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EAN : 9782253243380
224 pages
Le Livre de Poche (03/01/2024)
4.26/5   1350 notes
Résumé :
Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d'amour que le jeune homme a vécue au milieu de l'Enfer. Alors que l'enquête progresse, la France se rapproche d'une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, deven... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (340) Voir plus Ajouter une critique
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Dans les années 1920, un ancien combattant français rentré manchot de la guerre s'est donné pour mission de rechercher les soldats dont on a perdu la trace durant la « der des ders ». Parmi les enquêtes qui lui tiennent particulièrement à coeur, il y a celle que lui a confié une certaine Mme Joplain : retrouver son fils Émile, qui n'est jamais revenu de la guerre…

Le narrateur de ce roman livré à la première personne est un poilu dont on ignore le nom, qui, après avoir perdu quatre années de sa vie, sa main gauche et de nombreux compagnons d'armes dans l'enfer de 14-18, nous ramène sur le champ de bataille, à la recherche de pistes permettant de retrouver les nombreux disparus de la guerre. Une recherche de témoignages qui nous ramène dans les tranchées, entouré de corps mutilés, de sang, de boue et d'explosions…un massacre dont certains sont revenus, mais jamais indemnes… hantés à jamais par l'horreur de la première guerre mondiale.

Heureusement, au milieu de cette boucherie sans nom, l'enquêteur découvre qu'Émile Joplain était un poète qui écrivait chaque jour à sa bien-aimée, une paysanne alsacienne qu'il avait juré d'épouser après la guerre. Cette magnifique histoire d'amour, aussi grande que la guerre qui la dévore, apporte un brin de lumière au coeur des ténèbres… à l'image de cette « Fille de la Lune », apparition onirique, venue réconforter les soldats tombés dans le « no man's land »… un peu de poésie dans ce monde de brutes !

Celui qui parvient à distiller cette beauté au coeur de l'horreur, d'une plume poétique et délicate, parsemant son récit de personnages attachants aux noms particulièrement musicaux, se nomme Gilles Marchand. Un auteur lourdement armé de mots qui font toujours mouche, rendant hommage à cette génération sacrifiée sur l'autel de la guerre, tout en invitant à réfléchir sur certaines aberrations de ce conflit, dont le sort des alsaciens…
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Ma mémoire de la première guerre mondiale est fabriquée en partie par « La vie et rien d'autre », film de Bertrand Tavernier multi nominé en 1990, et par « Les nouveaux Oberlé » roman de René Bazin paru en 1919.

L'écrivain a consacré plusieurs ouvrages au drame de l'Alsace-Lorraine (Les Oberlé en 1901, Les nouveaux Oberlé en 1919, Baltus le Lorrain en 1926) et aux amitiés et amours que les familles conservaient de part et d'autre d'une frontière déplacée au fil des traités.

Le cinéaste a réalisé son chef d'oeuvre en se penchant sur les disparus, sur « le soldat inconnu », sur la quête des familles souhaitant au moins donner une sépulture à leurs enfants morts pour la France.

Gilles Marchand fusionne les deux drames en confiant à un soldat inconnu (manchot dont l'épouse Anna a péri de la grippe espagnole) la mission de retrouver Emile Joplain disparu en 1917 sur le front de Vimy.

L'enquête révèle qu'Emile, héritier d'une dynastie bourgeoise, s'est amouraché dès 1907 de Lucie, gracieuse alsacienne, fille sans dot des Hamel, modestes employés de maison. Union doublement impossible entre un français et une allemande, entre « un beau parti » et une « moins que rien » … Madame Joplain mère veillait à ce que son fils oublie Lucie. La guerre devait séparer Emile et Lucie.

Gilles Marchand glisse ses acteurs dans les espaces laissés libres par Henri Barbusse, René Benjamin, Roland Dorgelès, Maurice Genevois, Jean Giono et donne corps à la légendaire « fille de la lune » en écoutant le poilus et les gueules cassées raconter leurs campagnes et leurs souffrances, à Verdun ou à Vimy aux cotés des canadiens et des « indiens ».

