AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070377978
349 pages
Gallimard (22/01/1987)
4.01/5   464 notes
Résumé :
- Je vous préviens que ça ne se passera pas comme ça. Il est exact que je viens d'avoir quatre-vingt-cinq ans. Mais de là à me croire nul et non avenu, il y a un pas que je ne vous permets pas de franchir. Il y a une chose que je tiens à vous dire. Je tiens à vous dire, mes jeunes amis, que je n'ai pas échappé aux nazis pendant quatre ans, à la Gestapo, à la déportation, aux rafles pour le Vél'd'Hiv', aux chambres à gaz et à l'extermination pour me laisser faire par... >Voir plus
Que lire après L'angoisse du roi SalomonVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (43) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 464 notes
5
18 avis
4
13 avis
3
8 avis
2
0 avis
1
0 avis
L'angoisse du Roi Salomon, c'est un peu l'angoisse de tous.
Le roi Salomon, c'est Mr Salomon Rubinstein, un vieux monsieur de 84 ans, ancien « roi » du prêt-à-porter dans le Marais. D'origine juive, il a dû se cacher dans une cave pendant la seconde guerre mondiale pour échapper aux nazis. Tout comme Romain Gary, Mr Rubinstein a eu le temps, a eu la vie, pour penser à l'être humain. Penser à nos peurs, nos joies, nos amours, nos espoirs. Tout ce que l'on revêt dès la naissance. Notre prêt-à-porter à tous.
A 84 ans, il ne supporte pas de se dire qu'il n'est plus que vieux aux yeux des autres. Qu'il n'y a plus que cela pour le définir. Alors, il continue de porter de beaux costumes. Il veut rester élégant et digne. Il veut encore être, avoir le droit d'aimer, de ressentir. Pour cela, il a notamment créé un standard SOS. Il aide ceux qui sont dans le besoin, les oubliés, ceux qui ont perdu un peu d'eux-mêmes sur le chemin de la vie. Cette association vaut aussi bien pour les bénévoles : en parlant à quelqu'un, quel que soit le côté où on se trouve, on a l'impression de se sentir moins seul.
Avant la guerre, Mr Rubinstein a été amoureux d'une jeune femme de 20 ans sa cadette, Cora Lamenaire, qui commençait dans la chanson et qui a eu un petit succès. Mais celle-ci était folle amoureuse d'un voyou, qui sera collabo pendant la guerre. L'amour peut être parfois fou, aveugle, incompréhensible. Mademoiselle Cora n'en avait que pour lui. Durant 4 ans, elle n'est jamais allée voir Mr Rubinstein dans sa cave, même si, pour elle, cela signifiait déjà quelque chose qu'elle ne l'ait pas dénoncé à son amour de vaurien. Elle ne pensait pas à Salomon. Elle avait le coeur pris ailleurs. Et Mr Rubinstein, une fois sorti, n'a pu accepter de la revoir.
Mr Rubinstein croise un jour un jeune homme, Jean. C'est un homme de la rue qui vit de son boulot de taxi avec deux autres amis et de bricolage et réparations en tout genre. Jean n'a pas eu trop d'éducation, n'est pas forcément très intelligent, mais il essaye, comme il dit, d'apprendre en « autodidacte » en consultant beaucoup de dictionnaires. Jean par son allure, sa carrure de boxeur fait penser à ces hommes qui ont une gueule (comme les Gabin, Ventura…). Et il fait penser à cette canaille, tué après la libération. le vieux monsieur l'engage pour être son chauffeur particulier et aider à l'association.
Bien entendu, il est difficile pour moi avec ce prénom Jean, celui du narrateur, de ne pas songer à Jean Seberg, l'ancienne femme de Gary, son si grand amour, décédée la même année que la publication de ce roman.
Mais Jean, c'est aussi ou surtout l'autre face. La joyeuse et positive. Jean a le surnom de Jeannot Lapin, parce qu'il met du sourire dans nos vies. Sûrement qu'il est d'utilité publique, tellement il fait du bien à l'âme. On se sent peu plus léger en sa présence. Même s'il tombe souvent à côté du sens des mots ou des idées philosophiques, à bien y réfléchir sa compréhension des choses n'est pas forcément si insensée que cela. de prime abord, un peu surpris, ça nous fait sourire. Et puis, on se dit qu'il n'a pas tellement tort. Probable qu'il nous ouvre les yeux sur les autres façons moins convenues d'appréhender, d'interpréter les choses de la vie. Sûr qu'il met un peu de joie et de poésie dans les réflexions sérieuses.
Il nous fait sourire, nous sentir plus légers, et pourtant les sujets dont il parle sont lourds, graves. Il parle de la guerre, du nazisme, de la solitude des hommes, de notre besoin d'amour, du besoin que nous avons tous à trouver un sens à notre vie.
Il y a comme une inversion des poids. Il doit être un peu shaman pour avoir cette capacité de nous enlever le mal à l'âme. Jean, c'est un peu de Gary, capable de mettre autant d'humour, de clairvoyance sur les hommes et de gravité dans une seule phrase. A parler des choses de manière légèrement grave et gravement légère. Et moi, ce n'est pas vraiment un tour de passe-passe que je fais si je parle de Jean pour parler à Romain Gary.
Gary, je l'ai dans la peau. Peau de lapin, pourrait dire Jean pour désamorcer. Il parait qu'il faut toujours un peu d'humour pour supporter la réalité.
Cela fait tellement d'années que je lis les romans de Monsieur Gary que je me sens un peu proche de lui. Même s'il est loin à présent, il est toujours là avec moi. Et j'ai cette impression de le connaître un peu mieux au fil des ans, au fur et à mesure des lectures, de ces romans dévorés.
Vers l'âge de 20 ans, je l'ai découvert avec « La vie devant soi ». Drôle d'énergumène qui, pour la première rencontre, me mettait une claque. Une énorme claque. Je m'en souviens encore. Ça marque ce genre de choses, ce genre de livres. Ça laisse des traces. Si Jean avait dû décrire cette claque, il aurait sûrement précisé qu'elle était encore plus douce qu'une caresse, une claque qui ressemblait à s'y méprendre à un « gros-câlin ».
