Maman sait tricoter les mots mieux que les pulls. Elle sait jouer du piano mieux qu’elle sait cuisiner. Maman se démène entre les fourneaux, le petit frère à emmener à ses cours de solfège et de basket, le repassage à terminer, le piano électrique qui attend, les mots qu’elle garde en elle et ceux qu’elle écrit pour moi, pour le monde, qu’elle trouve malgré tout le temps de dérouler de son fuseau sans se piquer. Le temps d’une femme au foyer est toujours compté. Mais Maman a trouvé le temps d’écrire deux livres. C’est une orfèvre, une passionnée.
Les mots écrits ont du pouvoir. Il suffit parfois d’écrire la réalité pour pouvoir l’accepter.
La mère, la sainte et la putain pleurent au centre de moi l’oracle de la pythie qu’elles n’ont pas su déjouer.
Parce que les histoires vieilles comme le monde, on ne peut pas les réinventer.
Pour se faire un peu oublier, pour demander pardon de leur existence, les femmes se sont spécialisées dans le travail d’assistance et du soin à autrui. Infirmières, sages-femmes, épouses, secrétaires, putains, mères et amantes ; même combat.
Nos premiers baisers ont eu le goût d'une eau venant désaltérer un immense incendie.
Je n'en ai jamais vu, ce qu'on appelle la neige. Ma mère m'a raconté, c'est quelque chose de blanc, léger et vaporeux, qui fond lorsqu'on la touche. Il a neigé, une fois, quand elle était petite. Mais je connais la grêle, qui s'abat sans prévenir durant les mois d'hiver et décime les récoltes qui ne sont pas sous serre.
Ça commence là : ma bouche qui sans penser vraiment aux conséquences vient chercher la tienne. Se surprend à un goût déjà familier. Reconnait la substance à laquele se nourrir. N'aura de cesse ensuite de vouloir revenir pour assouvir sa faim, jamais rassasiée.
Car on ne guérit pas de ce genre de faim là. Elle va en grandissant et vous dévore toute. Elle va jusqu'aux heures floues qui séparent le jour de la nuit profonde. Elle perd le sens du temps. Le sens des convenances. Elle n'a pas de maître, et elle est déchaînée. C'est le genre de faim qui ne vous attend pas, car elle vous préexiste. Il n'y a qu'une chose à faire lorsqu'elle survient : déclarer l'impuissance, et la reddition. S'avouer d'avance vaincue. Et lui laisser la place.
Si elle ne trouve pas à se nourrir d'elle-même, elle sétiolera en grondant comme une bête.
Les outils du langage viennent fixer ce qu'ils peuvent de l'expérience humaine. Souvent, c'est moins le sens des mots qui rend pleinement ce qu'ils tentent de décrire, que le rythme qu'ils prennent à l'oreille qui entend, sans même qu'on les prononce.
Qu’elle écrive la fin toute seule maintenant. Je deviens page blanche et ma rage est muette, elle n’aura pas un mot.
J'observe l'enfant qui a six ans et je m'étonne qu'il soit si facile d'être heureuse. Il suffit de vivre dans l'ignorance de qui a vécu là avant nous. De ce qui existait et n'est plus.
En réalité, je voudrais dire l'amour comme posture radicale en période de crise, globale, planétaire. L'amour comme bouclier, l'amour comme espérance, comme force de révolte. L'amour qui s'élèverait comme un grand cri de joie, de résistance aussi.