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Critiques de Alejandra Pizarnik (26)
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L'autre rive

“Lorsque s’envole le toit de la maison du langage et que les mots ne protègent plus, moi je parle” la poésie de Pizarnik se débat dans un tourment sans fin.



Colette écrivait, “vivre sans bonheur et n'en point dépérir, voilà une occupation, presque une profession”, et de fait, un peu comme les athées font le bien sans attendre des anges séraphins leur récompense divine, les gens qui vivent sans espoir (extra-lucides ou du moins le croient-ils car tout n’est-il pas affaire de perception…) ont une forme de mystère et de courage aussi. Ainsi Alejandra Pizarnik, poétesse argentine, tente de dominer l’assourdissant silence, le silence du temps qui fane les souvenirs.



Elle sait le combat perdu d’avance et pourtant “même si le poème n’a aucun sens, aucun destin” elle “doit le dire”, sans toutefois s’attendre à une quelconque vertu thérapeutique de l’écriture : “des oiseaux gris à l’aube sont à la fenêtre close ce qu’à mes maux est mon poème”.



Ses racines juives, son âme russe que l’on reconnait dans sa filiation poétique (qui rappelle à la fois l’abîme brûlant de Tsvetaieva et sa modernité dans l’écriture), son amour des femmes, son internement psychiatrique tout cela c’est le carburant de sa poésie. Elle “restaure”, “reconstruis” tout cela “sans grâce, sans auréole, sans trêve”. Pizarnik qui mis fin à ses jours à trente-six ans n’a sans doute pas survécu à la pénibilité du “métier de vivre” comme l’écrit, sans coïncidence, un autre poète, Cesare Pavese.



Son hypersensibilité au monde est un atout réel pour la création poétique mais sans doute un poison pour la vie sociale, un paradoxe inconciliable que l’écrivaine consigne : “tu pleures funestement et tu évoques ta folie et tu voudrais même l’extraire de toi comme si c’était une pierre, elle, ton seul privilège.” Finalement, est-ce vraiment le silence que veut dominer Alejandra Pizarnik ou seraient-ce les voix harcelantes de la folie ?



Qu’en pensez-vous ?

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Oeuvres, tome 1

Je suis heureuse d'avoir trouvé ce recueil regroupant les différentes publications poétiques d'Alejandra Pizarnik, à laquelle l'Argentine voue un véritable culte. Ses textes me fascinent, entre surréalisme, images fortes , saisissantes, et fragilité des émotions, fêlures, ils touchent intensément, même lorsqu'ils peuvent sembler hermétiques.



Certains mots reviennent , obsédants. La mort, au coeur des ses douleurs intimes, la mort repoussée et recherchée à la fois. La mort en héritage, sa famille juive d'Europe Centrale ayant fui le régime nazi, sans nouvelles des siens. Le vent, le silence, les lilas. J'ai particulièrement aimé deux parties" Arbre de Diane" et " Les travaux et les nuits". " Ecrire, c'est vouloir donner un sens à nos souffrances", écrivait-elle dans son journal, en 1971. On le ressent vraiment, à travers ses textes :



" Elle saute , la chemise en flammes

d'étoile en étoile ,

d'ombre en ombre.

Elle meurt de mort lointaine

celle qui aime le vent"



Celle qui a cédé à ses pulsions de mort reste pourtant si passionnément vivante en nous, grâce à ses mots magiques, percutants, flammes ouvertes, vent vert, éclat ardent.













"
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Journaux 1959-1971

De 1959 à 1971 la poétesse Alejandra Pizarnik a écrit ces journaux où elle se révèle assez directement, avec sa souffrance et son désordre, jusqu'à son internement et ses premières tentatives de suicide. Alejandra évoque très souvent une enfance douloureuse, avec ses "labyrinthes de tristesse". Elle était la fille cadette d'une famille juive de Galicie venue s'installer dans la province de Buenos Aires, en 1934, deux ans avant sa naissance . Il y eut sur cette famille un poids terrible. Ce qui explique les dépressions incurables dont souffrit Alejandra, ses sentiments de vide, d'abandon et de déracinement qui hantent toutes ces pages. C'est d'ailleurs en quittant Buenos Aires pour Paris, où elle mène une vie de bohème, qu'elle semble avoir été la plus heureuse, en dépit de son âme tourmentée et de ses addictions. Dans ces journaux Alejandra Pizarnik évoque aussi ses nombreuses lectures, de Cerventes à Artaud ou Breton, son rapport à l'écriture, sa bisexualité, etc. Je souhaitais découvrir cette auteure depuis longtemps et lire ses journaux avant ses poèmes.
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Arbre de Diane

L’arbre de Diane, c’est cet arbre en argent obtenu en plongeant un fil torsadé de cuivre dans une solution de nitrate d’argent : une jolie structure de paillettes argentées qui renvoient la lumière dans le liquide bleu, … Par la magie de la chimie, un métal quelconque, le cuivre, donne naissance à un métal noble, l’argent, dont étaient fabriquées les flèches de Diane.