Alors j'ai continué à chercher Romain Gary, à multiplier les rencontres, les soirées avec lui. Je me disais qu'avec lui, la nuit sera calme et enfiévrée. Et c'était vrai à chaque fois. Toutes ces heures, toutes ces nuits incroyables, belles, et je me rappelle aussi sourire à l'idée de la promesse de l'aube merveilleuse. Durant ces heures passées ensemble, je passais du rire aux larmes. de sourire bête accroché aux lèvres des minutes entières au coeur serré prêt à éclater en mille morceaux.
Avec lui, je nous sentais seuls au monde, loin de la folie des hommes, et en même temps si près d'eux, si soudés à eux. Presqu'en communion. Ou en communauté, si j'avais regardé la définition dans un des dictionnaires de Jean. Etrange phénomène qu'il accomplissait comme un magicien, comme un des mangeurs d'étoiles. Et moi, je les buvais ses mots, je les avalais aussi ses étoiles, hypnotisée, amoureuse, en transe, en apesanteur. Je les savourais lentement, religieusement presque, moi qui ne crois plus en grand-chose. Je continuais à croire en lui et à ses rêves, ses espoirs, ses combats, ses coups de colère parfois. Ils me faisaient penser à ces cerfs-volants qui allaient s'accrocher aux étoiles. Et je me disais que Gary était un de ceux qui, soir après soir, s'agrippait à ces cerfs-volants et allait allumer les étoiles, les faisait scintiller si intensément.
Il me faisait rire, Romain. J'avais le sourire rien qu'en l'écoutant parler à mon coeur, à ma naïveté d'enfant qui colle parfois si mal à la réalité d'adulte. J'aime ses jeux de mots, ses aphorismes, son décalage, son imagination. J'aime sa culture, son intelligence, son coeur énorme qui prend tellement de place qu'on se sent tout petit à côté de lui. Il faisait mon éducation européenne, terrienne, interstellaire. J'aime sa sensibilité, sa poésie, sa tendresse et son courage. J'aime ses yeux clairs dans lesquels je me plonge, sa grandeur d'âme, son côté parfois macho, son amour des femmes, son humanité, son respect des autres, son idéologie et ses valeurs écolo. Il me surprend, il m'impressionne, j'adore cela. J'ai conscience de mélanger les temps, le passé, mes souvenirs avec lui, le présent par ce que je ressens encore et toujours. Et parce qu'il est toujours là avec moi, il y a un futur fait d'autres découvertes avec lui (j'ajoute une autre angoisse, celle du nombre de lectures qui s'amenuisent … alors je ralentis, je prends mon temps).
Bien sûr, je savais lire entre les lignes. Je lisais aussi plusieurs sens à ses lignes. Je voyais dans son regard ses peines, ses pertes et ses blessures. Je savais que parfois les années qui passent étaient plus lourdes à supporter, que la lutte était éprouvante, que c'était parfois trop pour lui et qu'il pensait à partir. Qu'il pensait de plus en plus à aller retrouver les éléphants qu'il aimait tant.
Gary portait parfois un masque rieur, avait un pseudo trompeur pour pouvoir être un peu plus lui-même, et pas l'image qu'on attendait de lui. Il faisait souvent le clown lyrique pour pouvoir supporter sa charge d'âme. Et je le serrais contre mon coeur comme il faisait battre le mien. Comme j'aurais voulu lui montrer tout ce qu'il était capable d'offrir à tous ses lecteurs. Je sais être redevable de tout ce qu'il m'a donné, apporté. Il n'a jamais su à quel point il était généreux avec moi. A quel point il me réconciliait avec la nature humaine. Je n'avais pas les mots aussi forts, aussi poétiques que les siens. Et ne pas pouvoir le lui dire, le remercier comme il le mérite, ça me serre parfois le coeur. Ça me fait le coeur gros prêt à exploser. Avec ce trop plein d'émotions, forcément ça craque, ça déborde à un moment ou à un autre, ça coule, ça ruisselle…
J'ai souvent l'impression que Gary est dans mon coeur. Qu'il est là dans mon coeur à le triturer, le malaxer, le faire battre, l'irradier et le serrer sans vergogne. Et je me sens toute bizarre... Romain Gary, c'est mon centre d'appel SOS à moi. Je suis souvent en insuffisance cardiaque et Gary est mon indéfectible défibrillateur personnel. Il est celui qui me donne un rythme cardiaque qu'il est bon d'avoir de temps en temps dans la vie. Il est celui qui me fait un coeur tout frais, tout jeune, celui qui me ramène un sourire aux lèvres, un peu de teint aux joues, les yeux qui pétillent. Gary est de ceux qui me ramènent souvent à la vie.
Gary est à la fois un peu de Jean, le jeune fou et rêveur et à la fois Mr Rubinstein, le vieux sage, stoïque mais aussi altruiste et encore désireux de vivre et d'éprouver des émotions. Et si entre Jean et Salomon, un lien fort se tisse, sûrement qu'il y a aussi entre eux un passage de relais.
Il faut lire Romain Gary, ou à défaut Emile Ajar, c'est un peu du pareil au même. Il faut le lire, le relire pour ne pas l'oublier. Pour ne pas s'oublier. Et ne pas oublier les autres.
J'aurais pu parler des romans de cet écrivain qui m'ont le plus touchée, ceux que j'emporterai(s) sur mon île déserte (« Les cerfs-volants », « La vie devant soi », « La promesse de l'aube », etc.). Mais peut-être que je ne me sentais pas de taille. J'étais encore jeune à l'époque de ces lectures, peut-être de l'âge de Jean. Alors, après avoir découvert bien d'autres romans et entretiens de cet ensorceleur conteur, de cet incroyable diplomate, après avoir lu « L'angoisse du roi Salomon », à l'âge intermédiaire entre Jean et Mr Rubinstein, c'est pour moi le prétexte pour rembourser un peu ma dette. C'est le moment de parler de lui, enfin, et enfin de lui parler, moi qui n'ai jamais osé auparavant, de (lui) dire à quel point il compte parmi mes auteurs les plus marquants, les plus importants de ma vie. Et qu'il a sans conteste changé ma vie, bien plus que ma vie de lectrice.