Le soldat désaccordé est un bouleversant récit, écrit avec le sang des poilus, entre les deux guerres, dans un contexte où nombreux étaient ceux qui croyaient à la « der des der », alors que le nazisme grandissait.

J'apprécie beaucoup ce roman et, parvenu à son terme, je pense aux ukrainiens où des familles sont partagées entre leurs racines russes et ukrainiennes et où des Emile et des Lucie disparaissent quotidiennement. Eternelle tragédie de l'histoire …
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Un roman remarquable qui a sous de fond la première guerre mondiale, qui devait être "La der des der". Un ancien soldat, victime dés les premiers jours de son enroulement, d'une blessure qui entraînera l' amputation de sa main, il est invalide et démobilisé, une dure sentence pour lui. Il essaye, tant bien que mal, à s'accrocher aux branches, pour pouvoir servir son pays, La France. Cela ne sera pas suffisant mentalement pour lui, Il décide de rentrer chez lui, se marie avec l'amour de sa vie ,Anne, un amour intense, fusionnelle, un espoir pour retrouver confiance en lui , de lui donner l'espoir de continuer d'une façon positive. Un jour, une femme vient le contacter , pour rechercher son fils, Émile Joplain, Elle est persuadé que ce dernier n'est pas mort, mais pourquoi ce silence. Il se lance dans cette quête, et va découvrir au fur et à mesure, que la disparition d'Émile prend à notre sens. Il découvre une véritable histoire d'amour. Un amour désapprouvé par cette mère, cette jeune fille , Lucie, est issue d'un milieu modeste, et une telle union est inconcevable. Une sensation que le narrateur s'identifie à Émile, par rapport à son vécu, Il se donnera coeur et âme, à ses recherches. Une affaire qui va perdurer pendant plusieurs années, Arrivera t'il à résoudre cette énigme? Arrivera t'il à panser ses propres maux? L'auteur nous embarque sans aucune difficulté dans ce récit, une sensation d'être acteur et non lecteur, une adaptation cinématographique pourrait être envisageable, tel "Au revoir la haut" de Pierre Lemaître . L'auteur use d'une plume percutante, visuelle, entraînant une lecture addictive et captivante, malgré cette période horrifique.
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La grande guerre. le grand amour.
Après « Requiem pour une apache », Gilles Marchand change de tribu et d'époque. Son personnage central est un ancien soldat quasi inconnu. Pas de nom, pas de prénom. Sur le champ de bataille, il a perdu une main et il y a aussi laissé une bonne partie de son âme. Il aurait pu rentrer chez lui auprès de sa belle mais il était resté avec es camarades, chargé du transport des troupes et des blessés. La peur de retrouver le cours d'une vie qui ne pouvait plus être normale.
A l'armistice, la grippe espagnole a pris le relais de la guerre pour donner un coup de main à la grande faucheuse. La seconde couche de l'horreur. le destin a de la suite dans les idées quand il s'agit de pourrir la vie des innocents.
L'ancien combattant ne s'en est jamais remis et dans les années 20, il jette toutes ses forces dans la recherche de soldats disparus. le décor du roman est planté sur le squelette des tranchées.
Une affaire en particulier va hanter ce détective de la mémoire et retrouver la trace du soldat Joplain va devenir pendant plusieurs années une obsession. Pourquoi ? Parce qu'elle va faire écho à ses regrets. Il apprend que Lucie, la fiancée de Joplain était montée au front pour retrouver son poète, n'hésitant pas à parcourir les tranchées, interroger les blessés, nettoyer les visages des cadavres pour retrouver son homme.
Dans l'horreur de la guerre, cet amour absolu va alimenter un mythe que l'ancien soldat va suivre, interrogeant tous ceux qui ont croisé Joplain ou sa fiancée pour savoir si les deux amants ont pu se retrouver.
Jeu de piste sur des champs de ruines, visite guidée de l'enfer, l'homme s'accroche à cette folle histoire d'amour pour fuir une époque qui n'est plus la sienne et les bruits de pas cadencés qui annoncent un nouveau conflit. La der des der qui ne sera pas la der.
J'ai beaucoup aimé la première moitié du roman, qui installe merveilleusement le récit et les personnages. La quête des disparus est propice au romanesque et l'auteur offre un hommage appuyé aux victimes de guerre, qu'ils soient soldat ou civils. Gilles Marchand ne manque pas de style et certaines formules font vraiment mouche.
Hélas, j'ai été déçu par un dénouement qui ressemble à une pirouette, le récit passe de la crudité des batailles à un romantisme un peu trop ésotérique. Un peu de poésie dans un monde de brutes ne fait pas de mal mais elle m'a éloigné des personnages. Un joli rendez-vous qui se termine par un dernier verre… de Champomy.
C'est d'autant plus dommage qu'on sent l'auteur habité par son sujet et soucieux de retranscrire au mieux les traumatismes visibles et invisibles de la guerre. Il a créé également de beaux personnages secondaires et singuliers qui ne font pas de la figuration. Un très bel hommage à ceux qui restent.
En fait, je crois surtout que ce roman est trop court. Sans demander la densité de « ceux de 14 » de Maurice Genevoix, l'époque, l'histoire, cette enquête qui s'étale sur plus de dix ans et des personnages attachants méritaient plus de deux cent pages avec une police d'écriture bien grassouillette qui préservera la dioptrie des bigleux. Même le rythme du roman semble couper dans son élan.
La dernière impression n'est pas toujours la meilleure.
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"Ils ne sont pas partis la fleur au fusil"
Ils sont partis nombreux
Ils sont revenus très peu, si peu
Les morts officiels, les disparus, les estropiés
Ils sont les condamnés
Ils sont les sacrifiés
De cette guerre infâme
Y ont laissé leur âme
C'était la grande guerre
La der des ders
L'enfer sur terre.