La poésie de Pizarnik, c’est exactement la même chose : de la combinaison de mots simples et usuels, banals j’ai même envie de dire, naissent des éclats de lumière, par une espèce de magie qu’on ne comprend pas, mais qui nous fascine et nous séduit… Peut-être parce qu’elle nous parle de la nostalgie d’un paradis perdu ? Ou peut-être ses poèmes font-ils l’écho à une douleur enfouie et oubliée ? Ou encore réussit-elle à travers ses formes courtes à faire entendre le silence et la profondeur qui sont au cœur de la poésie ?



« pour une minute de vie brève

unique aux yeux ouverts

pour une minute à voir

dans le cerveau de petites fleurs

dansant comme des mots dans la bouche d’un muet »



En cadeau dans cette édition (chez Ypsilon éditeur), la charmante préface d’Octavio Paz, un autre poète sud-américain dont il me tarde de découvrir l’œuvre …

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Oeuvre poétique

Alejandra Pizarnik est une des voix majeures de la poésie argentine contemporaine. Si dans sa période de formation, Pizarnik a été marquée par le mouvement surréaliste, elle a également été influencée par les néo romantiques et les avant-gardistes argentins de la fin des années cinquante. Son écriture devient par la suite singulière et s'affirme dès son séjour à Paris pour prendre une ampleur et une profondeur remarquables.



Œuvre poétique n'est pas un ouvrage exhaustif de sa production mais contient huit recueils essentiels de son art poétique. D'une très forte densité expressive et émotionnelle, l'écriture d'Alejandra Pizarnik est travaillée avec une exigence inouïe et une sincérité absolue, constamment traversée par un questionnement de la création et la quête d'un langage idéal, interrogeant le pouvoir des mots et de la langue, sorte de recherche d'écriture totale empreinte autant de musicalité que de fécond silence. Pour Pizarnik, seuls le poème et le langage ont une réalité.

Toujours à la frontière de la prose et du vers, condensée, souvent furtive, sa poésie douloureuse et très personnelle se met parfois en danger, joue avec la folie et le mal de vivre mais reste aussi vive qu'intelligemment pure, construite d'ellipses et d'allégories puissantes, où dominent le style fragmentaire et des poèmes formellement brefs.

De même que l'enfance perdue, l'innocence et la magie des mots sont des thèmes récurrents, le dénuement existentiel, la solitude, l'absence de l'être aimé et la mort sont également présents, comme les voix multiples et les jeux de miroirs qui diffractent un moi poétique qui se voudrait très concentré et en recherche d'identité.

Si Alejandra Pizarnik a interrogé l'écriture poétique comme possible refuge et instant de félicité, finalement rien dans son expérience esthétique n'a pu la sauver. Elle nous laisse en héritage une œuvre poétique extrêmement talentueuse et incroyablement bouleversante.
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Journaux 1959-1971

A l’heure d’écrire mes impressions sur les Journaux 1959-1971 d’Alejandra Pizarnik, je peine à rassembler mes idées. Les détails triviaux du quotidien que la poétesse argentine prend le temps de narrer dans ses lettres disparaissent ici au profit de réflexions concernant ses lectures en cours : Julien Green, Cervantes, Quevedo, Kafka, Dostoïevski, Góngora, Simone Weil, Borges, Simone de Beauvoir, Rimbaud, Bataille… Elle avale sans compter et analyse les textes en prévision d’articles à écrire. Entre deux bourses obtenues grâce à ses publications, elle voyage à Paris (1960-1964) ou à New York (1968) mais n’extériorise que très peu dans son journal sa vie à l’étranger. Elle ressasse bien plutôt ses angoisses, elle annote ses lectures, se désole de ses amis trop absents. Elle explicite son écriture, ses poèmes qui la traversent et lui viennent d’ailleurs, alors qu’elle aimerait rédiger un roman de longue haleine qui la tienne en besogne pendant des mois. Ce regret est récurrent dans les premières années du journal puis s’estompe lorsqu’elle n’attend plus rien. Au fil des ans, les notes sont plus courtes et plus dispersées, l’auteur attend et annonce sa fin.