Cette année, cela fait 40 ans qu'il m'a quittée (ou nous a quittés, mais c'est pareil. Gary m'a appris que tous les autres sont un peu de nous, même un peu comme le chien blanc des Amériques, même Momo à quelques années près, Momo qui a un rien de Jean, même si là je ne parle pas de boxe, parce que Jean, c'est à Marcel à qui il voulait ressembler).
Il me manque. Je m'approche de la bibliothèque. J'ouvre un roman. C'est presqu'une lettre qu'il m'écrit, qu'il nous écrit, une si belle lettre, avec une ribambelle d'émotions qui explosent semblables à un feu d'artifice, à un immense arc-en-ciel qui vous saute à la gorge. Tiens, c'est étrange, c'est lui qui me manque et c'est lui qui m'écrit (permettez-moi de rêver que c'est à moi que Romain écrit).
Je lis ses mots. J'en ai plein les yeux, j'en ai plein la tête, j'en ai plein le coeur, j'ai l'impression qu'il déborde mon coeur… encore. Je lis quelques lignes, je serre ses mots entre mes doigts, je m'accroche. Crois-moi, je ne vais pas te lâcher comme ça. Entre nous c'est une belle histoire et tous les superlatifs ne suffiraient pas. C'est une belle histoire dont je ne veux pas qu'il y ait le mot ‘'fin''. J'entends tes mots. Ta présence me fait du bien. Je souris. Je sais que tu es tout près.
Commenter  J’apprécie          7011
Le génie de ce roman, c'est d'être écrit dans les termes du personnage principal. Ce dernier est un homme de la rue, qui n'a pas beaucoup étudié, mais qui l'aurait certainement fait si il en avait eu les moyens. Il tend d'ailleurs constamment à combler le manque de connaissance dont il souffre cruellement en autodidacte, comme il le dit lui-même en ses propres termes de manière répétitive.
Dès les premières pages, surtout par les “explications” naïves, on voit à qui on a affaire: “il avait encore toute sa moustache et une courte barbe qu'on appelle à l'espagnole, car c'est en Espagne qu'elle est apparue pour la première fois”, le roi Salomon avait “un air résolu et implacable, comme s'il ne craignait rien ni personne et avait déjà battu plusieurs fois l'ennemi à plate couture, alors qu'on était seulement boulevard Poissonnière” (p.9). Cette naïveté géniale n'empêche personne de se débrouiller dans le monde et ouvre des possibilités poétiques précieuses à quiconque à la patience d'aller prêter attention.
C'est donc à travers la sincère bizarrerie du personnage principal que nous découvrons ce “roi Salomon” et ce, “avant même qu'il ne s'appelle comme ça à [s]a connaissance” (p.10). Cet homme riche, devenu philanthrope “car plus on devient vieux et plus on a besoin des autres” (p.11), va lui ouvrir la possibilité du merveilleux, et ce, même si le narrateur n'est pas croyant, car “même quand on ne croit pas, il y a des limites. On ne peut pas ne pas croire sans limites, vu qu'il y a des limites à tout” (p.15).
Notre narrateur cherche souvent conseil chez son ami Chuck, dont il se méfie pourtant comme la peste puisqu'il peut tout expliquer et que pour lui, “l'explication, c'est le pire ennemi de l'ignorance” (p.17).
Cette modalité narrative met le lecteur en un état de tendre amusement idéal pour savourer la douce mélancolie du récit de ce dur au coeur tendre.
Difficile de trouver plus sympathique comme passe-temps.
Commenter  J’apprécie          590
Romain Gary, Stefan Zweig, tolstoï et Proust font indéniablement partie de mon "panthéon littéraire."
Quatre auteurs pour qui le mot "humanité" rime avec l'essence de chacun d'eux.
Romain Gary pour moi, c'est d'abord La promesse de l'aube, un roman qui me porte depuis l'adolescence, un livre dont l'amour d'une mère vous enveloppe à vie, vous protège.
Évidemment, il y a toujours des failles et des fêlures mais mieux vaut trop d'amour que pas assez.
Dans L'angoisse du roi Salomon, c'est l'humanité, le don de soi, d'aider les autres qui prime.
Le roi Salomon ne supporte pas l'oubli, les oubliés, chaque vie à un sens même la plus ordinaire.
C'est avec un humour décapant, un humour juif comme le dit Romain Gary que le roi Salomon affronte L'angoisse.
L'angoisse de la solitude, de la mort et de la finitude humaine.
Comment à 84 ans croire à demain ? D'ailleurs cette question se pose bien avant cet âge avancé.
Le roi Salomon fait du bien en donnant des rentes, des subsides à ceux qui n'ont plus rien, à ceux que la vie n'a pas gâté. Il se noue d'amitié avec Jean, un chauffeur de taxi à qui il offre son "héritage spirituel".
Oui, mais il y a tout de même des avatars qu'on ne peut résoudre. Salomon a été fou amoureux de Cora dans sa jeunesse, puis rejeté pour un autre. L'amour a survécu chez ces deux êtres mais l'orgueil amoureux, la rancune peut-elle se refermer pour vivre encore un peu ensemble ?
Le roi Salomon est assez proche du personnage de la vieille juive qui prend sous son aile Momo dans la vie devant soi. Peut-être ce qui fait le lien entre ces deux Ajar et Romain Gary.
J'ai vu en 2019 l'adaptation théâtrale de L'angoisse du roi Salomon au théâtre de la porte St Martin avec la performance extraordinaire de Bruno Abraham - Kremer que je vous conseille si vous avez la chance d'aller le voir.