Tout a été dit, écrit, chanté !
Le soldat désaccordé de Gilles Marchand, c'est une autre façon de conter. L'auteur donne la parole aux souvenirs enfouis, révélés, tus, à toutes ces vies cassées, ces hommes et ces femmes marqués par cette période.
Il nous donne à écouter leurs histoires, dans la grande Histoire, nous révèle des bouts de mémoire, des bouts de vie, des bouts d'humanité.
Ils racontent, ces rescapés, gênés, ils refont le chemin, envahis par la honte d'être simplement vivants, se taisent et puis déversent ces histoires qu'ils n'en peuvent plus de garder pour eux.
L'écriture est juste remarquable, j'ai aimé ce style poétique et imagé, le rythme, ses mots dosés : ne pas en faire trop, cette pudeur dédiée à leur dignité !
L'auteur parle au delà de l'horreur indicible, des souffrances du coeur, de l'âme, de ce qu'ils ont vécu, du vide, du manque à en crever, du trop à en pleurer.
Il sait, lorsque le coeur est au bord des larmes, amener un sourire ému, attendri par une anecdote, par son humour tendre et sa plume légère.

Le narrateur, un combattant entré dans cette guerre et ressorti assez vite, une main en moins.
C'en est fini de sa participation aux combats, il lui reste la culpabilité face à ses compagnons, ses frères qui sont toujours au front.
La mort rode, ils la frôlent, la redoutent, l'apprivoisent, l'évitent, elle ne les quitte pas : Elle est leur compagne du jour et de la nuit.
Rester vivant c'est un accident !
Il veut être utile, lui l'infirme besogneux, alors il prend diverses missions, chauffeur, cantinier ...Il aide, il reste à leurs côtés.
Après guerre, il devient enquêteur, oeuvre pour la réhabilitation des "fusillés pour l'exemple" refus d'obéissance.
Ces fusillés par leur propre camp : un cruel exemple de la folie des hommes.
D'autres "vont goûter du voltage" : la perversion de certains médecins.
Ils tuent des innocents, rien que des innocents !

