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EAN : 9782070378180
181 pages
Gallimard (01/04/1987)
3.93/5   1211 notes
Résumé :
Elle a trente ans, elle est professeur, mariée à un "cadre", mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c'est une femme gelée. C'est-à-dire que, comme des milliers d'autres femmes, elle a senti l'élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le bain des enfants, son travail d'enseignante. Tout ce que l'on dit être la condition "normale" d'une femme.
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Critiques, Analyses et Avis (147) Voir plus Ajouter une critique
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sur 1211 notes
Des aspirations de l'enfance pour l'aventure et la curiosité, aux élans de l'adolescence pour la passion et la liberté, une fois mariée, elle devra les délaisser, car l'homme travaille et veut manger, dans une maison propre et bien rangée, avec des enfants calmes et bien élevés. C'est une femme gelée.

Élevée à Yvetot, au coeur de la Normandie, Annie Ernaux garde une image particulière des femmes de sa vie. Loin du modèle urbain de la petite fée du logis, ces femmes des champs ne ressemblent en rien aux images de papier glacé des magazines qu'elle dévore avidement. Ce ne sont « pas des femmes d'intérieur, rien que des femmes du dehors ».
Très tôt assignées aux travaux des champs, trop tôt engrossées. Trop vite « la marmaille » : six, sept, huit, dix mômes. « Un truc de pauvres », dont elle prendra conscience plus tard, peu à peu. Annie Ernaux vient d'un milieu modeste et paysan, avant que ses parents ne deviennent ouvriers, puis commerçants.

La petite fille apprend ses leçons : « papa-part-à-son-travail », « maman-reste-à-la-maison », « elle-fait-le-ménage », « elle-prépare-un-repas-succulent ». Des phrases rabâchées, qu'elle apprend par coeur comme toutes ses leçons, mais qui ne correspondent en rien à la réalité qu'elle connaît, car son père ne part pas au travail, mais sert au café et à l'alimentation et fait même la vaisselle ainsi que la cuisine. Quant au ménage, sa mère s'en occupe quand elle a le temps, c'est-à-dire pas souvent.

Ses parents travaillent d'arrache-pied pour se sortir de leur condition et accompagner leur petite fille vers une vie meilleure. Loin encore du modèle social bourgeois de la femme au foyer, qui tient sa maison au carré, élève ses enfants, et laisse son mari travailler.
Protégée du rôle d'aide-ménagère que connaisse déjà ses camarades, sa mère veillera à toujours lui laisser le temps de s'épanouir dans la curiosité et la découverte artistique, persuadée qu'elle est que seule la connaissance et la pensée libérée l'amèneront vers une bonne situation et lui permettront de se soustraire au « pouvoir des hommes ».

« Je suis allée vers les garçons comme on part en voyage. Avec peur et curiosité. ». Annie Ernaux ne cache rien de ses émois physiques ni de ses passions intellectuelles pour mieux appréhender sa condition de femme telle qu'elle l'a vécue. Car évidemment, l'idéal dont elle rêvait ne se réalisera pas avec le premier et grand amour, malgré les points communs, les fous rires partagés en changeant le premier bébé. La vie de couple une fois entérinée, le mariage une fois prononcé, ramènera vite dans le droit chemin l'homme tant aimé vers le modèle qu'on lui a aussi enseigné. Son rôle de mâle ingurgité, il lui recrachera à la figure une fois sa situation professionnelle stabilisée. Désormais, il travaille, désormais il est cadre, il a réussi ce qu'il voulait. Elle n'a pas d'autre choix que de l'accompagner.
Il avait de grandes idées pourtant, rutilantes d'égalité, mais la tentation de l'embourgeoisement sera plus grande. Lui aussi veut sa femme au foyer, disponible et corvéable. À son service.

Il faut lire avec quel détail Annie Ernaux décortique chaque perte de sa liberté de femme, son « enlisement », dans ce véritable pamphlet pour l'égalité des sexes. Une condamnation sans appel au coeur du quotidien. Il faut dire que l'auteur, même si au moment de la publication de la femme gelée, en 1981, n'en est qu'à son troisième roman, son style est déjà bien affirmé : à la fois autobiographique et sociologique, dans un souci toujours charnel d'exposer les corps et les personnages : une manière de se décrire à la fois de façon personnelle et universelle.

