C'est la première fois que j'achète un roman sans même lire le résumé. Lorsque j'ai lu le titre et le nom de l'auteure, ma passion pour la nature et l'océan m'a incité à le choisir sans hésitation.
Aurélie Wellenstein est une jeune autrice française que je suis depuis plusieurs années. En explorant des thématiques variées autour de l'animalité et de notre identité, elle propose des univers imaginaires foisonnants et riches, mais également sombres et inquiétants.
A mi-chemin entre la Fantasy et le récit post-apocalyptique, l'autrice nous incite à nous pencher sur la problématique autour des océans et des mers, et de notre responsabilité quant à sa bonne santé.
Pour les lecteurs qui aiment la bande dessinée,
Aurélie Wellenstein a sorti en septembre 2021 «
La baleine blanche des mers mortes », un prélude à ce roman. La magnifique couverture laisse entrevoir un univers emprunt de poésie et de tristesse.
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Aurélie Wellenstein nous projette dans une histoire assez effrayante, évoquant la souffrance des océans et la disparition de toute vie si l'homme continue à la surexploiter dans l'indifférence la plus totale.
Le monde est à bout de souffle, la vie est en sursit, l'air se raréfie.
Le réchauffement climatique a provoqué la disparition des mers et des océans. Ces vastes étendues d'eau salée se sont asséchées et transformées en déserts de sable. Les animaux qui les peuplaient ont disparu par la faute des hommes et sont devenus des hordes de créatures fantomatiques assoiffées de vengeance.
A chaque marée montante, ces cadavres vaporeux profitent de la houle pour attaquer les hommes et se repaître de leur âme.
« Sauvagement assassinés, les mers et les océans charriaient au creux de leurs vagues monstrueuses le souvenir de leur supplice, et à chaque fracas, chaque dégorgement d'écume dans le monde des humains, ils paraissaient hurler « vengeance ! ». »
La quasi-totalité de l'espèce humaine a également disparu. Ceux qui ont survécu se sont retranchés derrière les hautes murailles de bastions, attendant dans la terreur, les résurgences des marées hautes charriant les spectres des animaux marins, requins, baleines, méduses, … qui viennent se faire justice après avoir été massacrés par les hommes.
Heureusement, pour contrer ces marées fantômes, certains survivants ont développé des pouvoirs psychiques qui leur permettent de repousser les fantômes des créatures sous-marines jusqu'à la marée suivante.
Oural fait parti de ces rares individus dont les talents d'exorciste l'ont hissé à un rang élevé dans sa communauté, jusqu'au jour où le jeune homme va être enlevé par une bande de pirates menée par Bengale.
C'est le début d'une longue quête que je vous laisse découvrir à bord d'un navire fantôme qui prend vie à chaque marée spectrale. Il m'a rappelé le Hollandais Volant dans « Pirates des Caraïbes », à la fois majestueux et terriblement effrayant.
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L'idée de départ consistant à mélanger piraterie, message écologique, évolution du monde vivant, anticipation, fantastique, spiritisme et dérèglement climatique est vraiment originale.
Ce récit sombre et cruel m'a captivée, mais il a été aussi pour moi qui aime l'océan, source de peine.
Les talents de conteuse de l'auteure, son imagination débordante sont indéniables pour raconter l'asphyxie de notre monde, l'esprit justicier des océans peuplés de spectres, le froid glacial et humide qui enveloppe le lecteur à chaque marée.
Les descriptions de ces animaux décharnés arborant les blessures infligées par les hommes sont pénibles. On ressent de plein fouet leur odeur de mort et de putréfaction, leur douleur, leur désespoir et leur colère vorace.
J'ai été particulièrement sensible aux rêves d'Oural qui décrivent la violence des hommes, l'agonie des animaux. Ces moments particulièrement forts sont d'autant plus marquants que l'auteure rend ces scènes très visuelles. Voici un extrait de l'agonie du requin découpé vivant, mais ce n'est pas le seul.
« de nouveau, l'impitoyable crochet le souleva par la bouche. Son corps franchit le bastingage. Il s'arqua en arrière, sans pouvoir résister à la traction. Il heurta le sol où il convulsa, frappant désespérément le pont du navire de la queue et de la tête. Des formes indistinctes se dressaient autour de lui. Il claqua des mâchoires. Ses forces le quittaient. Il se noyait dans l'air.
La douleur le ranima. Une douleur atroce, au niveau de son aileron. Suivie immédiatement de la même brûlure aux nageoires.
On lui arrachait les membres, on le découpait vivant.
La gueule béante, il poussa un hurlement muet.
Seuls des rires lui répondirent. »
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A cela s'ajoute des personnages tous moralement complexes qui dévoilent lentement leurs forces et leurs faiblesses. Je regrette toutefois leur manque d'empathie qui me les a rendus assez peu sympathiques.
Bengale est un personnage charismatique mais assez opaque et inaccessible. La mission qu'il s'est fixé le rend particulièrement froid et violent. le lecteur ne comprend ses intentions que tardivement dans le récit.
Oural, quant à lui, m'a un peu agacée par ses indécisions, ses atermoiements continuels. Animé par des motivations superficielles et égoïstes, il va toutefois évoluer de manière cohérente avec son personnage.
La seule que j'ai aimé retrouver tout au long du récit est Trellia, la petite Delphine fantôme, qui est la seule à faire preuve d'empathie, de bonté, et surtout de pardon.
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En me promenant sur la plage, encore imprégnée par cette lecture, j'ai imaginé le monde sans océans. Mes yeux se sont promenés sur cette immensité bleutée, belle et sauvage. Mes souvenirs m'ont ramenée aux magnifiques paysages sous-marins vus lors de mes plongées, à cette flore et cette faune abondantes, pleines de vie et de couleurs.
A ces images, se sont superposées celles d'une mer de sable jonchée de cadavres d'animaux marins. Au cri des oiseaux marins et au déferlement du ressac se sont substitués la mort et le silence. Et cela m'a remplie de tristesse et de découragement face à ce futur possible si les hommes ne changent pas leur mentalité et leur façon de vivre.
« On aurait pu sauver ce monde ... Mais non. On était trop paresseux, trop égoïstes. Dix milliards d'êtres humains qui dévorent les océans. Aucune limite à la croissance, l'humanité qui dépouille des millions d'espèces dans une expansion surréaliste. Et ne va pas croire qu'on ne savait pas ce qu'on faisait ! »
Portée par des images très fortes et une écriture à la fois poétique et cruelle, ce récit m'a remuée par la force de son engagement. J'ai été pilonnée par les nombreuses vagues fantômes qui accompagnent ce récit. Je suis ressortie de ce voyage incroyablement troublée, mais également avec une envie irrésistible de retourner me promener au bord de l'océan, pour l'admirer et respirer ses embruns salés.