pbGains - Richard Powers - Babelio
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EAN : 9782749109237
640 pages
Le Cherche midi (23/08/2012)
3.53/5   137 notes
Résumé :
À travers l’aventure de Clare Inc., une petite entreprise familiale américaine de savon créée en 1830 à Boston et devenue au fil des années une multinationale de la chimie, Richard Powers retrace un siècle et demi de capitalisme, évoquant au passage la mentalité des premiers pionniers, l’évolution du syndicalisme, du management, de la publicité et de la communication.

En parallèle, il nous entraîne dans la vie de Laura Brodey, mère de deux enfants, tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (39) Voir plus Ajouter une critique
3,53

sur 137 notes
Un roman aux deux histoires, la saga d'une grande entreprise et la vie d'une femme aux prises avec le cancer.

Un livre un peu déconcertant, sans chapitres ni démarcation visuelle entre les époques. On peut être au 19e siècle avec les Clare, des commerçants anglais et un immigrant plein d'espoirs, doué pour fabriquer les chandelles. Et sans transition, on passe à l'histoire de Laura, fin du vingtième siècle, agente immobilière prospère, mère deux enfants adolescents, un ex-mari et un amant.

On suivra l'historique du savon, à travers les découvertes scientifiques et les crises économiques, avec des travailleurs acharnés, des génies de la finance et du marketing et l'irrésistible croissance d'une multinationale. Un ton neutre qui tient du documentaire, qui explique la chimie du savon et des produits dérivés et présente l'essor de la compagnie Clare sous un jour essentiellement positif.

En parallèle, on accompagnera Laura dans sa vie quotidienne, à travers les visites à l'hôpital, les ravages de la maladie et de la chimiothérapie. Des pages pleines d'émotions, touchantes, réalistes, avec les hauts et les bas d'une famille ordinaire.

Un roman difficile à noter, tant ces deux trames sont différentes.
Pour la saga du savon, j'ai appris des choses sur l'histoire des États-Unis et de l'entreprise et réalisé à quel point nous sommes entourés d'objets que nous tenons pour acquis, mais qui ont nécessité des décennies d'innovations. L'aspect documentaire est donc réussi, puisque j'ai appris.

Pour la vie de Laura, j'ai été touchée par son histoire. Peut-être parce que je connais des femmes qui ont souffert, mais aussi parce qu'on ne sait jamais qui pourrait être atteint par la maladie.

Au final, un pavé intéressant, même s'il n'est pas très facile d'accès.
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Un baume authentique, un tonique et deux savonnettes! Et avec ça, je vous mets de la lessive? du whisky? de l'engrais? Des bourrelets pour calfeutrer vos fenêtres? Des pesticides et insecticides? Puis- je vous offrir un cancer? Il vous fera usage dans quelques années. Ne me remerciez pas! Clare oeuvre pour l'Amérique et les Américains. Soyez fiers d'acheter des produits Clare. Clare répond à vos besoins. Pour votre cancer, avez-vous une préférence? Poumons, vessie? Ne vous inquiétez pas. Clare saura prendre le tournant de l'écologie et subventionnera votre hôpital. Et toujours Clare sera à votre écoute.Répondra à tous vos désirs.

Gains ou l'histoire de l'économie libérale. Powers traverse les deux siècles précédents dans la mousse d'un bouilleur de savon qui ne cessera de mousser pour accoucher d'une multinationale. L'entreprise Clare, allégorie du néocapitalisme. Pourtant le savon, ça a un côté sympathique, inoffensif. Mais non. C'est un produit de consommation un savon. C'est chimique le savon. Et le savon sans savon l'est plus encore. Pas moyen d'en sortir. Ici la chimie devient toxique. Pour notre plaisir à tous. Parce que l'on en redemande, petits consommateurs frénétiques que nous sommes! Sans notre consentement, la pieuvre entrepreneuriale irait se laver les tentacules ailleurs. Ben oui, pour faire grossir la bestiole, il faut l'enraciner sur ses territoires, travailler pour elle, acheter ses produits, voire ses actions. Et toujours en redemander.

