Attention chef d'oeuvre !
Madoka Mayuzumi est la référence contemporaine de l'art du
haïku, et sa réputation n'est pas volée à la lecture de ce recueil. Seul ouvrage de cette célèbre haïjin publié en
France, en 2012, il regroupe le meilleur de sa production. Décrire les qualités intrinsèques de ces miniatures subtiles n'aurait guère de sens, il faut tout simplement les lire…Peut-être à l'aube, au premier chant d'oiseau, lorsque l'esprit reposé s'ouvre, réceptif et serein, avant l'irruption des pollutions qui nous affligeront bientôt…ou peut-être aux premières gorgées d'un délicat thé vert Gyokuro d'Uji. Ambiance…kimono, cérémonie et tatamis…nous y sommes. J'aurais pu presque tous les citer – ils sont près d'une centaine – tellement ces
haïkus concilient harmonieusement une inspiration ancrée dans notre temps et le respect de l'héritage traditionnel des anciens maîtres. Vous trouverez ici en citations nombre de ces petits bijoux, auxquels il me semblait fondamental d'adjoindre le texte en rômaji, notre alphabet latin (les sonorités à prédominance de voyelles adoucissantes font le délice de la langue japonaise, à l'instar de l'italien, enfin c'est un avis !).
Ce qui emporte mon adhésion totale, c'est la conception formelle de ce recueil, savamment construit. Après un remarquable avant-propos de
Corinne Atlan, grande traductrice, s'organise la présentation de nos
haïkus selon la succession des quatre saisons, du printemps à l'hiver. Tradition, puisque le
haïku ne se conçoit que dans l'expression d'un sentiment, d'une impression de l'instant directement liés à la nature et à la saison, et comporte nécessairement un mot de saison (kigo). Selon Mayuzumi, « le mot de saison exprime tous les éléments de la culture japonaise, aussi bien des éléments esthétiques que des émotions, une atmosphère, une philosophie de la vie ». Dans cet art très codifié, les kigo sont consignés dans un almanach poétique, qui certes peut évoluer doucement, mais existe depuis des siècles et des siècles, ce qui en plus d'une métrique établie fixe un cadre formel rigoureux qui pourrait nuire à l'originalité. Mayuzumi parvient néanmoins à trouver un bel équilibre entre tradition et modernité. La présentation de l'ouvrage, donc, est parfaite et extrêmement lisible, didactique : chaque double page est dédiée à un
haïku : celui-ci est présenté à droite dans la nudité simple de ses trois lignes françaises, tandis qu'à gauche on trouve le texte original en japonais, converti en-dessous en rômaji, puis commenté par l'auteure, qui décrit ainsi le contexte du surgissement de son inspiration créatrice. Enfin,
Corinne Atlan qui connaît parfaitement la culture japonaise apporte des précisions d'une pertinence sans faille. Une telle présentation permet un enrichissement sans limite : langue, culture, histoire, et bien sûr un peu du secret de fabrication des
haïkus nous sont livrés.
En conclusion, pour moi qui suis un grand amateur des belles éditions
Philippe Picquier, il s'agit là d'un des fleurons de leurs publications. Quant à
Madoka Mayuzumi, sa biographie montre qu'elle aime particulièrement la
France, ayant assuré plus d'une conférence à
Paris et ayant même été désigné ambassadrice de la culture japonaise en
France il y a quelques années. Elle s'est en outre particulièrement impliquée à travers son art à honorer les victimes de la catastrophe de Fukushima, en publiant des
haïkus, qui peut-être le seront un jour ou l'autre aussi chez nous ?