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Françoise Rosset (Autre)
EAN : 9782070375882
154 pages
Gallimard (01/09/1984)
3.77/5   204 notes
Résumé :
« En 1885 Kipling avait commencé, à Lahore, une série de brefs récits, écrits de façon simple, dont il allait faire un recueil en 1890. Beaucoup d'entre eux – In the House of Sudhoo, Beyond the Pale, The gate of the Hundred Sorrows – sont de laconiques chefs-d'œuvre ; je me suis dit un jour que ce qu'avait imaginé et réussi un jeune homme de génie pouvait, sans outrecuidance, être imité par un homme au seuil de la vieillesse et qui a du métier. Cette pensée a eu p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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— Yahoo pour le rapport de Brodie

Je devrais pour une fois réussir à faire court, n'étant pas un bon connaisseur de Borges, appréciant sans doute davantage l'idée d'une fréquentation flatteuse de son oeuvre plutôt que les lectures des nouvelles de L'Aleph ou de Fictions, lues il y a moins de dix ans et dont je ne me souviens plus.
J'aime la promesse vertigineuse de cette littérature érudite et spirituelle comme ces fantasmes à chérir plutôt qu'à réaliser…

Sans doute est-ce pour cette raison que j'ai particulièrement apprécié ce recueil tardif de textes laconiques dictés par un Borges déjà aveugle, petit volume de courtes nouvelles (ou contes — cuentos) à la facture classique, aux intrigues limpides qui filent droit à leur conclusion, avec tout au plus une volte élégante, une lueur malicieuse.

« J'ai tenté, je ne sais avec quel bonheur, d'écrire mes contes de la façon la plus simple », dit-il dans la préface. Quelque chose comme de la vraie fausse modestie (ou fausse vraie). « Avec l'âge, j'ai appris à me résigner à être Borges. »

Ce sont principalement des histoires violentes où des personnages bas-de-plafond jouent du couteau où sont les jouets de leurs armes, soumis aux traditions davantage qu'à l'honneur. le narrateur d'un des épisodes, qui pourrait être l'auteur, est même particulièrement vil.

« Rapporter un fait c'est cesser d'en être l'acteur pour en devenir le témoin, pour être celui l'observe et le narre, et qui dès lors n'en est plus le protagoniste. »

La plupart des contes sont des « pièces rapportées », une confession soudaine, un manuscrit retrouvé... suscitant un jeu à trois avec le lecteur. Un jeu de miroirs, dirais-je, si dans une des nouvelles de Fictions (ça je m'en souviens) il n'expliquait pas abhorrer le sexe et les miroirs parce qu'ils multiplient les hommes !

À quelle distance se tenir du texte, du signifiant, du signifié ? C'est une question d'écart, de pas de côté, de différence entre l'auteur et celui qui écrit, de vraie-fausse (encore) connivence avec le lecteur, sollicité au premier comme au deuxième degré.
C'est une question de point de vue : « La mer nous paraît plus grande parce que nous la voyons du pont d'un bateau et non pas du haut d'un cheval ou du haut de notre propre stature. »

Quant au reste, se demande un personnage, les hommes n'ont-ils pas au cours des âges toujours répété deux histoires : « Celle d'un navire perdu qui cherche à travers les flots méditerranéens une île bien-aimée, et celle d'un dieu qui se fait trucider sur le Golgotha. »

Mon goût des liens à entretenir entre les livres a bien sûr convoqué à ce propos mes lectures récentes d'un autre argentin, Juan José Saer. Pour les textes rapportés, mais aussi et enfin, dans la nouvelle éponyme qui conclut le recueil, assez différentes des précédentes, pour les indiens Yahoos dont l'étrangeté rappelle (appelle) les anthropophages de L'Ancêtre — et sont un hommage patronymique aux Voyages de Gulliver de Swift.

Entre autres singularités, les Yahoos de Borges « sont insensibles à la douleur et au plaisir, en dehors de celui que leur procure la viande crue et avariée, et tout ce qui est fétide. Leur manque d'imagination les pousses à être cruels. »
Mais, somme toute, conclut le rapport du pasteur écossais Brodie, leur organisation sociale et symbolique représente la culture « comme nous la représentons nous-mêmes, en dépit de nos nombreux péchés. »
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Il est facile de passer à côté de Borges. Il faut s'y retrouver dans les inextricables guerres sud-américaines du XIXème siècle, l'un de ses théâtres préférés. Il faut s'habituer à ses histoires de voyous et de gauchos, où les bagarres au couteau sont omniprésentes. Et plus que tout, il faut s'accoutumer à une certaine forme de sauvagerie et de bestialité d'où, sans qu'on comprenne pourquoi, émergent brutalement des comportements très complexes, comme les restes d'une civilisation enfouie sous la barbarie qui ressortiraient tout d'un coup.

Ce petit recueil d'une dizaine de nouvelles peut donc être assez déstabilisant. La plupart se déroulent dans l'Argentine des années 1850, un pays jeune, à peine indépendant, où les hidalgos et leurs nobles traditions côtoient les cow-boys de la pampa, et une foule de nouveaux arrivés européens misérables. La vie y est dure, et souvent courte. On y est pointilleux sur l'honneur, et les querelles se vident rapidement.

