On trouve sous la plume d'
Iman Mersal (ou devrais-je dire sous le clavier, car l'auteure nous est contemporaine) des associations d'idées et d'images d'une violente pertinence.
C'est une poésie à la fois de contrastes et de liaisons. Les menus détails font la strophe avec les moments les plus intenses de l'existence, ceux qui pressent le coeur, serrent le ventre, coupent le souffle, chauffent les tempes et emplissent d'iode le creux des paupières.
Cette poésie mêle confidences de la vie d'une cairote (désormais enseignante au Canada) et les « grands » les thèmes de l'amour, parfois clandestin, de la famille, de la maladie, du deuil et de la société. Tous abordés par la porte étroite de l'expérience vécue, habilement amenée vers l'expérience universelle qui permets au lecteur de lâcher dans un souffle, comme s'il s'adressait à la page ouverte sous ses yeux : « moi aussi ».
La poétesse nous entraine sur le chemin des silences, des inaperçus, des lèvres pincées, des doigts nerveux, de la buée sur les verres progressifs.
Mais le rendu est tout sauf impressionniste, les vers se suivent en haute définition sous nos yeux et nous prenons plaisir à nous arrêter à chaque détail, à faire le tour des mots, s'enfoncer un peu plus dans notre oreiller pour se donner le recul nécessaire à la perspective.
Si la lecture est parfois difficile c'est que l'auteure est sans concession, à commencer avec elle-même. Les relations père-fille, le deuil, le rapport aux hommes, à la religion, à l'émigration, sont rugueux et amères. Il s'en dégage pourtant une énergie organique comme si c'était plus fort que la vie, la poésie.
Les conventions sociales les plus banales, les plus clichées ou imperceptibles sont férocement mises à nu avec une fine ironie.
Iman Mersal alterne, dans l'instant d'un trait de bic, la vie quotidienne avec les énigmes existentielles sans fonds, exactement comme dans la vie. On ne peut pas mettre la vie sur « pause » et les autres sur « mute » après avoir pris conscience de sa finitude ou pour chercher son âme sous le canapé, il faudra bien aller fermer la fenêtre, éteindre l'eau qui bouille et composter son billet de train.
Je suis ravi d'avoir ajouté ce livre sur babelio, première traduction française de l'auteure égyptienne par
Richard Jacquemond, et vous le recommande chaudement. N'hésitez pas à revenir sur l'extrait qui m'a décidé à acheter ce livre en librairie (le poème « C.V » en citation).
Iman Mersal c'est aussi l'art de la chute. le dernier vers doit faire mouche, extraire et répandre l'essence du poème entier, et littéralement scotcher le lecteur. Comme disent les anglo-saxons « touché » !