Le narrateur, Ezra, fait la connaissance de la famille de son amie Eve, des hobereaux bisontins assez ridicules. le père, Anatole, joue au châtelain ; la mère, Noëlle, s'occupe du foyer tout en donnant des cours de morale dans un établissement d'enseignement privé. Eve a aussi deux soeurs, Sibylle, « la grande chiante », archétype de la femme catholique engoncée dans une rigueur d'un autre temps, et Camille, « la petite tarée », qui fait les beaux-arts et joue à la bobo libérée. Il y a aussi l'oncle Robert, le loser de la famille, toujours entre deux vins et au chômage, et sa femme Florence, que son amour insensé pour lui retient à ses côtés malgré tout. Ezra et Eve font l'amour sur une table en pierre d'époque Louis XIV dans le jardin, à l'abri des regards. Ezra est professeur de mathématiques en classes préparatoires et Eve est professeure de français au lycée. Ezra est fasciné par
les chaînes de Markov qui déterminent ce qui va se passer à l'avenir sans référence au passé, mais uniquement à partir du présent. Il applique ce processus mathématique à sa vie. ● Je ressors assez mitigé de la lecture de ce premier roman malgré les éloges lus dans la presse (Le Monde et
Le Figaro notamment) et aussi sur Internet. ● Certes, il a de nombreuses qualités, comme l'art du portrait sarcastique ; voici par exemple celui de Sibylle : « La plus âgée des trois filles d'Anatole est laide. Elle est avocate, tout le monde la respecte et la déteste, et elle se nomme Sibylle. Trente-quatre ans, quatre enfants, cette aînée arbore sa hideur avec arrogance. Sa peau blafarde, son tee-shirt beige mal coupé, ses cheveux au carré, les lunettes de soleil relevées au-dessus de sa frange, ses lèvres sèches, ses joues creuses, sa bague de mariée, la trace de sauce tomate juste au-dessus de son pantalon sont autant de gages donnés à sa famille de son plein engagement dans le travail, la religion catholique, la fidélité à son mari et l'éducation de ses enfants. Une loi éternelle veut que les aînés s'identifient au parent du même sexe quand ils sont petits et l'exècrent plus tard. Sibylle s'est identifiée à Noëlle, et, pour faire comme sa mère, elle a choisi un mari bien comme il faut, un cadre qui a les cheveux plaqués sur le côté. Et aujourd'hui, elle en veut tellement à Noëlle d'être enfermée dans cette routine atroce dont elle ne verra jamais le bout. le cabinet d'avocat stressant, les enfants qui puent, le mari inculte qui prend soin de sa BMW, les repas de famille interminables, les discussions sans fin, les mondanités, rien d'autre, rien d'autre dans sa vie de femme de trente-quatre ans que cet enchaînement de futilités et de tâches ménagères. » ● Ou encore le portrait de Blanchard, le patron d'une entreprise de conseil en stratégie de haut vol : « Il ressemble à une sorte de pourceau à lunettes ; quand il sourit, il me fait penser à quelqu'un en train de faire caca. […] Il ressemble à un gros cochon d'Inde sans défense. » ● le roman fait aussi preuve de finesse d'analyse et d'humour : « trois phases se distinguent dans une relation. La première, où vous rêvez de prendre l'autre dans vos bras. La deuxième, où vous prenez l'autre dans vos bras. La troisième, où vous prenez l'autre dans vos bras en pensant au fonctionnement de la signalisation ferroviaire. le désir, le bonheur, le couple. » ● Les passages qui mettent en scène le cabinet de stratégie sont vraiment très bien vus et drôles. ● Il y a plein de petites notations du quotidien qui montrent l'esprit d'observation de l'auteur. ● Mais ce qui m'a manqué c'est une tension narrative ; le roman adopte la forme de la chronique d'un couple, et les passages tels que ceux que je viens de citer ne sont pas assez nombreux pour que le récit ne tienne que par cela. Il manque quelque chose qui donne envie de tourner les pages. ●
Les chaînes de Markov, qui pourraient jouer ce rôle de moteur de l'intrigue (très mince), paraissent trop artificiellement plaquées sur elle, cela n'est guère convaincant. ● Bref, je n'ai pas été emballé plus que ça mais je suivrai cet auteur prometteur.