Des journaux d’Alejandra Pizarnik, il me reste surtout une sourde et imposante sensation de tristesse et d’angoisse qui m’a tenue éloignée du monde réel tout le long de ma lecture. Je suis sortie épuisée de cette confrontation nécessaire, et souhaite dorénavant passer à une autre étape en littérature, me tourner vers des auteurs plus vivants mais non moins conscients des angoisses de la condition humaine.
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Extraction de la pierre de folie

Ce recueil d'Alejandra Pizarnik réunit des poèmes et des proses fragmentaires d'une grande densité expressive, dans une écriture toute en retenue, d'une grande maîtrise et incroyablement travaillée.

Alejandra Pizarnik, comme les peintres Bosch, Van Hemesen et Bruegel, reprend le mythe moyenâgeux de la pierre de la folie (protubénrance sortant du front pour exprimer la démence intérieure) pour construire l'image de sa propre douleur de vivre. "Eternelle fille de l'enfance assassinée" comme elle s'est souvent nommée elle-même, Pizarnik se sert de la poésie pour révéler au jour et interroger son angoisse existentielle.

Mal de vivre et perte du paradis de l'innocence s'accommodent de la folie comme réconfort. La blessure spirituelle du poète se manifeste dans une radieuse fureur, en quête obsessionnelle de sa propre voix (et voie) mais aussi en recherche d'un refuge et d'une consolation dans l'art poétique.



Son monde, sa vision des choses sont seules à exister et créent le monde extérieur à partir d'elle-même, telle une réflexion profonde sur sa propre identité. Comment trouver la raison quand la démence semble inévitable ? Inévitable car la parole et l'écriture sont des issues pour cette folie qui devient élément constitutif identitaire. C'est enfin une quête d'écriture totale qui anime ce recueil comme toute l'œuvre de cette grande poétesse argentine.
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Les travaux et les nuits

La merveilleuse langue poétique d'Alejandra Pizarnik se cristallise dans Les travaux et les nuits autour de deux moments de son expression d'une forte densité émotionnelle. La première partie de ce recueil conserve un ton plein d'espoir, dans une écriture lyrique et rêveuse, même si l'auteur retient et contrôle à merveille ses élans poétiques destiné à l'être aimé. Le deuxième temps laisse place à l'effacement et, dans des jeux de silence élaborés, incarne l'absence progressive et angoissée de l'aimé.



L'image que laisse perdurer sa poésie d'une concentration expressive remarquable est celle d'une matière verbale débordante, d'un questionnement constant sur les mots et le langage, ainsi que le pouvoir de salut contenu par la langue poétique.
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Arbre de Diane

La poésie d'Alejandra Pizarnik est d'une folle exigence, en quête d'un langage idéal et traversée par la préoccupation de la création.

Cette recherche d'écriture totale, langage dont elle interroge sans cesse le pouvoir, est animée de musique et de silence où couvent des thèmes récurrents : enfance perdue, emprise de la folie, mort, magie et refuge du langage poétique comme il peut également être mise en danger.



Dans ses poèmes d'une esthétique et d'une intensité inouïes dominent le style fragmentaire, la forme brève et une expression concentrée.

Une lecture qui est du temps pur, absolument pur.
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Oeuvre poétique

Après Texte d’Ombre, je continue la lecture de cette poétesse argentine en empruntant à la bibliothèque ce volume épuisé chez Actes Sud. L’objet livre tout d’abord attire l’attention par le rose de sa couverture et sa forme allongée. Je suis forcée de noter tout de même qu’il n’atteint pas physiquement la qualité des publications d’Ypsilon. Ce premier constat est l’occasion de remarquer le travail des typographes et éditeurs et l’impact qu’il a sur la lecture d’un texte poétique. Le livre d’Actes Sud étant plus dense et moins aéré, je perds en confort de lecture et m’attarde moins sur les mêmes mots qui m’avaient bouleversés chez Ypsilon.



La traduction ensuite, ici Silvia Baron Supervielle er Claude Couffon se partage les huit recueils composant l’édition. Je ne m’attarderai pas sur ce point, si ce n’est que quoique ponctuellement différente, la traduction est très globalement similaire, pour un même poème, à celle d’Étienne Dobenesque pour Textes d’Ombre. Je constate également qu’Oeuvre poétique, contrairement à ce que son titre laissait présager n’est pas tout à fait exhaustif. Plusieurs textes inédits ont été intégré dans l’édition d’Ypsilon que je ne retrouve pas ici. Les éditeurs n’ont pas non plus fait les mêmes choix dans l’ordonnancement des poèmes.



