Tout le monde connaît la représentation de Giotto "Le Prêche aux oiseaux" de Saint François d'Assise devenu comme une association inconsciente ;
Grâce à ce nouveau volume de la collection "Le Roman d'un chef d'oeuvre", grâce à la magnifique et somptueuse écriture de
Jean-Frédéric Vernier et bien désormais
Fra Angelico sera associé, dans mon esprit, aux abeilles, là aussi comme une association mais consciente.
"L'homme eut conscience que l'enfant, garçon ou fille, était une abeille aux yeux du Seigneur, donc à ses propres yeux de frère dominicain. Ce constat le réjouit car l'abeille, infime, négligeable selon certains, n'en était pas moins sacrée. Son miel, au goût divin, faisait fermenter l'hydromel, sucrait les tartes, liait les potions médicamenteuses. Sa cire illuminait chapelles, églises, basiliques grâce aux bougies qu'on en tirait. Les petites gens nommaient les abeilles « oiseaux de Marie », car ils pensaient qu'elles vivaient du parfum des fleurs, D'autres juraient qu'à Pâques elles ressuscitaient, comme le Christ, alors qu'elles sortaient juste d'hibernation".
Et c'est cette rencontre de l'homme "le maître" et de l'enfant "l'abeille" que nous allons suivre dans cet ouvrage d'une poésie toute picturale, d'une peinture littéraire...
Entre 1387 et 1400 naît Guido di Pietro, qui entre 1420 et 1423 deviendra novice puis dominicain à Fiesole (près de Florence). Il y prendra le nom de Fra Giovanni.
En 1455 il meurt à Rome ce n'est qu'en 1550 que Vasari dans ses "Vite" le surnommer a "l'Angelico"
Michel-Ange aurait dit de lui "Ce bon moine à visité le Paradis et il lui a été permis d'y choisir ses modèles"
Voici d'ailleurs comment le décrit Vasari dans ses "Vite" :
Fra Giovanni était un homme simple, et d'une grande sainteté dans ses moeurs. Un jour, le pape Nicolas V l'ayant invité à manger avec lui, il eut mauvaise conscience de manger de la viande, parce qu'il n'avait pas la permission de son prieur, oubliant ainsi l'autorité du souverain pontife. Il évitait tout ce qui était du monde ; il vécut avec tant de pureté et de sainteté, il fut avec tant de passion l'ami des pauvres, que selon moi son âme est maintenant au ciel. Il s'occupait continuellement de peinture, et ne voulut jamais représenter autre chose que des saints. Il aurait pu devenir riche, mais il ne s'en soucia pas, disant que la vraie richesse consiste uniquement à se contenter de peu. Il aurait pu commander à ses semblables, et ne le voulut pas, disant qu'il y avait moins de fatigue et de sujets d'erreur à obéir. Il dépendait de lui d'avoir des grades dans son Ordre et en dehors du couvent, mais il les dédaigna, affirmant qu'il ne cherchait d'autre dignité que d'éviter l'enfer et de gagner le paradis. Il fut très humain et sobre, et, vivant dans la chasteté, il sut éviter les pièges du monde, répétant souvent que, pour pratiquer son art, il fallait le repos et une vie sans préoccupations ; que celui qui peint l'histoire du Christ devait toujours être avec le Christ. On ne le vit jamais en colère contre ses frères, ce qui est remarquable et me paraît incroyable, et il avait coutume d'exhorter ses amis à mieux, en souriant doucement. Avec une amabilité surprenante, il répondait, à ceux qui lui demandaient de travailler pour eux, qu'il fallaitd'abord avoir l'agrément du prieur, et qu'ensuite il n'y manquerait pas. En somme, ce bon Père, qui ne sera jamais assez célébré, fut toujours humble et modeste dans ses actions et ses propos ; les saints qu'il peignit ont plus l'air de saints que ceux de n'importe quel autre peintre. Il avait pour coutume de ne jamais retoucher ou repasser ses peintures ; il les faisait telles qu'elles venaient du premier coup, croyant, disait-il, que telle était la volonté de Dieu. On assure qu'il n'aurait jamais touché à ses pinceaux sans s'être mis auparavant en oraison. Il ne représenta jamais le Sauveur sur la Croix sans que ses joues fussent baignées de larmes ; aussi reconnaît-on dans les visages et les attitudes de ses personnages la sincérité de sa foi dans la religion chrétienne."
Les mots si délicatement choisis par l'auteur, nous donne l'envie de plonger dans ce tableau "La Descente de Croix" pour aller en butiner tous les détails, entrer dans chacune des alvéoles des cette scène et enfin essaimer la beauté que
Fra Angelico a apposée.
Plutôt que d'exprimer des émotions, cet artiste se soucie d'abord d'individualiser les visages, dont aucun ne ressemble à l'autre. Peinture claire, aérienne, au suave coloris gothique. Même dans ses prédelles le miniaturiste qu'avait été l'Angelico ne fait pas petit.
Alors, mais alors seulement, étant donnée cette haute qualité picturale (qui saute aux yeux instantanément et globalement, comme toujours), nous pouvons prendre en compte son message religieux, ce qu'on ne ferait pas pour un peintre au pinceau maladroit. Sa piété profonde, sa richesse spirituelle font de lui un des plus grands peintres religieux qui aient été, écrit l'esthète
Burckhardt, pourtant peu sentimental.
Plus que de l'émotion, et à côté d'une ferveur omniprésente, ce qui règne sur ses physionomies est, chose surprenante, une quiétude réfléchie, méditative : là est la clé. On vante sa tendresse, on s'étonne que ce dominicain ait eu une sensibilité digne d'un franciscain. Par là,
Fra Angelico enseignait au spectateur à méditer, lui aussi.
On lui a reproché de n'être pas "dans le vent", de ne pas appliquer assez strictement les découvertes de son temps sur la perspective ou de "n'ouvrir pas de nouveaux développements" dans l'évolution de la peinture. Mais, telle qu'elle est, sa peinture ne se suffit-elle pas ?
Quoiqu'il en soit cette ouvrage est à nouveau une pleine réussite. Quand l'art littéraire rencontre l'art pictural le résultat est juste sublime...
Cela m'a fait irrémédiablement penser à ces mots de Jean d'Ormesson :
" On peut très bien vivre sans art.
Il y a des choses sans lesquelles vous ne pouvez pas vivre, mais vous pouvez très bien vivre sans art.
Mais vous vivez beaucoup moins bien."
Merci aux éditions
Henry Dougier d'avoir eu l'idée de cette collection qui nous permet d'appréhender l'art sous une autre forme, et de nous faire nous émerveiller et dans la continuité de cette phrase à vivre mieux..