« Se peut-il que nous ayons peur de nos secrets, propres, entiers ? Ce serait un paradoxe, puisque nous serions, alors, la source même de notre peur. Pourtant, il me semble que cela existe. La peur de ce que personne ne sait, de cette intimité profonde sertie de diamants que nous cajolons comme un trésor. Mince alors, il vaudrait mieux que ça sorte. » ( p.64)
Chacun portant sa faille, plusieurs personnages vont prendre la mer ensemble, sur le trois-mâts du père Jaouen, pour un voyage de résilience… Angèle, qui a découvert l'existence de ce navire salvateur et la figure de celui qui l'a créé - embarquant avec lui des jeunes délinquants et des toxicomanes pour leur donner une seconde chance, l'espoir d'une autre vie - dans une revue qu'elle parcourait dans la salle d'attente de sa psychothérapeute, a choisi d'entreprendre cette traversée de l'Atlantique pour réussir à achever un travail de deuil, se détacher d'une histoire dont elle emporte le récit bien caché au fond de son sac. Sur le bateau, elle rencontrera Louise, Gino, Manuela, Lucas, Maud et Romain, autant d'âmes en peine aux existences blessées, et elle découvrira que c'est dans l'échange des paroles, la confrontation des souffrances, la solidarité face à l'effroi et à la perte, que chacun peut espérer se reconstruire.
le récit d'
Isabel Gutierrez assemble ces fragments de vies à recomposer, laissant entendre ici la voix de l'un ou de l'autre, donnant à lire, ailleurs, des extraits d'un journal intime. le travail de cette écriture-couture évoque ainsi l'art japonais du «
Kintsugi », qui donne son titre au roman, cette pratique consistant à reconstituer une poterie brisée, en soulignant d'un fil d'or les jointures des morceaux recollés, donnant au récipient ressuscité une apparence encore plus précieuse qu'à l'origine. Et les lecteurs du premier roman de l'auteure,
Ubasute (La fosse aux ours, 2021) se rappelleront que cette image était déjà présente dans ce texte antérieur, comme une affirmation des pouvoirs de l'écriture. Angèle, la raconteuse d'histoires, qui croit à la vertu libératrice des contes, s'occupe, à un moment donné de la traversée, de réparer une voile abimée, illustrant, dans une magnifique mise en abyme, par « le geste précis et répété de celle qui recoud la voile déchirée par le vent » (p.78), l'extraordinaire puissance de la littérature. Angèle, comme un double de l'auteure, la meilleure de ses porte-parole au sein du roman… Remerciera-t-on jamais assez
Isabel Gutierrez de nous avoir laissé entrevoir, avec tant de poésie et de grâce, la magie du verbe, elle qui semble s'adresser à elle-même l'antienne qu'elle met dans la bouche de sa protagoniste : « Trempe ta plume, ma fille, et cesse de gémir !»?