Quitte à en redemander, je redemande du Richard Powers. le scientifique converti à la littérature pollinise celle-ci avec les sciences (Ici la chimie et l'économie). Et l'hybride est toujours réussi. le roman alterne l'épopée commerciale et rationnelle d'une entreprise et l'histoire individuelle et émotionnelle d'une femme au prise avec un cancer.
D'un côté, on cause chiffres, crédits, débits, frais, marges et profits. de l'autre, on bute sur les pourcentages (combien de chances de guérir, de mourir?) et sur les escaliers par faiblesse physique.
Bien sûr, le général rejoint le particulier. Clare versus Laura.
Mais Powers est romancier. Pas moraliste. Philosophe aussi. Il pose les questions, se garde de donner des réponses qui ne seraient jamais que simplettes face à la complexité de notre monde. Nous, on vit un grand moment de lecture, on se jure que… et demain matin on ira se savonner, se tartiner, s'asperger parce que, hein, nous ne sommes pas des sauvages (exterminés depuis longtemps).
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Je m'attendais à une immense fresque, imbriquant le point de vue panoramique et inédit de l'auteur sur l'évolution de la civilisation américaine, pleine de bruits et de fureur, et une exploration intimiste et chirurgicale de la vie quotidienne d'une famille de la middle-class, aux personnages plus attachants les uns que les autres, comme seuls les écrivains américains savent le faire.
Hélas, malgré un pavé de 620 pages pleines de promesses quant à la possibilité de développer un généreux contenu, je me suis vite rendu à l'évidence, nous ne sommes ici ni chez Philip Roth, ni chez Paul Auster, ni même chez John Irving. Ce roman, tout comme son héroïne, manque cruellement de souffle. Lent et répétitif, poussif, il a fallu s'armer de courage pour aller au bout, opération Masse Critique oblige.
La construction classique alterne de façon convenue deux histoires vues par le petit bout et par le gros bout de la lorgnette. D'un côté, l'histoire d'une entreprise américaine fabriquant du savon, du début du XIXe siècle à nos jours, passant en quelques générations de l'entreprise familiale et artisanale à la multinationale hégémonique. de l'autre côté, l'histoire de Laura Bodey, divorcée, deux enfants, atteinte d'un cancer.
Bien sûr, à la fin, les deux chronologies vont converger, sans surprise. Alors, pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ?
La recette semble pourtant simple. Coupez les deux récits en petits morceaux. Alternez les couches comme dans un plat de lasagnes. Surtout, ne faites aucun chapitre, servez un pavé compact et d'un seul tenant, la recette ici tient plus du pudding que du vol-au-vent. Pourquoi pas, mais le résultat va alors surtout dépendre de la qualité des ingrédients.
La saga des Clare, les marchands de savonnettes, se lit sans déplaisir mais comme un essai d'économie décrivant la complexification des processus de fabrication et l'inéluctable montée du capitalisme états-unien. Froid et technique. Si on échappe aux courbes de productivité et aux camemberts des parts de marché, on a quand même droit aux organigrammes de l'entreprise et aux modélisations de processus. Et, ah oui, les valeurs humanistes d'origine (la propreté et la santé) ont fait place progressivement aux valeurs aliénantes et déshumanisées de l'ultralibéralisme (le pognon et le pouvoir), avec bien entendu son cortège habituel d'effets collatéraux : grèves, répressions dans le sang, délocalisation, chômage, pollution, cancers… Tout cela ressemble à une série documentaire entrecoupée de pauses publicitaires ! On a très souvent l'impression de lire la plaquette commerciale de Procter & Gamble, qui visiblement est le modèle dans la vie réelle de la société Clare.
L'histoire de Laura et de sa famille aurait pu ramener le récit dans un cadre plus romanesque. Il n'en est rien ! Après le documentaire, la téléréalité trash. En définitive, on n'arrive jamais à s'attacher vraiment à ce personnage qui ignore les efforts de son ancien conjoint et de ses enfants pour adoucir son existence et sa lente descente aux enfers, et pour qui le combat semble perdu d'avance.
Evidemment, on peut gloser sans fin sur les quelques idées du roman qui remontent à la surface après avoir remué la vase nauséabonde du monde moderne. Richard Powers se garde bien d'avancer ses propres conclusions en laissant ce plaisir au lecteur. Pas envie. Je passe mon tour.
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Gains est un pavé, que j'ai pourtant dévoré en quelques jours à peine. Il s'agit d'un roman remarquable, d'une densité et d'une intelligence hors du commun. Habilement construit, le récit alterne deux histoires : celle de la montée en puissance de l'entreprise Clare au XIXème siècle, à l'heure de la révolution industrielle, et celle de Laura, américaine ordinaire au destin brisé par la maladie. Richard Powers trouve un parfait équilibre entre les deux, ce qui n'avait pourtant rien d'évident à priori ! En effet, nous avons d'un côté un récit très dépouillé, quasi documentaire, fourmillant de détails scientifiques, économiques et historiques ; de l'autre, une plongée dans le quotidien et l'intimité d'une famille dont les certitudes et le mode de vie vont se trouver bouleversés par l'irruption soudaine du cancer, redoutable ennemi invisible d'origine inconnue. le passé entre en résonance avec le présent, et l'aspect humain se trouve inexorablement affecté par l'avancée triomphante du capitalisme en marche.