Parlons poésie maintenant. Une fois encore, les vers d’Alejandra Pizarnik me saisissent. J’ouvre le livre au hasard :



un trou dans la nuit

soudain envahi par un ange



Et c’est bien ainsi que j’aime lire Pizarnik, au hasard des pages, m’emplir des vers, des mots. Du temps suspendu, du temps triste, de l’espace sauvé. Chaque ligne est une surprise, une course arrêtée dans mon quotidien, et chaque fois la même émotion. Presque systématique.



Quelqu’un mesure en sanglotant

l’étendue de l’aube.

Quelqu’un poignarde l’oreiller

en quête de son impossible

place de repos.



A trop lire Alejandra Pizarnik, je suis facilement envahie par une profonde mélancolie, triste et parfois désespérée. A lire quatre vers de manière impromptue, je m’attache d’avantage aux espaces ouverts. Je suis rassérénée.



Tous les recueils n’ont pas la même tonalité, le rapport à l’Autre, s’il est toujours présent n’est jamais autant développé que dans Textes d’Ombre. Le vide, l’impossible, l’inaccessible, le « presque là » sont autant de notions récurrentes et justement dites. L’exil, la mort, les fleurs, le vent. A tout lire d’affilée, j’en perd l’empreinte propre à chaque recueil.
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Arbre de Diane

Nouvelle tentative. Nouveau succès. J’adhère toujours aussi facilement à la poésie de Pizarnik. Arbre de Diane est présenté en quatrième de couverture comme un recueil majeur de l’auteur : « […] Alejandra Pizarnik atteint pour la première fois cette intensité qui la rend unique ». Je ne saurais pas comparer Arbre de Diane à Textes d’Ombre ou La dernière innocence. Chaque fois, je suis séduite et l’intensité me semble toujours à son comble. On rencontre à nouveau le vent. Mais surtout Arbre de Diane exprime le silence, cet espace suspendu à la lecture d’un poème réussi.

Je ne saurais m’étendre d’avantage si ce n’est en vous conseillant d'aller picorer quelques citations et d'aller lire le recueil dans son entier. Une dernière précision : j’admire toujours autant le travail d’Ypsilon…
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Oeuvres, tome 1

Publiées aux éditions Ypsilon, les Oeuvres regroupent l'ensemble des écrits poétiques d'Alejandra Pizarnik, tous publiés de son vivant entre 1956 et 1971.



Figure essentielle de la poésie argentine, Alejandra Pizarnik fit des études de philosophie puis de littérature à l'université de Buenos Aires. Entre 1960 et 1964, elle séjourne à Paris, suit des cours à la Sorbonne, participe à la vie littéraire et fait la rencontre d'André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz et Julio Cortazar avec qui elle se lie d'amitié.

En 1969, elle décide de revenir à Buenos Aires. Elle s'installe dans un minuscule appartement. Sa chambre sobrement meublée contenait un bureau, un lit, quelques livres et un petit tableau noir sur lequel elle ébauchait à la craie ses poèmes.

Suite à de graves problèmes de santé psychiatriques, elle est hospitalisée durant plusieurs mois. le 25 septembre 1972, à son retour dans son appartement, elle choisit de se donner la mort. Alejandra Pizarnik avait 36 ans.



Dès les premiers poèmes de cet ouvrage, apparaît une écriture incandescente et sombre. Dans une forme assez courte, chaque texte livre une intensité, un empressement à (dé)livrer l'émotion. La parole se déverse et se reprend, pleine d'impressions inquiètes et troublées mais où perce une recherche, une quête d'absolu.



« Sans toi,

le soleil tombe comme un mort abandonné.



Sans toi

je me prends dans mes bras

et m'emmène vers la vie

mendier de la ferveur. » *



Cette tension semble plus maîtrisée dans Arbre de Diane écrit en 1962. Si la pensée de Pizarnik reste encore inquiète, son écriture paraît plus apaisée, plus préoccupée par une recherche de rythme, d'ordonnancement. Elle opère encore par dédoublement, par ce regard extérieur posé sur elle-même, un regard toujours en mouvement.



« silence

je m'unis au silence

je me suis unie au silence,

et je me laisse faire,

je me laisse boire

je me laisse dire » **



Plus loin, la parole continue de se délier, de se déployer et renforce l'impression d'une conscience sans cesse confrontée à elle-même, renfermée sur elle-même. L'écriture est emplie d'une tension permanente, d'une errance où la conscience cherche à toucher le coeur même de la sensation, cet état de vertige où l'être n'est plus que pensée.