Notre enquêteur va s'investir dans l'histoire d'Emile et Lucie, cet amour incroyable, magnifique, entier.
Emile combattant "il parle comme un poète, il est beau comme un prince" et Lucie alsacienne, ennemie des allemands : L'Alsace et la lorraine restées allemandes depuis quarante ans et qu'il faut libérer .
Leur amour, à peine dévoilé, juste effleuré, ne les quittera jamais. Ils seront séparés par la guerre avant que d'avoir pu le vivre.
Emile écrit des milliers de poèmes, les dissémine dans les tranchées.
Lucie va courir toute la France pour le retrouver.
Le narrateur, enquêteur, nourri son obsession pour cette folle histoire d'amour. Car cette histoire s'entremêle à la sienne. Elle redonne vie à son amour pour Anna.
Anna sa femme, son amour, qu'il tarde à retrouver :
Quatre années à avoir peur de revenir, peur d'affronter le monde, la tête trop pleine d'horreurs.
Ces combattants, tels des rats dans la boue, le froid, la peur, rêvent à la "fille de la lune" réelle ou un mythe comme un "besoin d'ensevelir leurs mauvais souvenirs derrière du merveilleux ! "
J'ai aussi aimé retrouvé dans ce récit les indiens d'Amérique, les indiens du "chemin des âmes".
On a utilisé leur savoir, leurs précisions de tireurs, eux qui n'étaient même pas considérés comme des citoyens à part entière.
Ce sera pour moi une lecture inoubliable, bouleversante
accompagnée du chant poétique de l'accordéoniste aveugle ....

« On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l'enfer.
On voulait l'amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu'un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter. »

Merci à Judith, Jérome pour ce "conseil de lecture"
Un merveilleux cadeau pour moi !





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critiques presse (5)
OuestFrance
22 mai 2023
Quelques jours après avoir couronné lors de la Fête du livre de Quiberon, l’écrivain Gilles Marchand a reçu le prix des Libraires pour son roman « Le Soldat désaccordé ».
Lire la critique sur le site : OuestFrance
Bibliobs
22 mai 2023
L’auteur de 47 ans a été récompensé pour « le Soldat désaccordé », son sixième roman, qui raconte une enquête pour retrouver un soldat de la Première Guerre mondiale porté disparu.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeFigaro
15 mai 2023
Le Soldat désaccordé est le cinquième roman de Gilles Marchand, ce qui le rendait éligible à ce prix au positionnement inédit.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LePoint
09 septembre 2022
Dans « Le Soldat désaccordé », Gilles Marchand évoque le deuil collectif de la Grande Guerre à travers une poétique histoire d’amour.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeSoir
18 août 2022
Un ancien combattant français mène l’enquête pour retrouver un soldat disparu pendant la guerre. Gilles Marchand nous fait découvrir une folle et magnifique histoire d’amour.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (264) Voir plus Ajouter une citation
«Ce jour-là, j'ai touché du doigt le sacré, j'vous dis. Et vous savez pourquoi? Parce que Joplain avait confectionné l'orgue le plus inutile qui puisse exis-ter. Un orgue qui ne fonctionnait pas, bien évidem-ment. Un orgue qui brillait de mille éclats et qui se faisait recouvrir de terre, de boue et de sang à chaque seconde. Et lui riait de plus en plus fort. Et moi, je pleurais et je riais en même temps.
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En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans.
Ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça élec-troménageait, ça mistinguait. L'Art déco flamboyait, Paris s'amusait et s'insouciait. Coco chanélait, André bretonnait, Maurice chevaliait.
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Le jour, Lucie fait son office à l'infirmerie et, la nuit venue, elle redevient la Fille de la Lune, celle qui se glisse dans le no man's land, celle qui va trouver les soldats esseulés pour leur demander s'ils connaissent son fiancé.
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J'ai pris un train et j'ai marché jusqu'à un joli petit village qui venait d'inaugurer un joli monument aux jolis morts de la jolie guerre. Il en fleurissait partout. C'était à qui aurait le plus beau, le plus grand, celui avec le plus de noms.
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(Les premières pages du livre)
Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L’image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. Personne ne pouvait le prévoir. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. À temps pour les moissons, les vendanges ou de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire, ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant, on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparés à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres.
On a quitté nos femmes et nos enfants, pour ceux qui en avaient. Je me souviens d’Anna sur le quai de la gare. Seule au milieu de ses amies. Et moi, seul à la fenêtre de mon pauvre wagon, entouré de plusieurs dizaines de têtes et de képis. Ça chantait, ça criait mais c’était seul. Ce sont les au revoir. C’est comme ça. On a beau mettre une foule en décor, elle ne fait pas le poids face à la solitude.
Si on avait su.
De mes camarades de wagon, combien sont revenus en 18 ?
Les morts officiels, les disparus, les estropiés… Il aurait eu une drôle de gueule amochée, le wagon du retour.
Pour ma part, mon sort avait été rapidement scellé : j’avais perdu une main dès l’automne 1914, c’en était fini de ma participation aux combats. Néanmoins, je voulais être utile à mes camarades. Avec toute la bêtise de ma jeunesse, je pensais que j’étais indispensable. On m’avait confié diverses missions, liées notamment à l’approvisionnement et au transport. Je ne participais plus aux combats, mais j’en restais suffisamment près pour sentir l’odeur de la poudre. De 1915 à 1918, j’allai d’un coin à l’autre du pays. Chauffeur ici, cantinier là. Partout où on avait besoin d’un infirme besogneux. Dévoué à n’importe quelle tâche pour être utile à mes camarades, à mon pays, à ma patrie. Voilà le genre de belles histoires que je me racontais.
Une main en moins, impossible pour moi de retrouver ma vie d’avant.