Le style de l'auteur est efficace et lapidaire, non dénué d'humour, glaçant dans sa simplicité, mais demeure captivant de la première à la dernière page. Publié en 1998, ce roman d'une étonnante actualité prend la forme d'une réflexion philosophique assez pointue, qui analyse les ressorts du capitalisme libéral, la place de l'individu dans nos sociétés de consommation, ou encore l'impact du développement de la chimie moderne. Richard Powers ne prend jamais position, mais le message (pessimiste) qui apparaît en filigrane est parfaitement clair. Il est à noter que les deux récits sont entrecoupés d'extraits de publicités récentes et anciennes pour les produits des entreprises Clare, que le lecteur savourera avec effroi. La machiavélique et brillante hypocrisie des responsables marketing fait froid dans le dos...


Naissance d'une multinationale capitaliste

L'aspect historique est superbement documenté, et m'a particulièrement intéressée. le destin de la petite manufacture de savons est constamment replacé dans son contexte socio-économique, avec une précision et une profusion d'informations qui laissent admiratif. Sont ainsi abordées les conditions de vie et de travail des américains, ainsi que le développement des méthodes de vente et de gestion d'entreprise de 1830 à nos jours. J'ai par ailleurs été impressionnée par les connaissances scientifiques de l'auteur, qui décrit par le menu les différents procédés de saponification, ainsi que leur évolution. Il est rare que des écrivains se montrent aussi rigoureux dans des domaines aussi différents que la chimie, l'économie ou l'étude de moeurs ! J'ai découvert depuis que Richard Powers était physicien de formation, ce qui explique qu'il soit aussi calé en sciences. Il est néanmoins remarquable de parvenir à rendre intelligibles et attractifs des détails techniques qui pourraient en rebuter plus d'un.

Ce qui était au départ une petite entreprise familiale, mue par un enthousiasme et des compétences bien définis, se métamorphose progressivement en une monstrueuse multinationale tentaculaire, dont la production se diversifie en même temps que les budgets de fonctionnement augmentent. Les frères Clare et leurs descendants doivent leur succès à un heureux hasard (une vente de savons inespérée), tout autant qu'à leur sens du commerce ou à la qualité de leurs produits (bien réelle dans un premier temps). Devenus fournisseurs officiels de l'armée Yankee lors de la guerre de Sécession, ils sauront par la suite profiter des nombreuses crises économiques qui émailleront l'histoire américaine pendant presque deux cents ans pour rebondir et accroître leur influence, tout en améliorant le rendement de leur chaîne de production.

"Du jour au lendemain, le train du bonheur dérailla pour tomber dans le précipice de la réalité matérielle." (page 328)

Les directeurs successifs se distinguent quant à eux par leur opportunisme et leur capacité à occuper le marché en s'adaptant aux exigences d'une société en rapide et constante mutation. Plus les années passent, plus ceux-ci se transforment en véritables requins de la finance, à des années lumières de Benjamin Clare, le plus jeune frère, incorrigible rêveur et passionné de botanique, ou de Robert Ennis, associé des frères Clare, jeune chimiste plein de ressources et passionné par sa discipline. le côté humain de l'entreprise disparaît progressivement, noyé par l'argent et la recherche permanente du profit.