« Quand j'espère cesser d'espérer, survient ta chute au-dedans de moi. Je ne suis rien qu'un dedans. » ***



C'est dans La Comtesse sanglante (1971), que la tension se fait la plus grande. Les textes en prose révèlent une conscience de plus en plus tourmentée. Dans une succession d'images à la forme hallucinée, les thèmes de la mort, du corps démembré, du désarroi,… saturent tout l'espace. C'est sans nul doute le recueil des Oeuvres le plus difficile d'abord.



Dans des récits à la beauté étrange, dans une intensité tout en introspection, il y a dans l'écriture d'Alejandra Pizarnik une recherche constante de la sensation et du sens. La poétesse se rend tout au bord d'elle-même, dans un vide à portée de regard et de mots. Tout son art consistait à parvenir à ce noyau caché au coeur d'une masse complexe de pensées, d'images et d'intuitions, en décomposant un argument poétique.

C'est ce point-là qui m'a le plus touché dans la poésie d'Alejandra Pizarnik. Sa poésie embrasse toute la vie, jusque dans ses recoins les plus sombres, les plus définitifs.



« Je sais de l'enfance

qu'une peur lumineuse

et une main qui m'entraîne

vers mon autre rive.



Mon enfance et son parfum

d'oiseau caressé. » ****





(*) « L'absent » extrait de « Les aventures perdues » (1958) - p. 65

(**) extrait de « Autres poèmes » (1959) – p.113

(***) « Ceux de l'obscur » extrait de « L'Enfer musical » (1971) - p.304

(****) « Temps » extrait de « Les aventures perdues » (1958) – p. 40
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Textes d'ombre : Derniers écrits

Que désire Ombre ? Ombre désire une ombre. Une ombre d'ombre. Comme la possibilité d'un mot avant la langue, d'un temps avant d'avoir appris à parler. Dans la nuit point le regret de l'aurore, de l'immaturité, d'une autre langue dont « le chien de Maldoror » emplit le silence. L'ombre tâtonne dans la nuit qui la compose.



« de démence la nuit, de non temps. de mémoire la nuit, de toujours ombres. »



Quand la nuit s'épaissit, les ombres ne se voient plus. Et Ombre en perd sa « première personne du singulier ». Dans le langage des ombres, le silence d'encre serait dépossession. Et le désir de parler à celle que l'on n'a jamais été se prendrait au jeu des mots pour aller au-delà des mots, au-delà de la vie.



« Je parle de cette chienne qui dans le silence tisse une trame

de faux silence pour que je me confonde de silence et chante

comme il convient pour s'adresser aux morts. »



Grandissant dans un jardin qui n'est pas le sien, Ombre repose en révolte.



« Je veux hurler, non célébrer le silence de l'espace auquel on naît. »
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Correspondance (1955-1966) : Alejandra Piza..

Cette femme me fascine. Alejandra Pizarnik s’ adresse ici à son psychanalyste resté à Buenos Aires alors qu’elle s’exile momentanément à 18 ans à Paris pour trouver sa voie, échapper à sa mère. Devenir elle-même, et non plus « la fille de ». Elle y fait preuve d’une grande lucidité dans un style admirable et magnétique qui m’interdit tout décrochage. Elle pense à Kafka, George Bataille, rencontre Simone de Beauvoir, Marguerite Duras. Petite fille perdue parmi ces grands noms, elle n’a aucune conscience de sa propre grandeur, se bat contre elle-même, ses démons, ses terreurs. Se réjouit de peu, tente de se conformer au monde, s’amuse de voir ses textes traduits en arabe ou en allemand. Les quelques réponses de León Ostrov l’invitant à penser sa relation à sa mère, son héritage juif, les traumatismes familiaux de la Shoah, me semblent dérisoires. Les angoisses de la poétesse s’ancre à mon sens bien plus profondément que ces aléas historiques ou familiaux – aussi terribles et complexes soient-ils. Sans que je ne sois en mesure de définir ce point d’ancrage. Ces lettres me questionnent sur la solitude ressenti par certains grands auteurs – à l’instar de Pessoa ou Kafka – qui ont marqué leur siècle, parfois même de leur vivant mais sans jamais bénéficier eux-mêmes de ce prestige ou du réconfort et des réponses qu’ils prodiguent allègrement à leurs lecteurs.
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Journaux 1959-1971

Alejandra Pizarnik naquit à Avellaneda en Argentine en 1936 et mourut à Buenos Aires en 1972. Elle était la fille d'émigrés russes.



