L'un des 117 romans durs de l'auteur.
Nous sommes à Villejuif en 1933.
Le corps d'une prostituée a été découvert sur un chantier ; on lui a dérobé son sac à main et l'argent de son " travail ". Un chantier situé non loin de l'immeuble où réside Monsieur Hire, un petit homme au physique ingrat, au comportement peu liant ; le portrait type dont
Pierre Vassiliu faisait ainsi s'interroger " les braves gens "... vous savez, ceux qui n'aiment pas qu'on suive une autre route qu'eux... :
"Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est
Celui-là?
Complètement toqué, ce mec-là, complètement gaga
Il a une drôle de tête ce type-là
Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a?
Et puis sa bagnole les gars
Elle est drôlement bizarre les gars
ça s'passera pas comme ça."
En ce Paris de l'an 1933, à l'épicentre de ces " braves gens " se trouve un personnage ( pardonnez la redondance ) " central " : la concierge.
Figure sociologique, figure historique, figure politique, littéraire, cinématographique, théâtrale... populaire..., elle est incontournable, on la retrouve partout, et tenez, juste à titre d'exemple, qu'en aurait-il été de la rafle du Vel d'Hiv sans les concierges ?
Car, on parle de la police française collabo, mais on passe sous silence une de leurs meilleures " auxiliaires " : la concierge...
Et puis il y a cette fameuse police, moins flamboyante que celle des
Maigret, plus près de celle " grossie " par
Romain Slocombe et son inspecteur Sadorski, mais plus en retrait... du moins jusqu'au final.
Si je mentionne Sadorski, c'est que cette police-là voit en Monsieur Hire non pas Monsieur Hire mais Hirovitch, le Juif d'origine russe, l'étranger, le migrant, " l'Autre "... et par conséquent
le suspect " désigné " ; désigné parce qu'étranger et désigné par la concierge.
Que faire et que dire à Paris en 1933 lorsque vous êtes juif, que votre père émigré était tailleur et à ce que l'on prétend, pratiquait l'usure ?
Ça sent le Süss, vous ne trouvez pas ?
Que faire et que dire à Paris en 1933 lorsque vous êtes désigné par votre concierge ?
« Je lui ai monté un catalogue et, pendant que
la porte était entrouverte, j'ai aperçu une serviette pleine de sang… »
Que faire et que dire à Paris en 1933 lorsque votre casier judiciaire n'est pas tout à fait vierge, que vous avez un travail qui questionne, des revenus plus encore : « C'est un de ces types qui promettent je ne sais combien par jour pour un travail facile et qui, moyennant cinquante ou soixante francs, envoient aux gens une boîte d'aquarelle qui en vaut vingt et six cartes postales à colorier.»
Que faire et que dire à Paris en 1933 lorsque vous avez un peu tâté de
la prison... pour une histoire d'atteinte aux bonnes moeurs ?
Il suffit d'une mauvaise association et la vente de revues dont le contenu est, disons... licencieux... eh oui, décidément " les braves gens n'aiment pas qu'on suivre une autre route qu'eux... !
Si en plus vous vivez seul et que vous alliez au bordel une fois de temps en temps... et qu'en plus on trouve à redire sur votre sexualité... vous ne pouvez qu'être qu'un " suspect désigné "...
Le comble c'est d'avoir en face de votre fenêtre, " une fenêtre à ciel ouvert "qui donne sur la chambre de la jeune et belle crémière de dix-neuf ans, Alice. Que vous l'espionniez et qu'elle prenne plaisir à ce que vous le fassiez,
«Il y avait un miroir devant elle, au-dessus d'une toilette en bois tourné. C'est ce miroir qu'elle regardait, qu'elle continua à regarder en tirant de bas en haut sur sa robe pour la faire passer par-dessus sa tête. »
Et le drame serait d'en être amoureux... amoureux jusqu'à la suivre le
dimanche lorsqu'elle sort au cinéma ou va voir un match de foot accompagnée d'Émile son béguin.
Émile, une petite frappe, un julot.
« L'amoureux était maigre, mal portant. Son regard ne se posait jamais sans ironie sur M. Hire »
Le tragique serait qu'Alice ait Émile dans la peau.
« L'amoureux avait les mains dans ses poches, le pardessus ouvert. Et la bonne se suspendait à son bras comme une gosse qui craint de se perdre. »
Et qu'Émile se serve d'Alice.
«Tout près d'Alice aussi, il y avait Émile, les mains dans les poches, le visage maladif et froid. Elle le regardait, mais il ne la voyait pas. Il y avait de la fièvre dans ses yeux.»
Et si en plus Émile avait tué la prostituée, volé son sac et les 2000 francs qu'il contenait, qu'Alice le couvre, se lie avec Monsieur Hire, faisant miroiter au pauvre diable des fiançailles... qu'il " fêtera " au milieu de la foule déchaînée...
Foule, personnage aussi central que l'est la concierge.
En ai-je assez dit ?
Non ? Lisez le bouquin...
Avec un sens des décors, de la mise en scène et de l'atmosphère digne d'un Renoir, d'un Carné, d'un Duvivier, d'un
Fritz Lang ou d'un
Dostoïevski,
Simenon nous offre un roman noir, une étude moeurs soignée.
Sont demeurées sans réponses pour moi deux questions.
La première est le style qui m'a paru moins fluide, moins maîtrisé que dans de précédentes lectures de cet auteur... Peut-être ne s'agit-il que d'une impression, juste une sensation ( sourire ) ?
La seconde, c'est que j'ai lu ce roman à travers le prisme de l'année de sa parution ( 1933 ) et d'un Monsieur Hire, bouc émissaire d'une époque qui précède ou qui annonce les grandes persécutions dont vont être victimes les Juifs.
Or
Simenon n'est pas connu pour ses sympathies sémites... alors, question ?
Sinon, on ne peut pas passer à côté d'une telle oeuvre !