Que vient-elle donc faire presque au bout du monde - Bretagne ? vendée ?, au bord de l'océan en tout cas - cette jeune femme qui achète cash une ancienne mercerie complètement délabrée et une vieille camionnette rouge destinée à transporter des caisses en bois ? Elle ne parle pas, ou peu, Leena ; on comprend qu'elle traîne un passé compliqué et qu'elle a besoin d'une pause et d'un redémarrage. Elle a perdu quelqu'un, son père ? Elle a aussi été victime d'un "prédateur" ? Le début du récit est assez brumeux... mais il va s'éclaircir.
Et dès le commencement, l'écriture ; étonnante, originale, poétique, avec des phrases intercalées en petits paragraphes décalés. Une écriture à la fois simple et ciselée, puissamment évocatrice, qui peut déstabiliser dans les premières pages. Mais on s'y habitue vite, mieux c'est comme une sorte de drogue cette littérature assez joyeuse au fond, tendue vers la narration de vies intelligentes qui éclosent enfin... les vies de Leena et de son frère Jeep...
Petit à petit, les choses se mettent en place, par touches légères - l'auteur n'insiste jamais, il faut capter rapidement - on en apprend un peu plus ; le père surnommé le décortiqueur, sans doute parce qu'il décortiquait des textes de littérature classique et en particulier Madame Bovary, est mort il y a peu. La mère, elle, était partie pendant l'enfance de Leena et de Jeep.
D'ailleurs pendant que Leena repart tout doucement dans la vie, aidée en cela par des personnages incroyables comme Orpère, Vivien et Gaspard les deux frères, la comtesse, Jeep est aux États-Unis sur la trace de leur mère ; il n'y a plus de contact entre eux, mais ils pensent l'un à l'autre et se préparent à se retrouver.
Leena, dans sa nouvelle maison, son nouveau havre, va découvrir un trésor ; pas de l'argent ni de l'or non, une collection d'objets magnifiques et merveilleux fabriqués par un ancien propriétaire, qui vont participer au réenchantement de son existence et décorer la librairie, la maison des mots et des phrases qu'elle en train de bâtir...
Est-elle dentelière Annabelle Combes à ses moments perdus ? Elle sait manier la langue comme le fil à dentelle, avec finesse, délicatesse, et détermination... L'histoire qu'elle nous raconte est extrêmement charmante et son écriture prodigieuse.
Attention livre magique, et il y en a peu !
Extrait (p 119) : " Dans chaque livre, il y avait une phrase pour un homme, pour une femme, une phrase pour un unique homme, une unique femme. C'est pour cela que la littérature existe, qu'elle déroule des kilomètres de phrases depuis les commencements. Pour que chacun trouve la sienne, s'en empare et combatte avec. On ne pouvait apprivoiser le monde que par elle ; et c'est toujours l'autre qui vous la donnait. Construire sa propre phrase n'avait pas de sens, c'était tourner en rond, ne jamais s'engendrer. Les écrivains donnent les phrases-clés du monde et débloquent la croissance de chaque individu."
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