L'on constate également le poids croissant de la publicité, nécessaire pour se démarquer de ses concurrents et imposer l'idée que les produits Clare sont les plus performants. A la manière d'un Steve Jobs, la famille Clare comprend très vite la nécessité de créer le besoin chez le consommateur, et ne se limitera désormais plus aux seuls savons et bougies, biens de consommation nécessaires, alors que l'utilisation de l'électricité n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements, et que la modernisation du pays s'accompagne de progrès dans le domaine de l'hygiène et de la prévention sanitaire. le Baume Authentique devient alors le produit phare de l'entreprise, qui élargira ensuite son activité à la production d'anesthésiques, désinfectants, désherbants, maquillage, boissons alcoolisées et autres nouveaux produits créés par la chimie de synthèse. Pour résumer : tout et n'importe quoi !

Cerise sur le gâteau : l'entreprise Clare amorcera à la fin du XXème siècle son virage écologique, et s'impliquera dans de nombreuses oeuvres caritatives, qui lui permettront de renforcer sa légitimité, et de s'offrir une couverture respectable masquant d'inévitables dérives. On reconnaît bien là l'hypocrisie des grands groupes, qui exploitent et polluent sans vergogne, tout en se positionnant en grands défenseurs de l'environnement !

Il va sans dire que tout cela est absolument passionnant pour qui s'intéresse un tant soit peu à L Histoire et aux rouages du libéralisme. le résumé rapide que je viens d'en faire est (très) loin de rendre compte de l'incroyable richesse du texte de Richard Powers. Pour être honnête, j'ai eu un peu de mal avec certaines notions d'économie, notamment lorsque l'auteur aborde l'époque moderne dans la dernière partie du livre, mais j'ai malgré tout été totalement happée et constamment fascinée par le destin des frères Clare et de leur usine.



Une femme qui souffre

Venons en maintenant à l'histoire de Laura Bodey. Atteinte d'un cancer des ovaires, elle lutte contre la maladie, et essaye de comprendre. Pourquoi elle ? le quotidien de Laura est raconté avec beaucoup de simplicité, sans jamais sombrer dans le pathos. Il s'agit pourtant d'une lente descente aux Enfers, que Richard Powers nous décrit de façon clinique et très réaliste. Rien ne nous est épargné : opérations, douleur, séances de chimiothérapie, nausées, désespoir... Certains passages sont à la fois très durs et très touchants, et m'ont pas mal chamboulée. Gains est un roman dont on ne sort pas indemne !

Laura, prisonnière de son pauvre corps maltraité, ne verra plus jamais du même oeil le monde qui l'entoure, comme si le cancer l'avait extirpée d'un rêve illusoire. Tout lui paraît désormais absurde et surréaliste, du détachement jovial des médecins au soudain intérêt témoigné par des voisins gênés, ne sachant quelle attitude adopter devant la maladie. Et si la vie qu'elle avait menée jusqu'à présent ne reposait que sur des valeurs factices ?

La déchéance progressive de Laura est à l'image de celle de la société de consommation américaine, dont Richard Powers pointe subtilement du doigt les dérives et les dysfonctionnements. La cellule familiale est également en danger : divorce, adolescents pourris gâtés, décadence alimentaire et intellectuelle (le fils de Laura passe des heures à jouer en réseau sur son ordinateur)... le roman n'a rien de moralisateur, mais le constat n'en est pas moins affligeant !

"Ah, oui, le cisplatine, elle se rappelle maintenant. le métal lourd qui tue. le platine, comme celui de son alliance qui ne lui sert plus à rien. le truc dans sa perfusion, pas question de le laisser approcher à moins de vingt kilomètres d'une réserve d'eau potable. Mais là, ils lui en ont rempli une petite flasque rien que pour elle." (page 205)

L'auteur suscite également une réflexion intéressante sur les bienfaits et les dangers de la chimie moderne. La chimie, synonyme de progrès. La chimie, qui offre la possibilité de traiter le cancer de Laura (traitement qui se révélera ironiquement aussi destructeur que la maladie elle-même). La chimie, outil d'anéantissement , qui entraînera à terme la destruction de l'écosystème et de l'espèce humaine. Etant moi-même (un peu) chimiste, je ne peux que me sentir concernée par ce genre de questions !

" [ . . . ] La vie sans la chimie ne serait plus une vie.
Notre civilisation, c'est vrai n'est pas sans connaître son lot de souffrances. Et elle n'a pas fini de souffrir. Mais ce n'est pas une raison pour jeter l'éponge - en fibre synthétique indéformable, évidemment. Ce qu'il faut, c'est choisir le monde dans lequel nous prétendons vivre et travailler à le construire.
Et pour ce faire, quel que soit le monde dont nous rêvons, nous aurons besoin des bons matériaux.
La seule bonne réponse, ce n'est pas moins de savoir, mais un savoir de meilleure qualité. Les procédés chimiques ne sont pas le problème. Ils constituent la règle même du jeu. Ils sont au coeur d'une équation élémentaire :

Votre vie, c'est de la chimie.
Et la chimie, c'est notre vie.

