Inzerki, un village du Haut Atlas, des sanglots, des cris, des spasmes, puis une mélodie lancinante nous prend à la gorge :
"Écoute ce chant,
Doux et chaud,
Comme le miel que font nos abeilles.
Je t'offre ces notes, le son de ma voix.
Te souviendras-tu que je chantais pour toi ?"
Les notes, les mots calment momentanément ce petit corps dans les bras d'Aïcha, mais cela ne dure jamais très longtemps. Les hurlements qui viennent du fond de la terre, reviennent, résonnent et fracassent tout. Omar, le père, ne veut pas réveiller son fils Anir, il s'accroche au rythme de la berceuse que sa femme chante. "Elle fredonne entêtée : do, do, da ; grave, grave, aigu ;" "te souviendras-tu que je chantais pour toi ?" . Cette complainte nous accompagnera tout au long du récit.
Après cette nuit, le regard de la mère restera vide, elle n'aimera plus les crépuscules, c'est l'heure des yeux métalliques… les mauvaises langues lui donneront comme surnom "la possédée", le père ira travailler à Agadir, Anir apprendra avec son Jeddi, à s'occuper des ruches. Do, do, da ; grave, grave, aigu.
Au sommet d'Inzerki, le gigantesque arganier centenaire, veille sur le rucher du Saint et les montagnes du Haut Atlas. Son ombre sert aux réunions du village ou d'antenne téléphonique… Do, do, da ; grave, grave, aigu.
Jeddi, le grand-père d'Anir, veille à lui apprendre scrupuleusement à manipuler les abeilles, certaines sont jaunes, d'autres noires, d'autres croisées. Anir, dix ans, a le droit de toucher que les jaunes, les sahariennes : elles sont "driouichates", douces. Il lui apprend à stériliser les ruches faites de roseaux, puis à passer la defla, le laurier rose séché. Il lui apprend la nature, les plantes, le vent. Do, do, da ; grave, grave, aigu.
Anir, les yeux fermés, protégés par les cils-branches, pense à sa mère, « Il ne comprend pas tout, ce garçon, il aimerait poser des questions : pourquoi t'arrêtes-tu-devant la ruche de droite, à l'entrée du rucher du Saint ? Pourquoi Jeddi a pleuré, tout à l'heure, à genoux devant toi ? Et moi, pourquoi détournes-tu si souvent le regard, lorsque je suis là ? pourquoi m'écoutes-tu quand même, parfois, quand je te parle ? Pourquoi chantes-tu – c'est pour moi que tu chantes, n'est-ce pas ? – ces notes ? Do, do, da ; grave, grave, aigu… Et cette phrase qui vient tout à coup, à chaque fois, se coller aux parois de mon crâne, cette phrase qui semble portée par ta voix et qui me murmure "te souviendras-tu que je chantais pour toi ?" - cette phrase…dis-moi d'où vient-elle ?"
Comment expliquer à un gamin de dix ans, les problèmes des grands, la nature, le changement climatique qui s'annonce….
Zineb Mekouar, avec
Souviens-toi des abeilles, nous l'explique très bien et avec beaucoup de poésie. Une jolie lecture, de belles légendes, inspiré par le village d'Inzerki et son extraordinaire rucher collectif. Une écriture sensible et belle.