Après-guerre, un ancien camarade de combat m’avait présenté une certaine Blanche Maupas. Elle enquêtait sur l’affaire des caporaux de Souain et avait besoin de quelqu’un comme moi.
Elle remuait ciel et terre pour prouver que son mari avait été fusillé à tort. Quasiment vingt ans, elle y a passé. Et s’il en avait fallu trente, elle l’aurait fait de la même manière. Un bel exemple. Elle a fait appel à la Ligue des droits de l’homme, a couru de cabinet ministériel en cabinet ministériel, jusqu’à la Cour de cassation. Rendez-vous annulés, demandes rejetées, elle n’a jamais baissé les bras. Le pauvre Théophile avait été fusillé pour l’exemple avec trois de ses camarades pour « refus d’obéissance devant l’ennemi ». Ce qui s’était passé, c’est que c’était un sacré foutoir, que plus personne ne comprenait rien à rien, que ça pilonnait et que ça mitraillait, et que l’artillerie française était pas à la hauteur de celle de l’ennemi.
Blanche Maupas m’a tout appris : la méthode, l’abnégation, le sens du détail, les réseaux, l’importance de l’opinion publique, les démarches judiciaires.
Quand Blanche avait besoin d’un service, je le lui rendais. J’étais à ses côtés en février 1920 quand le ministère de la Justice a refusé d’examiner le dossier. J’étais également là en mars 1922 quand il a été rejeté par la Cour de cassation. Quand il a de nouveau été rejeté en 1926, j’étais déjà sur l’affaire Joplain, celle qui allait m’occuper pendant plus dix ans. Je suis néanmoins allé la trouver quand les caporaux ont enfin été réhabilités par la Cour de justice militaire en 1934. À cette époque, nous ne nous voyions quasiment plus, mais nous correspondions de temps à autre. Cela faisait déjà un moment que, en parallèle, je travaillais pour des associations ou différents comités œuvrant à la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Et je parcourais le pays afin de permettre à une famille de retrouver la dépouille d’un soldat qui n’était pas revenu.
Je m’escrimais sur l’affaire Joplain depuis trop longtemps. Dans notre petit milieu, ça commençait à jaser. Blanche Maupas fut la seule à me dire que j’avais raison de m’entêter. Il fallait que je continue. Elle avait vieilli mais paraissait sereine comme jamais. C’est à ce moment que j’ai compris que je n’aurais plus de repos tant que je n’aurais pas résolu mon enquête.
Un peu plus de vingt ans plus tard, une nouvelle guerre a éclaté. La der des ders n’était pas la der. Je n’ai, en réalité, jamais quitté la guerre. Pour moi, elle a commencé en 1914 et elle continue encore aujourd’hui. Des blessés, des morts, des monuments, des commémorations et des défilés. Pour en revenir au même point.