Groupe des procédés industriels
CLARE MATERIAL SOLUTIONS "

(page 275)


Les substances toxiques utilisées par usines Clare dans leur produit sont-elles à l'origine du cancer de Laura ? le thème central du livre rappelle un peu celui d'Erin Brockovich, très bon film de Steven Soderbergh, qui demeure néanmoins beaucoup plus simpliste dans son approche. Richard Powers aurait pu se heurter à l'écueil de la caricature (la méchante entreprise capitaliste contre les gentilles victimes innocentes), mais le roman a le bon goût de ne jamais sombrer dans le manichéisme (une qualité des plus appréciables). Il est indéniable que la construction du récit renforce considérablement le propos, qui n'en a que plus d'impact.

La fin est un modèle de cynisme. Il semblerait que l'on ne puisse échapper au capitalisme, même armé de toutes les meilleures intentions du monde. Les victimes elles-mêmes sont partie prenante d'un système qui sème les germes de son propre effondrement, où le profit supplante toutes les autres valeurs. Autant dire que le roman donne une vision assez pessimiste du monde dans lequel nous vivons !

Ouf ! Voici encore une très longue critique, mais ce roman m'a tellement marquée que j'avais besoin d'en parler. Rassurez-vous : rien de ce que j'ai écrit ne vous gâchera le plaisir de la découverte.


Ma conclusion : un roman brillant et bouleversant, formidablement documenté, qui amène subtilement le lecteur à une réflexion sur le libéralisme et la société de consommation. Richard Powers est un auteur majeur, que je relirai très certainement.

Lien : http://leslecturesdeleo.blog..
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Coïncidence, il y a quelques jours j'ai lu dans la presse* que la méga-firme cosmético-pharmaceutico-industrielle Johnson & Johnson avait été condamnée par un tribunal du Missouri à payer 72 millions de dollars de dommages et intérêts à la famille d'une dame décédée d'un cancer des ovaires, ledit cancer ayant été provoqué par le talc commercialisé par Johnson & Co. Sans connaître les détails du procès, je reste assez sceptique quant au fait qu'on puisse un jour établir un lien de causalité certain, direct et exclusif entre ce talc et ce cancer, et je suis persuadée que Johnson fera appel du jugement, pas tellement pour ne pas payer, mais surtout pour éviter de créer un précédent judiciaire ruineux. Quoi qu'il en soit, les experts scientifiques de tous bords n'ont pas à s'inquiéter pour leur avenir, il y a tant à gagner pour eux dans de tels procès qui ne sont que batailles de rapports toxicologiques et contre-enquêtes environnementales.
« Gagner », « gains », le lien avec le roman de Powers est facile. Au départ de ces 620 pages, nous avons les frères Clare qui, au début du 19ème siècle, créent à Boston leur petite entreprise de fabrique de savon et de bougies. A l'arrivée, presque deux siècles plus tard, voilà Clare Inc., multinationale tentaculaire et diversifiée, fabriquant tant les couches pour bébé les plus douces aux fesses que les pesticides les plus agressifs, aussi efficaces contre les insectes nuisibles que nocifs pour le reste de l'environnement. Entre les deux, 170 ans d'esprit d'entreprise à l'américaine, de développement du capitalisme et de l'ultra-libéralisme. Powers nous retrace tout au long de ce pavé la fondation et la croissance exponentielle d'un monstre industriel et commercial qui ressemble comme un frère jumeau à Procter & Gamble. On observe, schémas et slogans publicitaires à l'appui, comment deux entrepreneurs du 19ème, soucieux de gagner leur vie, comprennent le profit à tirer en occupant le créneau de l'hygiène à prix démocratique, et transforment le savon, luxe réservé à l'élite, en produit de consommation de masse, accessible même au moins bien payé des ouvriers. Puis comment, concurrence féroce oblige, l'entreprise n'a d'autre choix que de croître pour ne pas couler, et de réduire en conséquence ses coûts de production, d'achats de matière première, et surtout de main-d'oeuvre. Et on glisse inexorablement de préoccupations hygiénistes « artisanales », voire paternalistes, à des manoeuvres de haute voltige économico-financière, visant à faire toujours plus avec toujours moins, à remplir les poches des actionnaires, et tant pis si c'est au détriment de la masse salariale et de la nappe phréatique.
Ce récit, qui ressemble beaucoup trop à un essai sur l'histoire du libéralisme économique, froid et sans âme, s'interrompt de temps à autre pour laisser la place à l'histoire de Laura, 40 ans, qui, en 1998, à l'apogée de Clare Inc., se débat contre un cancer des ovaires. On devine très vite comment la jonction va s'opérer entre ces deux histoires.
Résulats des Gains ? Un gros déficit de souffle malgré l'envergure du thème, une surproduction d'ennui, un excès de technicité indigeste pour l'histoire de Clare et de pathétique pour celle de Laura, qui ne suscite aucune empathie. L'exercice se clôture par une perte sèche à acter au bilan, n'en déplaise aux actionnaires.