« Papa va travailler, maman range la maison, berce bébé et elle prépare un bon repas », ce refrain entêtant de la chanson de l'école élémentaire ne cessera de l'indigner, car désormais sa vie est « un univers de femme rétréci, bourré jusqu'à la gueule de minuscules soucis. de solitude. Je suis devenue la gardienne du foyer, la préposée à la subsistance des êtres et à l'entretien des choses. »

Trouvera-t-elle la force pour reprendre possession de son corps et de son destin et réaliser enfin ses rêves de liberté et d'humanité, car après tout : « que faire de sa vie est une question qui n'a pas de sexe, et la réponse non plus ».

Retrouvez la chronique sur mon blog Fnac Experts/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Le-blog..
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Annie Ernaux est une militante, si elle raconte son enfance, son adolescence et ses premières années de mariage ce n'est pas pour le plaisir de se remémorer des moments agréables ou pas, mais pour montrer pourquoi elle se bat pour l'égalité des hommes et des femmes.

Sa mère et son père sont les chevilles ouvrières de la femme libre qu'elle est devenue. Sa mère d'abord, qui travaille dans l'épicerie familiale et inculque à sa fille que sa place n'est pas à la maison et qu'elle doit faire des études pour être libre. Son père, ensuite, qui ne lui donne pas l'image d'un homme macho et tout puissant en s'attelant aux tâches ménagères.

Mais avant de comprendre la portée du message parental, Annie a dû faire son expérience de la domination masculine. Après une adolescence où le puissant désir de plaire aux garçons n'a pas empêché des études brillantes, elle s'est mariée, mais a réalisé rapidement qu'elle s'était piégée elle-même, - et éloignée de son idéal de liberté et d'égalité homme femme - qu'elle était devenue une femme gelée.

Avec un style direct et imagé, Annie Ernaux met en garde les filles contre les embûches d'une société patriarcale. Mariage, bébé, ménage, sans contrepartie, n'ont jamais rendu une femme libre, qu'on se le dise !
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Trois sentiments.

La tristesse, d'abord. Tristesse de se rendre compte que, malgré une éducation ouverte, malgré un modèle parental à contre-courant, malgré un parcours scolaire abouti, on sait, on sent que la fatalité finira par rattraper l'héroïne. La fatalité, en l'espèce, ce sont les conséquences du simple fait d'être née femme, et d'être par là condamnée à jouer le rôle que nous assignons aux femmes.

Vient un autre sentiment : la honte. Honte, en tant qu'homme, d'être complice quotidiennement de l'exploitation des femmes, et de profiter matériellement et symboliquement de tous les avantages qui en découlent.

Et puis la colère. Colère qu'en quarante ans depuis la parution du roman, rien n'ait changé. Ou si peu. Il suffit par exemple de regarder les données sur la répartition du travail domestique dans les couples hétérosexuels pour en convenir.

Cet ouvrage aurait dû me déplaire : auto-fiction auto-centrée, monologue écrit dans un style soi-disant plat... Prétextes évidents afin de repousser la confrontation.

Car le style est moins plat que neutre, le texte faisant oeuvre aussi bien de roman que de monographie sociale, dans laquelle se dévoile la condition d'une femme tout au long de son parcours de transfuge de classe.

Annie Ernaux parle d'elle et de toutes les femmes. Son écriture est à la fois méthodique et incarnée, pleine de vie et de souffle malgré la soumission à la force des stéréotypes et des rôles sociaux de genre. Une excellente lecture.
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Annie Ernaux décrit elle-même sont écriture comme étant plate, ce que je traduis par sans fioritures inutiles, sans blablas de bonne femme et je dois dire que c'est réussi. C'est plat, c'est raplapla, je crois que c'est loin d'être mon plat favori.

