Avril 2021- Librairie Périple2- Boulogne-Billancourt- Repris lecture mai 2024
Une belle fresque sociale, indéniablement, se déroulant sur un territoire géographique si mal connu et si peu présent...: les Îles Féroé..
Déjà trois années que j'ai choisi cet ouvrage, au hasard de mes pérégrinations en librairie, pour, à la fois, les thèmes, le titre, la couverture joliment illustrée d'un ancien cliché noir et blanc, et aussi pour mon intérêt pour cet éditeur canadien....
Dans ce roman, on va suivre le périple de cinq gamins des années 1950, la plupart, orphelins, et largués dans des institutions religieuses où l'instruction et l'éducation des enfants ne vont pas sans une violence institutionnelle, allant de soi, considérée comme naturelle.
"La violence était un outil pédagogique naturel (...)
Cependant, il y avait aussi des soeurs plus douces qui, avec beaucoup d'application, expliquaient la composition des plantes, le rôle des insectes dans la création, et racontaient comment
François d'Assise, qui avait donné son nom à l'école, avait chanté la lune et le soleil et tout ce qui était beau sur terre.Mais un professeur qui n'était pas sévère était généralement peu estimé. C'était comme si sévérité et compétence allaient de pair, et il était rare qu'un professeur d'aspect aimable parvienne à gagner le respect."
Une lecture des plus éclairantes sur un espace géographique méconnu : les îles Féroé, territoire sous la gouvernance du Danemark...
Si les paysages y sont magnifiques, la vie quotidienne s' y révèle très dure dans cet univers insulaire, pour les classes modestes...de surplus !
Ce récit nous fait aisément songer à l'univers cinématographique en noir et blanc d'igmar Bergmann...
L'auteur , natif du lieu, poète. Romancier, essayiste fut également marin, pêcheur puis ouvrier du bâtiment...j'ajoute ces lignes car, à mon sens, elle explique parfois les coups de gueule qu'il laisse sortir de ses personnages, reflétant peut-être ses propres colères...car , il faut le dire,
Jóanes Nielsen n'y ménage guère ses compatriotes...qu' ils perçoit comme lâches, médiocres, alcooliques, ne défendant pas leurs convictions, trop soumis et dociles face à l'autorité danoise !
À travers les propos de plusieurs personnages, entre autres sujets de révolte, le maintien de la langue féroïne et non l'obligation unique de la langue danoise, on entend clairement les indignations virulentes de l'écrivain...
Si les îles Féroé pouvaient me faire rêver par ses magnifiques paysages, le quotidien de ces îles, y vivre, me semblent plutôt ressembler à une prison sinistre, oppressante...ou d'une existence à l'image des personnages de
Zola ou
De Maupassant....
Fresque sociale intéressante qu'il me faudra relire, car de cette 1ere lecture, je n'ai retenu que le côté sombre de cette chronique sociale, qui fait toutefois mourir les 5 enfants, plus ou moins tardivement...mais trop souvent, tragiquement !
Ce n'est pas un film noir et blanc lumineux par ses contastes, mais un " noir plombant"...
Je reste très contente d'avoir découvert cet auteur talentueux et que j'imagine,
" rebelle", rêvant sans doute à une indépendance de ses îles vis à vis du Danemark !
Je termine ce billet par deux extraits: un qui sous tend cette colère intérieure bouillonnante assez constante , et le second, au contraire, rempli de poésie...Excusez cette longue insertion, mais je désirais réparer quelque peu mon parti pris trop restrictif...
"
- Nous parlons de socialisme, pas de nationalisme, dit le censeur.
- Nous parlons de révolte, répondit Staffan.Vous m'avez demandé ce que la Révolution a à voir avec la morale.Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il y ait une morale nationale particulière,ou une morale socialiste particulière, ni même capitaliste ou chrétienne .La morale naît de l'indignation.
Et les gens qui ne contiennent pas d'indignation ne peuvent pas non plus être porteurs d'une morale élevée."
Je termine par une note plus douce , plus musicale, ayant l'impression de n'avoir insisté que sur le " sombre" de cette narration, ce qui serait injuste !
"Il y avait cependant un jardin qui surpassait tous les autres.À la fois en taille et en beauté. Été comme hiver, les étourneaux chantaient dans les grandes cimes des érables. La plupart des espèces de fleurs existant aux Îles Féroé y poussaient et elles y trouvaient la paix pour s'épanouir, car ce jardin était le Vieux Cimetière.
Il semblait onduler, vert, jaune et rouge, sous le be
au soleil.Les insectes volaient en bourdonnant au-dessus des étroits sentiers tapissés de coquillages, et s'il soufflait une brise de l'est, on sentait la délicieuse odeur végétale jusque sur la route.Un silencieux respect pour la mort rayonnait de chaque brin d'herbe."