*http://www.lefigaro.fr/societes/2016/02/24/20005-20160224ARTFIG00386-etats-unis-un-geant-pharmaceutique-condamne-a-verser-une-indemnite-record.php
Lien : http://www.voyagesaufildespa..
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critiques presse (2)
Telerama
27 novembre 2012
Un livre provocateur et bouleversant où l'intelligence démonstrative n'est jamais gratuite.
Lire la critique sur le site : Telerama
Bibliobs
04 octobre 2012
En éblouissant maître des constructions romanesques où l'universel s'articule à l'intime, Richard Powers [...] retrace, dans cette fresque qui ne se laisse jamais gagner par la lourdeur démonstrative, rien de moins que l'histoire du libéralisme mondial. Un réquisitoire aussi efficace que subtil.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (60) Voir plus Ajouter une citation
Une semaine après l'enterrement, Tim s'était rendu avec son père et sa sœur dans la maison de sa mère. Il fallait faire place nette. Le patron de l'agence Millennium offrait de s'occuper de la vente de la maison en réduisant sensiblement la commission et se montrait optimiste quant aux acheteurs potentiels. C'était Ellen qui avait trouvé le premier mot. Elle s’apprêtait à débarrasser le coffre en cèdre au premier étage quand elle avait vu, au dessus de la pile des pulls d'hiver, un Post-it jaune : « A laver à l'eau froide, programme doux. Faire sécher à plat sur une serviette. »
Ils avaient d'abord cru au hasard. Jusqu'à ce que Tim découvre bientôt un mot, sur une mangeoire dans la cave. « Si vous avez l'intention de lui faire passer l'hiver dehors, veillez à ce qu'elle soit toujours pleine. » Un moment plus tard, était venu le tour de Don, avec un Post-it vert sur un sac congélation dans le réfrigérateur : « Fév. Ratatouille préférée d'Ellen. A faire décongeler la veille. Four à 350°, env. 20 minutes. Très bonne fournée. »
Il y avait peut-être une centaine de mots du même genre dispersés dans toute la maison. Des conseils sur tout ce qu'aucun d'entre eux n'avait jamais su faire. Finalement, ils avaient vendu l'autre maison, celle de son père, pour venir habiter celle où tout était expliqué.
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Les travailleurs avaient compris depuis un certains temps certaines vérités quant à leur statut dans la chaîne de production. La fonction remplissait la personne bien davantage que celle-ci ne remplissait la fonction.

Les habitants n'étaient guère plus que des lapins domestiques vantant la vie aux champs jusqu'au moment où la main qui allait les engraisser abattit sur eux son bâton. Voilà ce que voulait dire "libre entreprise". Libres d'être les larbins du premier filou venu à connaître le système.

Que le produit soit utile ou de bonne qualité n'avait rien à voir à l'affaire. Ce qui comptait, c'était ce dont le public s'imaginait avoir besoin.

Ce qui comptait désormais, c'était d'amener le consommateur à se gratter où ça le démangeait, à mettre en bouteille l'eau salée qui allait entretenir sa soif.

