : un Arabe.
Le jour, il charrie des tonnes de cailloux sur un chantier de terrassement. le soir il rentre dans son trou. Pourquoi se cache-t-il ?
Le village s'agite, une hostilité sourde monte de la terre. Ici, il n'est pas chez lui et ne le sera jamais. L'Arabe n'entend rien, se berce de l'illusion qu'à force de vivre invisible, il finira par disparaître.
Lorsqu'un meurtre est commis sur la place, cette illusion se dissipe. Aux yeux de tous, c'est lui le coupable.
Mais les forces qui se dressent contre lui sont anciennes, comme le feu, la rage, la peur. Pour leur échapper, se rendre invisible ne suffira plus.
L'Arabe est un grand roman «sudiste», où des personnages de Faulkner ou de Flannery O'Connor traverseraient des paysages à la Giono. le Sud d'Antoine Audouard est lui aussi un vieux pays vaincu, peuplé de figures tour à tour tragiques et grotesques. Ecrit dans une langue où le parler populaire se mêle à un lyrisme altier, ce roman qui multiplie les dissonances et les ruptures de ton est l'oeuvre d'un écrivain accompli.
Antoine Audouard est né en 1956. Il est l'auteur de huit romans, dont Adieu, mon unique et Un pont d'oiseaux (Gallimard).
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Il en est, des silences qui ne s'achèvent pas.
La vie, c'est ce qui arrive aux autres tandis que je m'occupe à en rêver.
Le mensonge laisse toujours passer un rayon de lumière vers la vérité.
Roland, ayant entendu dire par ma mère que j'écrivais "bien", m'avait demandé de réécrire les scènes érotiques d'un auteur de best-sellers, négligeant de me préciser (après un essai d'une page jugé satisfaisant) que, celui-ci n'écrivant pas ses livres, je me trouvais donc à l'ombre de l'ombre, nègre d'un nègre, un ancien de la Légion à qui l'Indo avait donné sur le sexe des vues simplistes et répétitives, où l'arrachage des vêtements et sous-vêtements de la femme (toutes des salopes sauf maman : elles disaient non et pensaient oui) était un point de passage obligé. (p. 35)
Il sort. Poussière de la lune rousse. Le vent s'endort. toute la géographie des bruits : les chiens, le frisson des cyprès, les voitures, les échos de la fête au village, les pas sur le gravier. Carte de la nuit : savoir, les yeux fermés, qu'ici ou là on vient ; deviner la plongée du vent alors qu'il est encore loin, muscles noués dans la course du fleuve.
[...] ce que j'ai été ne me suffit pas, ne peut me suffire, et même, à mesure que je vieillis, me contente de moins en moins. Nous ne pensons trop souvent qu'à ce que nous avons manqué, raté. Nous ne faisons pas la part assez grande à ce que furent nos rêves. Ce sont eux, cependant, bien plus que nos actes, qui nous accordent avec le temps et le monde. Notre vraie vie est à leurs couleurs [...]
Jean Guéhenno, changer la vie.
Notre seul choix, [c'est] de chercher sur quelle bande-son nos rêves se briseront un par un et quelle quasi invisible pièce de tissu nous avons par notre misérable existence ajouté au grand quilt de la vie sur terre.
« Je t'ai vu ouvrir la porte de l'immeuble et à mon tour j'ai murmuré : « Le changement c'est maintenant ». J'ai commencé à rire sans pouvoir m'arrêter, for old time's sake, un de ces fous rires d'abrutis qui nous prenaient parfois, me répétant entre deux hoquets sa phrase, qui a glissé vers le slogan qui nous avait accompagné cette année-là : « Changer la vie. » Mon rire a tourné à la toux, putain d'allergies de printemps que je regardais de loin, avant. Changer la vie ! C'est bien maintenant qu'on en aurait besoin, toi, moi, et le paquet des autres, tous les crétins innocents qui avaient cru Tonton, et qu'on passait, sans blague, merde (ici, la voix de Coluche), de l'ombre à la lumière. J'avais vingt et un ans tout mouillés, toi deux de plus (« quand même, Giscard ou pas, je suis beaucoup plus majeur que toi! »), nous étions dans la catégorie du jeune homme au balcon, version pré-changement climatique, rageurs et nonchalants, sûrs de tout et flous jusque dans les plus infimes détails. »
Un lapin dans son terrier, voilà ce qu’il était entouré de notre belle jeunesse, débordante d’énergie à dépenser, un dimanche soir de fin de saison, quand les distractions commençaient à manquer et qu’on risquait l’ennui.
- André, tu fais chier. Un président socialiste élu pour la première fois et tu veux t'enfermer dans ton studio à écouter sur ton Teppaz des disques de rock insupportables. Tous ces pédés anglais punk, ça me file la gerbe.
- Pour les Anglais, je suis d'accord, mais je ne te parle pas de ça. Sûr que s'il y avait Lou Reed et Patti Smith à ta fête de merde, je viendrais en courant. Mais je suis sûr qu'ils vont nous sortir les derniers des ringards, Leny Escudero et Georges Chelon avec Jean Ferrat en rock star.
(p. 64)