Son journal est un véritable outil de travail, mené en parallèle à son activité de poétesse, de traductrice, de critique littéraire et essayiste. Elle en a fait le témoin de ses lectures, de ses recherches intellectuelles et de ses ambitions.



On y rencontre un esprit exigeant envers lui-même, pour qui la littérature était une vocation comparable à un appel religieux.



Elle y a jeté également son malheur de vivre, sa fascination pour le suicide, idée qu'elle n'a cessé d'évoquer, de caresser, à chaque instant de sa vie. Mais elle considérait la solitude affective et la souffrance comme des veines riches dans lesquelles tremper sa plume de poète : "Mon destin est de souffrir" écrivit-elle.



La lecture de son journal ne permet pas de trouver une cause univoque à cette profonde mélancolie : elle évoque bien une mère assez froide, une éducation triste, son incapacité à nouer une relation sentimentale durable. Elle se trouvait laide et grosse, buvait et fumait trop.



Mais toutes ces hypothèses ressemblent davantage à des conséquences qu'à des causes (excepté la carence maternelle).



Elle vécut de 1960 à 1964 à Paris où elle noua de nombreuses amitiés littéraires et artistiques avec Pierre de Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortázar, Italo Calvino, Marguerite Duras, Yves Bonnefoy, Cristina Campo. Elle entretint des correspondances intenses toute sa vie. Elle y traduisit Henri Michaux, Hölderlin, Antonin Artaud.



Son retour en Argentine accéléra les manifestations de sa dépression. Elle s'y sentait isolée intellectuellement et affectivement et la présence de sa mère lui pesait.



Alejandra Pizarnik fut une défricheuse d'états psychiques "borderline", une chercheuse de vérité amère : on ne s'étonne pas de son amour pour Antonin Artaud et Fodor Dostoïevski, pour Rimbaud et Lautréamont.



Elle se suicida en 1972 après quelques mois d'internement psychiatrique.



Elle nous a laissé plusieurs recueils de poésies épurées à l'écho profond et de la plus belle eau. Dommage qu'elle soit morte si jeune !
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La dernière innocence

Si l’altérité était au centre des poèmes de Textes d’Ombre, La dernière innocence se présente d’avantage comme un appel à la vie, malgré tout, contre tout, contre la mort, contre le vent, et pour le vent, pour la vie, pour la mort. C’est de cette ambivalence, entre désir et douleur de vivre, entre angoisse et départ espéré, qu’Alejandra Pizarnik joue pour extérioriser ses terreurs, les dépasser et leur arracher quelques bribes de vie.
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A propos de la comtesse sanglante

Ce fascicule poétique n'est pas à mettre entre toutes les mains, tant il est glauque et sanglant.



Le style est splendide, avec des inflexions oniriques.



Alejandra Pizarnik a composé ce texte après avoir lu le roman de Valentine Penrose "La comtesse sanglante" publié en 1962.



La sombre héroïne en est Erzsébet Bàthory, aristocrate hongroise née en 1560 et morte en 1614, à qui l'on prête l'assassinat de 650 jeunes filles. Elle représente dans la littérature du mal l'homologue de Gilles de Rai.



Pizarnik a pu condenser dans ce texte sublime, librement adapté de la réalité, l'obsession de la mort qui jamais ne la quitta puisqu'elle se suicida en 1972.



Voici quelques extraits :



"Car nul n'est plus assoiffé de terre, de sang et de sexualité féroce que ces créatures qui habitent les froids miroirs."



"Une figure invariable domine le mélancolique : son monde intérieur est un espace couleur de deuil ; rien ne s'y passe, rien n'y passe."



"Si elle l'avait voulu, elle aurait pu réaliser son "grand-oeuvre" à la lumière du jour et massacrer des jeunes filles au soleil mais les ténèbres du labyrinthe la fascinaient qui s'accordaient si bien à son terrible érotisme de pierre, de neige et de murailles."



Pizarnik aura voulu à travers ce très court roman, regarder sa mort en face. La comtesse, c'est elle, les victimes, ce sont elle encore. Elle est fascinée et effrayée par ce passage de la vie à la mort, l'instant suspendu où l'on bascule de l'une à l'autre. On pourra dire qu'elle aura apprivoisé le passage puisqu’elle passera à l'acte quelques années plus tard.