En refermant ce roman, je me dis comme à chaque titre de Romain Gary que cette lecture m'a fait du bien.
Cher Gary, merci, je l'imagine recevoir ce merci avec un sourire mi-désabué, mais plein de bonté pour l'espèce humaine.
Commenter  J’apprécie          5815
En ce qui me concerne, ouvrir un roman de Romain Gary, c'est toujours risquer de me prendre un coup de poing en plein coeur -et ça n'a pas loupé avec celui-ci.
Jean, chauffeur de taxi occasionnel, prend un jour pour client Salomon Rubinstein, ex-Roi du prêt-à-porter, qui lui propose de devenir coursier au sein de SOS Bénévoles, l'association qu'il a créée pour aider les personnes en difficulté, qu'elles soient confrontées à l'âge, la solitude, ou autres angoisses existentielles. Jean accepte et découvre alors, en la personne de Monsieur Salomon, un homme de 84 ans déterminé à porter sur ses épaules plus que sa part du poids du monde. Mais comment porter un tel poids sans s'insensibiliser ? "Le juste milieu. Quelque part entre s'en foutre et en crever. Entre s'enfermer à double tour et laisser entrer le monde entier. Ne pas se durcir mais ne pas se laisser détruire non plus. Très difficile.", comme l'apprendra Jean.