Mais la dernière nouvelle est la plus curieuse. Une sorte de compte-rendu d'exploration, où un pasteur raconte avoir rencontré en Afrique un peuple aux moeurs étranges, cruelles et déstabilisantes. Ils ont un roi, auquel ils coupent pieds et mains et ils crèvent yeux et tympans, pour que le contact avec le monde ne le souille pas. Ils croient à l'origine divine de la poésie, et par conséquent tuent tous ceux à qui l'inspiration fait soudain aligner des mots… le récit se termine par un plaidoyer en leur faveur de l'explorateur, qui souligne que malgré leurs moeurs franchement répugnantes, ils n'en sont pas moins des hommes, ayant mis en place une certaine forme de culture.

Une porte classique pour pénétrer dans l'univers déstabilisant et austère de Borges.
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Nous sommes en 1970. Borges, âgé de 71 ans, est atteint de cécité complète depuis de nombreuses années déjà. Depuis très longtemps aussi (les années 1950), il n'a plus du tout écrit les contes qui l'avaient rendu célèbre, s'étant entretemps voué quasi exclusivement à la poésie, très peu à la prose, essentiellement des textes courts de critique littéraire. LE RAPPORT DE BRODIE marque un retour au genre qui l'avait consacré mondialement comme un des maîtres incontestables de la littérature sud-américaine et du mouvement du réalisme magique en Amérique du Sud, dont il demeure l'icône absolue.

Borges «dicte» LE RAPPORT DE BRODIE en essayant de renoncer volontairement, selon lui, «aux surprises d'un style baroque, ou à celles que prétend ménager une fin imprévue». Aussi, tel un peintre à qui aucun repentir ne serait consenti, refusera-t-il, par principe, toute réécriture visant à «améliorer» sa dictée initiale. Ce serait d'après lui inutile et futile : «avec l'âge, j'ai appris à me résigner à être Borges», conclut-il majestueux.

Le Borges que nous découvrons dans ce recueil de contes se trouve aux antipodes de cet autre, cérébral, onirique et labyrinthique, auteur d'oeuvres emblématiques du mouvement littéraire qu'il avait impulsé en Amérique du Sud, telles Fictions ou L'Aleph, et auxquelles son nom reste profondément associé dans l'esprit de millions de lecteurs à travers le monde. Dans les onze récits qui composent le recueil, son écriture s'empare d'un style beaucoup plus réaliste, ancré dans ses racines porteñas, dans le passé glorieux des héros des luttes qui avaient ensanglanté les eaux de la Plata et les plaines immenses de la pampa à partir de la fin du XVIIIème siècle, dans la culture rurale «gaucho» et dans les légendes créées autour de certains de ses personnages, fermiers, «estancieros», cavaliers, gardiens de troupeaux, «troperos» et bandits parcourant les plaines sud-américaines, autour de leur mode de vie rustique, leur tempérament fier et guerrier, aimant au-dessus de tout la liberté, la solitude et le silence de la pampa.

Nous aurions donc ici affaire, selon la très juste expression d'Olivier Rollin (dans un extrait de l'écrivain français paru dans le Monde en 1999), à un Borges plutôt «créole» que «métaphysique» !
Dans un style d'une très grande sobriété, tiré au cordeau (pour ne pas dire au couteau !) et tranchant (!), j'ai fini par me poser la question, en lisant ce recueil, si quelque studieux de l'oeuvre borgésienne ou critique littéraire spécialisé se serait déjà penché sur la question de ce qui s'apparenterait chez l'auteur à une véritable fascination pour les armes blanches !
A part le conte qui donne titre à l'ouvrage («Le Rapport de Brodie»), d'une facture certes empreinte de violence et de cruauté comme les autres, mais dans un cadre et un style cependant plus proches de ceux auxquels Borges nous avait accoutumés, toutes les autres histoires constituent des variations autour d'un même thème, récits hantés par les rivalités, les accrochages violents, les duels et, surtout, par une coutellerie omniprésente, histoires à couteaux invariablement tirés, où «l'homme provoquait l'homme, le couteau appelait le couteau» ( «L'Autre Duel»), à un tel point que dans certains contes (et notamment dans «La Rencontre») les couteaux semblent devenir des entités à part entière, indépendantes et immémoriales, animées de vie propre et ayant pouvoir de décision, de vie et de mort à la place des hommes qui, parfois malgré eux, finiront par s'en emparer.
Le monumental Borges aurait-il donc dicté ces histoires à l'état brut, sans révision et relecture, lui aussi en vrai lanceur de couteaux visant sa cible sans s'autoriser la moindre hésitation, le moindre écart, la moindre erreur fatale?

D'où exactement viendrait en fin de compte ce Borges «coutelier»? Faudrait-il le croire entièrement, quand après avoir d'emblée déclaré avoir voulu écrire des «récits brefs, d'une langue et d'une forme très simples», comme ceux de Kipling, il admettra pourtant, quelques lignes plus loin, que «il n'y a pas sur terre une seule page, un seul mot qui soit simple, étant donné que tous postulent à l'univers» ?