"A propos de la comtesse sanglante", édité en France en 1971, a été traduit et préfacé par Jacques Ancet. Il parut auparavant en 1966 dans la revue Testigo à Buenos Aires.
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Approximations

En écoutant attentivement, on peut entendre résonner chez Alejandra Pizarnik l'écho lointain d'un Matin rimbaldien. Avec les mêmes termes que le jeune Arthur dans sa « Saison en enfer », elle en vient à avouer : « je ne sais plus parler ». Elle ne peut plus que « dire », ce qui signifie être envahie par les « syllabes hostiles » des « mots de tous », inaptes à incarner sa voix singulière au sein du langage. Et là où la figure de l'aube était encore possible chez le jeune poète français, sa correspondante argentine du XXème siècle contemple l'astre naissant et déclare dans une formule définitive :



« Le soleil s'est fermé, le sens du soleil s'est fermé, le sens de se fermer s'est illuminé. »



Une illumination paradoxale, en clair-obscur : les images mélancoliques composent un élan poétique sans cesse interrompu par cette vulnérabilité face aux mots des autres. Sa poésie adopte ainsi une forme fragmentaire, où s'opère une tentative de se réapproprier le langage, en donnant de nouveaux sens aux mots. Il y a là de timides impulsions, des ébauches de parole, parfois si évanescentes que seule son énonciatrice peut encore les percevoir. Elle se répond alors à elle-même, dans un état d'aliénation, d'où le « je » est absent :



« Un jour, tu sauras pourquoi tu parles moins que tu ne dis. »



Parler ne revient donc plus qu'à murmurer, mimer le vide, esquisser l'absence par petites touches. Les images de ce recueil, répétitives, sont comme autant de couleurs délavées à la disposition de la poétesse, qui les associe en d'étranges compositions. Il importait de les reprendre de façon cohérente en français, comme le révèle le traducteur dans sa postface. Autrement, les approximations de la langue briseraient le rythme des Approximations du regard qui se dessinent ici.



« dans l'aurore venue de mes yeux

des oiseaux suspendus dans l'air sont à mes yeux

ce que sont des fleurs dans la main d'un mort

voix dorée dans l'air

tombée d'un arbre ouvert

et il n'est pas vrai que je demanderai secours »



Dans ces tableaux surréalistes, la mort n'est jamais très loin de la naissance, suggérée ici par l'aurore. C'est pourquoi la vision se brouille, morte-née, dans ce dernier vers où la poétesse exprime son renoncement à chercher un exutoire ailleurs qu'en son art. Mais la résonance diffuse de ces vers n'est finalement qu'un succédané de l'apaisement idéal, celui où la parole ferait définitivement taire le langage et ses mots imparfaits :



« j'ai beau parler, je ne trouve pas de silence. »



Pizarnik élabore ainsi une poétique de la perte, où la recherche de calme se traduit par des mots et des phrases toujours simples, qui unissent les origines et l'avenir à travers l'intuition du néant :



« je crains d'arrêter d'être

celle que je ne fus jamais »



Ces deux vers évoquent Fernando Pessoa. En se désincarnant comme elle le fait, Pizarnik tend vers l'idéal du poète portugais, sa Notre-Dame-Du-Silence. Auraient-ils pu cheminer ensemble dans les jardins abandonnés, comme hors du temps et de l'espace, qui reviennent de façon lancinante dans leur poésie commune ? Personne ne peut le dire.
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L'enfer musical

« Et il m'a dit de sortir dans le vent et d'aller de maison en maison en demandant s'il était là. »

Dans ce poème qui s'intitule La parole du désir, la poétesse se réfère de manière implicite au Cantique des cantiques. On comprendra peut-être mieux après cet exemple que, dans leur souci de distinguer un régime de signes signifiant (centré sur un signifiant-maître comme sur un personnage éminent) à un régime de signes post-signifiant (acentré ou erratique), Deleuze et Guattari puissent opposer le « Pharaon paranoïaque » à l' « Hébreu passionnel » (sans essentialiser les peuples, je le précise). Et d'ajouter : « La visagéité subit une profonde transformation. le dieu détourne son visage, que personne ne doit voir ; mais inversement le sujet détourne le sien, saisi d'une véritable peur de dieu. Les visages qui se détournent, et se mettent de profil, remplacent le visage irradiant vu de face. C'est dans ce double détournement que se trace la ligne de fuite positive. »



« Positive » est le mot clé, car il ne s'agit pas seulement de s'échapper, encore faut-il faire de l'exode un mode d'être positif. de même qu'écrire ne doit pas être uniquement la conséquence ou l'expression d'un mal-être ou d'une peur mais l'affirmation d'une nouvelle manière d'être au monde. Ce qui n'empêche pas Alejandra Pizarnik de dire qu'elle cherche à se cacher dans le poème et d'écrire :