J'ai beaucoup aimé cette histoire un peu folle, parfois un peu poussive aussi, mais qui sonne juste. Comme toujours, Romain Gary joue de sa faculté à parler de choses graves avec une légèreté qui donne envie de rire puis de pleurer. Il s'amuse avec les mots, faisant de Jean un Momo (de "La vie devant soi") adulte, amateur de dictionnaires et d'encyclopédies.
Surtout, je me suis retrouvée dans le fatalisme de ce roman inscrit dans l'année 1978, tandis que s'impriment partout (et surtout dans la rétine) les images de goélands englués dans le pétrole, de bébés phoques massacrés, d'Argentins torturés et de Cambodgiens assassinés. "C'est une honte, le monde devient chaque jour plus lourd à porter." soupire Monsieur Salomon, qui a survécu au nazisme, et je me demande ce qu'il en penserait 45 ans plus tard. J'ai aimé cette façon d'aborder la difficulté de vivre dans une société aussi désespérante, et de considérer le salut humain à travers celui de tous les vivants. En ce sens, la générosité de Romain Gary m'a consolée et réconfortée.
Enfin, j'ai également été touchée par les réflexions sur l'angoisse du temps qui passe et de la possibilité du bonheur, et sur la recherche d'un stoïcisme protecteur quand vivre heureux devient un oxymore.