Le seul moyen pour faire réhabiliter un soldat, c’était d’apporter un élément nouveau. Je n’avais pas d’autre solution que de traverser le pays et de poser des questions. Plein de questions. Toujours plus de questions.
Les réponses ne venaient pas automatiquement. Les anciens soldats n’étaient pas toujours causants. Mais j’avais ce truc qui faisait qu’on se confiait à moi. Mon air enfantin, un peu perdu. Et puis j’avais fait la guerre, c’était un atout non négligeable. Je n’étais pas un de ces embusqués qui avaient trouvé un prétexte pour rester à l’arrière, et ça se voyait. Quelque chose que j’avais compris assez tôt. Mettre bien en évidence mon absence de main gauche. Le regard en retour ne trompait pas. J’ajoutais : « La Marne. » Bien entendu, j’ai eu parfois droit à « Si t’as pas fait Verdun, t’as pas fait la guerre », mais ce n’était tout de même pas ma faute si j’avais été cueilli au début des hostilités.
Bref, on restait des camarades de combat, même si on n’avait pas été aux mêmes endroits, même si on n’y était pas resté aussi longtemps. J’y avais laissé une main, ils ne pouvaient pas tous en dire autant. Et puis on était de la même extraction. J’avais peut-être davantage de mots que certains, mais ça se voyait que je n’étais pas de la haute.

La guerre, quand tu y as goûté, elle est dans ton corps, sous ta peau. Tu peux vomir, tu peux te gratter tout ce que tu veux, jusqu’au sang, elle ne partira jamais. Elle est en toi. Alors j’y retournais. Ça sentait encore la cendre et la poudre. Les croix s’étendaient à l’infini. Et j’enquêtais, inlassablement. Durant toutes les années 20 et une bonne partie des années 30, j’ai fait ce drôle de boulot d’enquêteur.
On était quelques-uns à vivre de ça. Peut-être parce qu’on ne parvenait pas à tourner la page. Ou qu’on désirait un peu de justice après ces années d’injustice. On écoutait les histoires, on écoutait les légendes.
La Fille de la Lune, c’est comme ça que j’en avais entendu parler : « Y avait plus de fleurs, alors elle faisait des bouquets d’obus. »
Cette phrase me trotte encore dans la tête aujourd’hui.
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Vidéo de Gilles Marchand
Dans cet épisode de L'Intention, Gilles Marchand, romancier et musicien dans un groupe de rock nous parle de son roman «Le Soldat désaccordé», publié au Livre de Poche. Gilles Marchand nous transporte dans une histoire d'amour émouvante, tissée à travers des lettres échangées pendant la Première Guerre mondiale. Un vétéran, blessé et hanté par les horreurs de la guerre, se lance dans une quête pour retrouver Emile Joplin, un soldat disparu depuis 1916. L'auteur explore le thème de la mémoire et de la poésie au travers de ce récit, s'efforçant de trouver un équilibre entre fidélité historique et récit romanesque. Il souhaite partager le devoir de mémoire sur la Première Guerre mondiale, une période souvent méconnue ou oubliée. Écrire sur ce sujet a également ravivé son intérêt pour la poésie, lui permettant de retrouver le plaisir de l'écriture. La poésie peut-elle se glisser au milieu de l'enfer jusqu'à y faire jaillir un peu de lumière?
Concept éditorial: Hachette Digital en collaboration avec Lauren Malka Voix et interview: Laetitia Joubert et Shannon Humbert Écriture: Lauren Malka Montage, musique originale: Maképrod Conception graphique: Lola Taunay Photo auteur: © DR Extraits musicaux : Becha de Dakhabrakha et par Dakh Daughters ( 2016 Dakh Daughters)
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