Pas si simple à appréhender tout ça.. ! Car ce Borges «cuchilliero», en apparence plus accessible et réaliste (et dont l'on retrouve les mêmes échos et tonalités dans le versant poétique de son oeuvre) reste au fond tout aussi mystificateur que l'autre Borges, le «gentleman», érudit bibliothécaire citadin et raffiné ! Dans LE RAPPORT DE BRODIE, il n'est, comme toujours, pas aisé de savoir ce qui relève du réel ou de la fiction, et il sera ardu et peut-être futile de vouloir y séparer le vrai du faux, l'historique de l'imagination pure : incipits avec lesquels l'auteur, comme à son accoutumée, ouvre un récit par le souvenir d'un évènement «vrai», rapporté ou vécu par une de ses connaissances à lui bien réelle, ou bien des héros de l'indépendance argentine, bandits et gauchos célèbres tels Bolivar, San Martin, Juan Moreira ou Don Segundo Sombra, traités par ailleurs au pied d'égalité avec des personnages de combattants et autres gauchos relevant de la pure fiction, nous font conclure que tout bien considéré, le clivage de personnalité est fort heureusement, lui, loin d'être réel et effectif ou, tout au moins, radical chez notre éternel énigmatique Borges...

A un lecteur qui n'aurait pas encore eu l'occasion d'approcher l'oeuvre du grand génie argentin de la littérature du XXème siècle, je ne conseillerais néanmoins pas de commencer par ce livre. Il s'agit, de mon point de vue, d'un ouvrage qui, pour être pleinement apprécié, serait à réserver soit aux lecteurs déjà bien familiarisés avec l'univers borgésien, soit aux amateurs de duels et de «far-west», qui y trouveraient pleinement leur compte, je pense, dans une version ici dépaysante et «far-south»!


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1970 dans l'oeuvre de Borges marque le retour à la nouvelle avec le rapport de Brodie qui inaugure la progressive fusion entre prose et poésie. L'amour qui clôt l'Aleph refait ici surface (dans l'Intruse) et permet peut-être de comprendre les raisons secrètes pour lesquelles ce thème est toujours resté en retrait dans son oeuvre en prose (un peu moins dans son oeuvre poétique).
Les protagonistes sont fugaces, les traditions détournées, le mystère omniprésent, l'histoire contredite : seule la poésie semble être un pilier générique.
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Un recueil de contes macabres où les armes ont une mémoire, où les hommes sont orgueilleux, où les femmes sont des objets.
Un recueil d'histoires du passé où le temps a une place importante, le temps de l'enfant qui s'égraine lentement, le temps du duel, trop fugitif parfois, la temps du grand âge où l'histoire est floutée et où seule demeure une momie du passé.
Un recueil de nouvelles qui donne le ton d'un lieu où encore récemment le duel était à la mode, duel de paroles, duel de peinture, duel de poignards ; duels qui oscillent entre amour et haine, entre passé et présent...

Pas mal du tout si on fait abstraction des lieux et des noms célèbres qui font partie de l'histoire et de la culture d'Argentine qui ne fait pas partie, malheureusement, des pays étudiés par chez nous, du moins de mon temps.

Une plume riche et poétique qui ne m'a pas laissée indifférente ; une lecture intéressante finalement même si le format « nouvelles » n'est pas vraiment ma tasse de thé ;-)

J'ai beaucoup aimé « La rencontre » et « L'évangile selon Marc », deux contes à ne pas raconter aux enfants à la veillée de Noël...
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Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
Chaque enfant mâle qui naît est soumis à un minutieux examen ; s'il présente certains signes, qui ne m'ont pas été révélés, il est élevé au rang de roi des Yahoos. Il est aussitôt mutilé (he is gelded), on lui brûle les yeux, on lui coupe les pieds et les mains pour que le contact avec le monde ne risque pas de le distraire de la sagesse.
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Duncan tomba sur l'herbe. C'est alors qu'il dit d'une voix très faible :
"Comme c'est étrange ! Tout ceci semble un rêve."
Il ne ferma pas les yeux, il ne bougea pas, et moi j'avais vu un homme en tuer un autre. " [La rencontre]
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Il n’y a pas sur terre une seule page, un seul mot qui soit simple, étant donné que tous postulent l’univers, dont l’attribut le plus notoire est la complexité.
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Peut-être, dans leurs pauvres vies rustiques, leur haine était-elle leur seul bien, aussi l'accumulaient-ils jour après jour.
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Les deux armes savaient combattre — mieux que les hommes qui étaient ici leurs instruments — et elles combattirent bien cette nuit-là. Elles s’étaient cherchées longtemps par les longs chemins de la province, et elles avaient fini par se rencontrer, alors que leurs gauchos n’étaient plus que poussière. Dans le sommeil de leur acier veillait une rancœur humaine. Les choses durent plus que les hommes. Qui peut savoir si cette histoire est terminée, qui peut savoir si ces armes ne se retrouveront pas un jour ?
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