Ici elle nous parle de sa vie, de son enfance jusqu'à la naissance de ses enfants. Elle nous transmet une sorte d'instantané de son époque, sans émotions, sans sel ni épices pour, à priori, mieux en montrer la banale réalité, la substance. le problème c'est que de substance, justement, je n'en ai pas trouvé.

Pour une femme de son époque, sa vie n'est pas à proprement parler banale, elle a même eu beaucoup de chance car bien peu de femmes de son époque ont eu les mêmes opportunités, n'est-ce pas ma petite maman ?
Pour le reste, son style précurseur est d'un ennui sans failles. On regarde Mme Ernaux se regarder et se regarder encore. L'écriture minimaliste rend la lecture désagréable, cette tranche de vie a un goût insipide et cet instantané de l'époque ressemble à un cliché.

Pour ma part quand un livre est bon, c'est par son ensemble qu'il se démarque, pas seulement par son style, je terminerais donc sur cette citation d'Anne Brontë dans Agnès Grey qui se marie si bien avec mon ressenti :
"Toutes les histoires vraies portent avec elles une instruction, bien que dans quelques-unes le trésor soit difficile à trouver, et si mince en quantité que le noyau sec et ridé ne vaut souvent pas la peine que l'on a eue de casser la noix".
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Si j'avais une fille, je lui offrirais immédiatement La femme gelée, comme une piqure de rappel sur les combats féministes. J'ai beaucoup aimé le récit assez cru d'Annie Ernaux, décrivant en détails la manière dont elle s'est construite, fille d'épiciers modestes, puis bonne élève prise en étau entre ses désirs et le poids de la société sur les femmes dans les années 60. On comprend mieux comment, insidieusement, elle est devenue une femme gelée dans tous ses élans, comme ligotée dans l'image de l'épouse et de la mère modèle.
« le minimum, rien que le minimum. Je ne me laisserait pas avoir. Cloquer la vaisselle dans l'évier, coup de lavette sur la table, rabattre les couvertures, donner à manger au Bicou, le laver. Surtout pas le balai, encore moins le chiffon à poussière, tout ce qui me reste peut être du Deuxiéme sexe. »
Elle passe en détails toutes les étapes de sa vie de femme, les contradictions auxquelles elle est confrontée quotidiennement alors que son goût pour la liberté et son appétit intellectuel la pousse vers un autre idéal de vie, plus égalitaire entre les hommes et les femmes.
Certains lecteurs sont rebutés par l'écriture un peu sèche et saccadée d'Annie Ernaux mais en ce qui me concerne je trouve que cela met une distance profitable à l'identification et à l'universalité de son témoignage. Je suis certaine que son œuvre atypique sera un jour étudiée dans les universités.
A lire absolument par toutes les filles mais aussi les fils...
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critiques presse (1)
Bibliobs
07 octobre 2022
Un roman très fort sur le délitement insidieux des idéaux d’égalité dans le couple. Ou comment le désir d’émancipation est sapé par le poids des injonctions sociales.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (215) Voir plus Ajouter une citation
Luxe de me rabibocher avec une mère qu’il m’est indifférent de trouver maintenant gueularde et peu féminine, j’ai ouvert les yeux.
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Parmi toutes les raisons que j'avais de vouloir grandir il y avait celle d'avoir le droit de lire tous les livres.
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Mon père gueule « je te cause ! t'as donc pas marre de tes romans ! », elle se défend « laisse-moi finir mon histoire ! ». Vivement que je sache lire, puis vivement que je comprenne ces longues histoires sans images qui la passionnent. Un jour vient où les mots de ses livres à elle perdent leur lourdeur ânonnante. Et le miracle a lieu, je ne lis plus des mots, je suis en Amérique, j'ai dix-huit ans, des serviteurs noirs, et je m'appelle Scarlett, les phrases se mettent à courir vers une fin que je voudrais retarder. Ça s'appelle "Autant en emporte le vent". Elle s'exclamait devant les clientes, « pensez qu'elle a seulement neuf ans et demi » et à moi elle disait « c'est bien hein ? ». Je répondais « oui » Rien d'autre. Elle n'a jamais su s'expliquer merveilleusement. Mais on se comprenait. A partir de ce moment il y a eu entre nous ces existences imaginaires que mon père ignore ou méprise suivant les jours « perdre son temps à des menteries, tout de même ». Elle rétorquait qu'il était jaloux. Je lui prête ma Bibliothèque verte, Jane Eyre et Le Petit Chose, elle me file La Veillée des chaumières et je lui vole dans l'armoire ceux qu'elle m'interdit, Une vie ou Les dieux ont soif. On regardait ensemble la devanture du libraire de la place des Belges, parfois elle proposait « veux-tu que je t'en achète un ? ». Pareil qu'à la pâtisserie, devant les meringues et les nougatines, le même appétit, la même impression aussi que c'était pas très raisonnable. « Dis, ça te ferait plaisir ? »