C'est donc une lecture dense et douloureuse, mais aussi drôle (oui, oui) et pertinente, et on en sort avec l'impression d'avoir bénéficié de quelques conseils d'un plus sage que soi, et d'être réconcilié avec l'existence. Prêt à regarder de nouveau la vie devant soi.
Commenter  J’apprécie          5412
30 novembre 2014:
Ca y est, ça recommence. 4ème page et j'aurais déjà pu poster une phrase sur deux dans les citations. le sourire ne quitte pas mes lèvres et mes yeux.
Mon 4ème et dernier livre de Gary publié sous le pseudo d'Emile Ajar.
Je vais le lire
le plus
lentement
possible.

14 décembre 2014:
Ca y est, c'est terminé.
Qu'est ce que je vais devenir maintenant? ?
(L'angoisse de Noor)
Commenter  J’apprécie          5310

Citations et extraits (108) Voir plus Ajouter une citation
- C’est assez difficile, vous verrez. Finalement, tout ça se réduit à un excès d’informations sur nous-mêmes. Autrefois, on pouvait s’ignorer. On pouvait garder ses illusions. Aujourd’hui, grâce aux médias, au transistor, à la télévision surtout, le monde est devenu excessivement visible. La plus grande révolution des temps modernes, c’est cette soudaine et aveuglante visibilité du monde. Nous en avons appris plus long sur nous-mêmes, au cours des dernières trente années, qu’au cours des millénaires, et c’est traumatisant. Quand on a fini de se répéter mais ce n’est pas moi, ce sont les nazis, ce sont les Cambodgiens, ce sont les… je ne sais pas moi, on finit quand même par comprendre que c’est de nous qu’il s’agit. De nous-mêmes, toujours, partout. D’où culpabilité. Je viens de parler à une jeune femme qui m’avait annoncé son intention de s’immoler par le feu pour protester. Elle ne m’a pas dit contre quoi elle voulait protester ainsi. C’est évident, d’ailleurs. Le dégoût. L’impuissance. Le refus. L’angoisse. L’indignation. Nous sommes devenus im-pla-ca-ble-ment visibles à nos propres yeux. Nous avons été brutalement tirés en pleine lumière et ce n’est pas jojo. Ce que je crains, c’est un processus de désensibilisation, pour dépasser la sensibilité par l’endurcissement, ou en la tuant, par le dépassement, comme les Brigades rouges. Le fascisme a toujours été une entreprise de désensibilisation.
Commenter  J’apprécie          140
Je ne savais pas que monsieur Salomon ne pouvait pas souffrir l'oubli, les oubliés, les gens qui ont vécu et aimé et qui sont passés sans laisser de traces, qui ont été quelqu'un et qui sont devenus rien et poussière, les ci-devant, comme je sais maintenant qu'il les appelait.
Commenter  J’apprécie          361
On s'est marrés tous les deux. Moi je pense que la meilleure chose que les exterminations ont laissé au Juifs, c'est l'humour. Comme cinéphile, je suis sûr que le cinéma aurait beaucoup perdu si les, Juifs n'avaient pas été obligés de rire.
Commenter  J’apprécie          400
J’étais avec elle tout le temps même quand je la quittais. Je me demandais comment j’avais pu vivre avant si longtemps sans la connaître, vivre dans l’ignorance. Dès que je la quittais elle grandissait à vue d’œil. Je marchais dans la rue et je souriais à tout le monde, tellement je la voyais partout. Je sais bien que tout le monde crève d’amour car c’est ce qui manque le plus, mais moi j’avais fini de crever et je commençais à vivre.
Commenter  J’apprécie          180
Je ne savais pas que monsieur Salomon ne pouvait pas souffrir l’oubli, les oubliés, les gens qui ont vécu et aimé et qui sont passés sans laisser de traces, qui ont été quelqu’un et qui sont devenus rien et poussière, les ci-devant, comme je sais maintenant qu’il les appelait. C’est contre ça qu’il protestait avec la plus grande tendresse et la plus terrible colère, que l’on appelait courroux chez les personnes bibliques. Parfois, j'avais l'impression que Monsieur Salomon voulait y remédier, qu'il voulait prendre les choses en main et changer tout ça. Évidemment quand on est déjà pas loin de ne plus laisser de trace soi-même, il y a de quoi.
Commenter  J’apprécie          90

Videos de Romain Gary (69) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Romain Gary
CHIEN BLANC - film - Bande Annonce (2024), adaptation du roman "Chien blanc" (1970) de Romain Gary
autres livres classés : romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (1264) Voir plus



Quiz Voir plus

Tout sur Romain Gary

Dans quelle ville est né Romain Gary ?

Kaunas
Riga
Vilnius
Odessa

12 questions
612 lecteurs ont répondu
Thème : Romain GaryCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..