Encore une fois, ce fut une lecture chargée. J'ai écrit plus tôt que
Marilynne Robinson ne rend pas la tâche facile à ses lecteurs : ses thèmes (essentiellement le bien et le mal chez les humains, et la façon dont nous faisons façe à ces deux en tant qu'individus) sont particulièrement lourdes, et son style d'écriture méticuleux et supérieur exige une constante concentration.
Dans ce quatrième volet de la série
Gilead, elle reste en territoire familier : tout comme dans le deuxième volet (« Home »), l'accent est à nouveau mis sur
Jack, le mouton noir de la famille Boughton. Et en soi, nous n'apprenons pas grand-chose de nouveau : nous savions déjà que
Jack est un ivrogne et un voleur, qui n'est que trop conscient de sa «méchanceté», et nous connaissions sa relation problématique avec la femme noire Della Miles. Mais dans cette tome, Robinson creuse beaucoup plus profondément cette âme «condamnée». Cela fait presque mal d'être confronté à l'inquiétude constante de
Jack, à son insécurité permanente et à son sentiment d'infériorité écoeurant. Robinson montre comment les personnes en marge de la société évaluent continuellement la façon dont elles sont perçues de travers par les autres (qui sont dans une meilleure position) et à quel point elles sont impuissantes à se sortir du marais. La particularité de
Jack est qu'il a développé sa propre philosophie de vie à partir de cette situation, à savoir causer le moins de mal possible. En vain bien sûr.
Et puis il y a la romance entre
Jack et Della, une romance dont on ne peut pas vraiment comprendre les fondements, mais qui se développe de manière si délicate et si touchante qu'il faut être captivé par elle. Cela ne ressemble à rien de plus qu'une autre histoire de Roméo et Juliette, condamnés comme le sont les deux protagonistes par leur milieu et par les lois en vigueur (y compris un regard assez confrontant sur la rigidité morale de la communauté noire). Ce qui m'a le plus frappé dans les dialogues entre
Jack et Della, c'est la fréquence à laquelle ils parlent de lumière et d'obscurité, métaphore peut-être très évidente ici, mais qui résume bien le dilemme de ce couple. En fin de compte, dans cette tome, Robinson aborde la question de savoir si
Jack peut être sauvé par Della, ou – en d'autres termes – si quelqu'un qui est damné peut être sauvé par l'amour, une question qui était auparavant centrale pour
Dostoïevski (en particulier dans
Crime et Châtiment). En effet, Robinson rivalise avec les plus grands et elle se tient debout. Cela en dit assez.