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Citation de ZahraAroussi


Nocturne

« C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière. »
E. ROSTAND, Chantecler

Le sourire est encore plus beau dans la nuit. Qu’est-ce que ce toucher imperceptible qui effleure ma joue et s’en retourne ? L’innocence dans le noir a des mouvements d’impatience, ses pleins et ses déliés. La constance évolue et se propage et c’est sans doute une aventure que de se lancer à sa poursuite. La nuit, mon repos, mon âme est une fenêtre ouverte mais qu’importe après tout puisque les murs tombent comme des châteaux de cartes. Je crois que dehors, les arbres poussent autrement et que les feuilles ont d’autres odeurs. Le noir est absolu comme pour développer des photographies : dans la nuit, la chair est épargnée par le voyeurisme, les veines coulent à flots. Je crois que les arbres et les feuilles dorment autrement et prennent des wagons-lits pour faire le tour du monde, pour ne pas rencontrer les heures indiscrètes. La nuit est un motif dont je voudrais bien tapisser mes murs… les murs isolés de ma chambre. Parfois, il n’y a pas de lune : c’est que j’en ai mangé un bout pour savoir enfin quelle saveur a la beauté et ses affluents secrets, vins qui dissipent l’eau. Résultat ? La beauté est invincible, j’ai déposé les armes de sang-froid. L’art est nocturne et n’a point de dignité lorsque la clarté l’ensorcelle. L’art, ce soir, c’est le Requiem de Mozart, les montres molles de Dalí, le nénuphar dans les poumons de Chloé et les vers qui s’écrivent sur les murs, pour essayer de marquer la vie du sceau temporel.
Le génie, il faut l’écouter vibrer mais ne pas respirer trop fort, c’est une chose si rare et si fragile. La nuit pour moi est son royaume ; je m’enferme avec toutes ces belles choses qui échappent à la compréhension et qui déterminent le sens des reconversions d’un soir. Je me dis souvent que ces sourires qui ont plus d’écho dans les abîmes du non-jour, habitent les visages qui collent à ma peau. Ces visages immatériels que l’art produit et dérobe, au hasard de ses rencontres. La nuit est un espace à combler et à densifier : elle n’a de valeur que comme aboutissement, le jour avant et après, la mort devant et chaque soir un peu moins imperceptible. J’aime toucher du doigt ces emblèmes interdites qui sacrifient la vie à l’existence. Oui, j’existe mais suis-je bien sûre de vivre ? Je ne suis pas certaine que la nuit porte réellement conseil sur une longue portée. La nuit sacralise mais l’échéance est la même pour tous. Et le lendemain, c’est aussi se dire qu’un jour ou bien une nuit, il n’y aura plus de lendemain. Cette simple constatation n’a rien de lugubre ou de morbide, c’est déceler chez soi une innocence pervertie, une constance préparée à ne plus l’être… C’est s’approprier la nuit sur un terrain d’égalité et de respect mutuel. Je suis vouée à subir ses agonies de tous les jours ; elle aura à affronter la mienne : ainsi, nous sommes quittes mais elle au moins risque de mourir plus souvent que moi, et donc de vivre plus aussi. C’est tellement beau de penser que la nuit accompagne par son deuil et sa sobriété, par son cortège sombre de silence, la mort de chaque homme sur cette terre.
À jamais elle est notre compagne, celle qui refermera la lumière, en partant. La nuit, c’est la beauté de ce que l’on crée seul pour s’assurer que l’on participera à sa procession éternelle, en tenant une fleur à la main pour accompagner les pleurs des femmes en noir. C’est aussi l’évidence de ce que l’on crée à deux pour ne pas désespérer de voir mourir les étoiles, pour que la peau ne soit plus que le toucher des rêves. Après l’amour, après la musique, les livres, les songes, les processions divines, les prières viennent et apaisent sans soulager mais, le sommeil héberge la misère tout comme la peur. Et le matin se lève sur Paris, peut-être ailleurs. La Seine est acier et Notre-Dame a les brumes enneigées du repos éternel devant les yeux. Les ponts sont mouvants, les regards éphémères. Dans le square et les places, les arbres sont posés comme des feuilles sur la terre. Et j’ai beau défigurer le ciel gris-mauve, la nuit s’en est allée, anéantie d’elle-même.
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