Dernière pièce de Garnier, parue en 1583,
Les Juives sont considérées comme le couronnement de l'oeuvre de l'auteur, sa pièce la plus importante, et celle qui reste la moins oubliée, voire qui a encore parfois les honneurs de quelques représentations. Garnier y aborde un genre nouveau pour lui, celui de la tragédie biblique. le sujet est tiré des Livres des Rois et des Chroniques de la Bible, ainsi que des Antiquités Judaïques de
Flavius Josèphe. Les événements évoqués se sont déroulés en 587 avant notre ère : la révolte du roi hébreux Sédécias, qui provoqua la prise de Jérusalem (et la destruction du Temple) par Nabuchodonosor, le roi de Babylone ; la cruelle punition du roi séditieux, et enfin la captivité de Babylone, consécutive à la déportation de la population juive.
Malgré le sujet biblique, Garnier le traite en véritable tragédie, finalement pas si éloignée des tragédies à sujet antique qu'il avait surtout pratiqué jusque-là, même si le vocabulaire et les expressions, ainsi que le climat de la pièce laissent apparaître une influence des lectures de la Bible.
Au premier acte, nous suivons un long monologue du Prophète, suivi d'une intervention du Choeur. Les deux sont une lamentation sur les malheurs d'Israël et un appel à la miséricorde divine.
L'acte deux s'ouvre par un dialogue entre Nabuchodonosor et Nabuzardan, son conseilleur. le roi veut poursuivre la vengeance et punir sévèrement Sédécias, Nabuzardan tente de modérer son courroux. le dialogue est suivi par une lamentation du choeur. Puis entre en scène Amital, mère de Sédéicas, qui dialogue avec le choeur, et ce faisant expose l'histoire et les malheurs de sa famille. Survient la reine, la femme de Nabuchodonosor. Amital essaie de la fléchir pour la faire intervenir en sa faveur auprès de son époux. La reine est pleine de pitié pour les souffrances d'Amital, mais ne pense pas avoir beaucoup d'influence sur son mari. le choeur conclut l'acte par une nouvelle plainte.
Au troisième acte, Nabuchodonosor fait à la reine des promesses ambiguës de clémence. Il agit ensuite de même avec Amital, qu'il traite avec respect, en souvenir de son mari. le choeur termine l'acte en jurant d'être toujours fidèle au souvenir de sa patrie perdue.
Le quatrième acte nous montre le roi Sédécias, d'abord dialoguant avec son confident, puis affrontant Nabuchodonosor, qui lui exprime tout son ressentiment. Après une intervention du choeur, le prévôt vient prendre les enfants de Sédécias, en affirmant aux femmes qu'ils seront otages, ce qui permettra au roi de rentrer chez lui. le choeur conclut l'acte.
Au cinquième acte, le prophète vient faire le récit de la cruauté de Nabuchodonosor aux femmes : après avoir tué ses enfants devant lui, le roi de Babylone a fait aveugler Sédécias, en respectant ainsi sa promesse de ne pas le tuer. Survient Sédécias, à qui le prophète promet la punition de Nabuchodonosor par Dieu.
Comme dans toutes les comédies humanistes de la deuxième moitié du XVIe siècle, la pièce est avant tout une élégie, une déploration, ici sur les malheurs d'Israël et de son roi. Il y a toutefois une action, un suspens : Nabuchodonosor, devant l'insistance des deux femmes, fait des promesses de ne pas tuer Sédécias, ce qui peut laisser penser à une issue qui ne serait pas tragique. Mais la fin n'en sera que plus cruelle. Evidemment, il n'y avait pas de véritable surprise pour le lecteur-spectateur de l'époque, forcément lecteur de la Bible, mais l'auteur construit une progression dramatique, dessine des portraits de personnages, même si les monologues, et les longues parties réservées au choeur ont une place centrale dans la pièce, et qu'ils se situent clairement du côté de la poésie, de la déploration.
C'est un bel objet, un peu inclassable.