L'Amérique se réveilla un beau matin pour découvrir ses plus grands lacs moribonds, quand ils n'étaient pas déjà morts. Le coupable, c'était l'eutrophisation, le vieillissement des eaux dû à une surabondance de matières organiques. Ce processus naturel très lent avait en quelque sorte commencé à s'accélérer, concentrant sur dix années une évolution qui aurait dû prendre dix siècles. Une substance particulièrement nourrissante causait une prolifération excessive d'algues et autres plantes aquatiques qui finissaient par asphyxier le lac.
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Son procédé de fabrication de la stéarine donnait à Ennis plusieurs longueurs d'avance sur ses concurrents bostoniens. Il montra aux Clare le récipient fermé et bouillonnant dans lequel il séparait le suif en présence d'un faible pourcentage de chaux. Aux dires d'Ennis, la chaux enclenchait le processus que la chaleur et la vapeur se chargeaient de mener à son terme.
Dans ce chaudron en ébullition, Ennis déversait juste assez d'acide sulfurique pour solubiliser les sels de chaux et les précipiter comme sulfate. A la surface du bain de glycérine qui en résultait venaient alors flotter les acides gras tant convoités. Ennis en prélevait la quantité souhaitée avant de la clarifier à plusieurs reprises. Il versait ensuite le produit dans des bacs de compression et attendait que les acides gras cristallisent en un joli magma.
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Le jour avait une façon bien à lui d'éveiller Lacewood. La tapotant délicatement comme on le ferait d'un nouveau-né. Lui frictionnant les poignets pour la ramener à la vie. Lorsque la matinée était tiède, on se rappelait sans difficulté la raison pour laquelle on s'activait. Il fallait battre le fer pendant qu'il était chaud. Travailler ici et maintenant, précisément parce que là où on allait il n'y avait nulle part où travailler.
Mai donnait l'impression que cette ville n'avait jamais abrité de pêcheurs. Le printemps ouvrait grand les battants des fenêtres. La lumière débarrassait les chênes de leurs derniers doutes hivernaux, faisant naître de nouvelles pousses à partir de rien, vous laissant libre encore une fois de gagner votre pitance. Quand le soleil était de la partie à Lacewood, on pouvait enfin vivre.

La trace de Lacewood, on la retrouvait partout : à Londres, à Boston, aux îles Fidji, dans la baie de la Désillusion. Mais toutes les traces aboutissaient là, dans cette ville consacrée à la production. Certains matins, surtout les matins ensoleillés, l’histoire s’évanouissait. La longue route qui menait jusqu’à aujourd’hui disparaissait, se perdait dans le voyage encore à venir.
La ville avait d’abord subsisté grâce à la terre revue et corrigée. Les prairies aux herbes folles avaient cédé la place au grain, à une seule variété d’herbe comestible, qui, cultivée sur une grande échelle, faisait que même l’herbe pouvait rapporter. Plus tard, Lacewood s’était élevée grâce au génie humain : une série de transformations alchimiques lui avait apporté la prospérité. On l’avait nourrie d’argile schisteuse, engraissée à la cendre d’os et au guano. Les découvertes se succédaient aussi sûrement que mai suit avril.
Il avait dû exister une époque où, quand on parlait de Lacewood, on ne parlait pas forcément de Clare Incorporated. Mais personne ne s’en souvenait. Aucun de ceux qui étaient encore en vie n’était assez vieux pour cela. Impossible de prononcer un des deux noms sans aussitôt évoquer l’autre. C’est par le large canal de cette compagnie que s’écoulait toute la grâce jamais répandue sur Lacewood. Les grandes boîtes noires en bordure de la ville retiraient des pépites de la boue. Et Lacewood était devenue l’emblème des richesses qu’elle fabriquait.
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La télévision créait une demande de masse, laquelle entrainait la mise en place d'usines plus grandes, donc de produits meilleur marché, donc d'une consommation élargie, qui elle-même permettait davantage d'émissions télévisées, donc un coût moins élevé par message."

"Les publicités réclamaient davantage de savoir-faire, de prises de vues, de technicité et d'ingéniosité que les programmes qu'elle rendaient possibles. Elles arrivaient, en moins d'une minute, à suggérer plus d'histoire et d'aventure que leurs émissions parasites, qui pourtant s'étiraient sur presque une demi-heure
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Quand vous regardez les arbres autour de vous, que voyez-vous ? Je veux dire : que voyez-vous vraiment ? Si vous savez rêver, c'est l'avenir de l'humanité que vous contemplez en regardant les arbres.
L'arbre-monde de Richard Powers, c'est un grand roman à découvrir en poche chez 10/18.
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