« Ses yeux étaient l'entrée du temple, pour moi, qui suis une errante, qui aime et qui meurs. Et j'aurais chanté jusqu'à me faire une avec la nuit, jusqu'à me défaire nue à l'entrée du temps. »



Mais le visage ne cesse de se dérober, de se détourner, et l'arrivée, le but, ne cesse d'être différés. le sentiment de trahison n'est pas absent de ce cheminement sans cesse interrompu et repris, de ce rendez-vous sans cessé ajourné ou source de déception. le langage, surinvesti, devient le lieu de toute chose, le lieu même du possible. Les mots marchent, dansent, combattent jusqu'à saigner. Ils sont comme des couteaux dont les mouvements rapides forment une danse meurtrière, un rite sacrificiel où la vie s'échange contre la mort et réciproquement.



« (Il faut connaître ce lieu de métamorphoses pour comprendre pourquoi je me fais souffrir d'une manière aussi compliquée.) »



Que dire de l'écriture quand elle aborde des rivages aussi inquiétants ? Elle devient un refuge, une fuite, un remède et un poison. La poésie devient une drogue, l'amour rêvé un philtre qui déforme la vue. Tout paraît vrai et faux à la fois. Franchi un certain seuil, tout est fallacieux, tout est duperie, mensonge. Les amis sont lointains, on est à soi-même une fiction boiteuse ou quelque chose d'approchant. Ne cherchons pas pour autant à deviner le visage de la poétesse derrière ses mots. Laissons le drame personnel pour suivre la voie de l'écriture qui invite à se projeter dans l'espace du rêve ou de la vision qui cherchent à prendre corps. Alejandra Pizarnik n'est plus une jeune femme blessée surmontant de plus en plus difficilement les obstacles qui se dressent devant elle. Elle est la louve bleue qui sourit à ses amies, la poupée qui s'éveille aux côtés de la mort et qu'une fillette prend dans ses bras, ou bien encore une équilibriste naine avançant sur un fil les yeux fermés. Mais silence. Il ne faut plus parler, il ne faut plus rien dire. Il ne faut pas se taire non plus. Alors ? Il ne sert à rien d'essayer de comprendre, tout est si clair. À un moment donné l'existence ne tient plus qu'à un fil, et ce fil est un orage, une averse :



« J'écoute le bruit de l'eau qui tombe dans mon sommeil. Les mots tombent comme l'eau moi je tombe. Je dessine dans mes yeux la forme de mes yeux, je nage dans mes eaux, je me dis mes silences. Toute la nuit j'attends que mon langage parvienne à me configurer. Et je pense au vent qui vient à moi, qui demeure en moi. Toute la nuit, j'ai marché sous la pluie inconnue. On m'a donné un silence plein de formes et de visions (dis-tu). Et tu cours désolée comme l'unique oiseau dans le vent. »

Pascal Gibourg
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Textes d'ombre : Derniers écrits

Parler de poésie m’est quasiment impossible et complètement étranger. En ces jours de deuil et de révolte, les vers d’Alejandra Pizarnik me sont une réponse pour adoucir ma colère, et hurler l’invisible. Avec Textes d’Ombre, la poétesse argentine compile des bribes de projets non aboutis sur la thématique de l’Autre, ombre de soi-même, autre soi-même. Invisible à formuler. Délire schizophrénique ou quête d’un plus grand ?



Ces textes, traduits par Etienne Dobenesque, ont été écrits au cours des deux dernières années de la vie de leur auteur, entre 1970 et 1972. Ils me parlent par leur révolte, leur aspiration impossible à autre chose, par la capacité qu’ils ont d’exprimer l’informulé, de le constater et de le transmettre. En lisant, je crie. Et ce hurlement transcende les décibels de ma voix. Il exprime le mutisme auquel je suis contrainte par ignorance des mots. Certains poèmes sont des instants suspendus, le moment où le cri va sortir mais ne sort pas encore. L’entre-deux. La minute étouffée. Où ce qui doit advenir ne l’est pas encore, ou ne le sera pas. D’autres vers s’apparentent d’avantage à un baume déposé sur une déchirure avortée.



Linda Lê, avec son essai Par ailleurs (exils), m’avait donné envie de découvrir Alejandra Pizarnik. C’est chose faite avec ce recueil et grâce aux éditions Ypsilon qui s’attachent depuis 2012 à retraduire cette grande auteur, dont les publications françaises étaient épuisés, pour le plaisir des yeux, du cœur et de l’esprit.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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