Pages 24-25, Folio, 2018.
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Quatre années. La période juste avant.
Avant le chariot du supermarché, le qu'est-ce qu'on va manger ce soir, les économies pour s'acheter un canapé, une chaîne hi-fi, un appart. Avant les couches, le petit seau et la pelle sur la plage, les hommes que je ne vois plus, les revues de consommateurs pour ne pas se faire entuber, le gigot qu'il aime par-dessus tout et le calcul réciproque des libertés perdues. Une période où l'on peut dîner d'un yaourt, faire sa valise en une demi-heure pour un week-end impromptu, parler toute une nuit. Lire un dimanche entier sous les couvertures. S'amollir dans un café, regarder les gens entrer et sortir, se sentir flotter entre ces existences anonymes. Faire la tête sans scrupule quand on a le cafard. Une période où les conversations des adultes installés paraissent venir d'un univers futile, presque ridicule, on se fiche des embouteillages, des morts de la Pentecôte, du prix du bifteck et de la météo. Personne ne vous colle aux semelles encore. Toutes les filles l'ont connue, cette période, plus ou moins longue, plus ou moins intense, mais défendu de s'en souvenir avec nostalgie. Quelle honte ! Oser regretter ce temps égoïste, où l'on n'était responsable que de soi, douteux, infantile. La vie de jeune fille, ça ne s'enterre pas, ni chanson ni folklore là-dessus, ça n'existe pas. Une période inutile.

Pages 109-110, Folio, 2018.
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Et je l'ai lue la bible des mères modernes, organisées, hygiéniques, qui tiennent leur intérieur pendant que leur homme est au « bureau », jamais à l'usine, ça s'appelait "J'élève mon enfant", je, moi, la mère, évidemment. Plus de quatre cents pages, cent mille exemplaires vendus, tout sur le « métier de maman », il m'a apporté ce guide un jour, peu de temps après notre arrivée à Annecy, un cadeau. Une voix autorisée, la dame du livre, comment prendre la température, donner le bain, un murmure en même temps, comme une comptine, « papa, c'est le chef, le héros, c'est lui qui commande c'est normal, c'est le plus grand, c'est le plus fort, c'est lui qui conduit la voiture qui va si vite. Maman, c'est la fée, celle qui berce, console, sourit, celle qui donne à manger et à boire. Elle est toujours là quand on l'appelle », page quatre cent vingt-cinq. Une voix qui dit des choses terribles, que personne d'autre que moi ne saura s'occuper aussi bien du Bicou, même pas son père, lui qui n'a pas d'instinct paternel, juste une « fibre ». Ecrasant. En plus une façon sournoise de faire peur, culpabiliser, « il vous appelle... vous faites la sourde oreille... dans quelques années, vous donnerez tout au monde pour qu'il vous dise encore : Maman, reste ».

Pages 157-158, Folio, 2018.
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En 2011, Annie Ernaux a fait don au département des Manuscrits de la BnF de tous les brouillons, notes préparatoires et copies corrigées de ses livres publiés depuis "Une femme" (1988). Une décennie et un prix Nobel de littérature plus tard, elle évoque pour "Chroniques", le magazine de la BnF, la relation qu'elle entretient avec les traces de son travail.
Retrouvez le dernier numéro de "Chroniques" en ligne : https://www.bnf.fr/fr/chroniques-le-magazine-de-la-bnf
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