Le secret, chérie, c’est soit on fait ressortir les yeux, soit on fait ressortir les lèvres. Les yeux charbonneux et la bouche rouge, on te le pardonnera dans deux cas uniquement : si tu es Penelope Cruz ou si tu fais le trottoir au bois de Boulogne.
Je ne sais plus quel grand philosophe a dit un jour : « C'est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur. »
Quoi que tu aies fait, si ça ne marche plus entre vous, ça ne marche plus et c'est tout. On ne peut pas tout réparer. Souvent ça ne suffit pas de s'aimer ou d'être désolé.
Il faut que je sorte. Les vaches, les vignes, la campagne, le No Sex Land, ça va bien cinq minutes ! Ce n'est même pas l'abstinence qui me pèse le plus. L'air pur m'étouffe, la verdure m'angoisse, le silence me casse les oreilles. Je dépéris. J'ai besoin de respirer le parfum des pots d'échappement, de m'asphyxier au dioxyde de carbone, d'entendre un haut-parleur me murmurer à l'oreille que le trafic est perturbé sur la ligne une, de courir dans les escalators comme une folle pour attraper un métro, alors que le suivant est dans moins d'une minute trente. Je sais ce que vous pensez, mais ça m'est égal, je suis un rat des villes.
Ça doit être génial d’être Sophie, d’avoir trois ans, d’avoir Charlotte pour maman. De ne pas savoir ce que c’est qu’un smartphone, un tampax, une capote, un shot, une vie qui défile tous les jours un peu plus vite et qu’on est en train de rater. De croire dur comme fer que le marchand de rêve de la rue des Etoiles vous attend pour vous emmener très loin sur sa moto volante…
Ce soir, "Orgueil et préjugés " (celui avec Kiera Knightley) passait sur France 2 . Je m'étais organisée une soirée très privée avec Elizabeth Bennet , Mr Darcy et les deux boites de sablés au beurre salé , achetés pour l'occasion dans une boutique bretonne , métro Saint-Paul . Je faisais bouillir de l'eau pour ma tisane "Nuit Calme" à la fleur d'oranger, mode Mémé pleinement activé , en pyjama pilou à vingt heure quinze , quand mon téléphone a sonné . C'était Chloë qui voulait savoir si j'avais envie d'aller boire un verre .
Si je devais éviter tous les quartiers de Paris où j’ai un ex, il faudrait que je déménage en banlieue.
— Tu n’es pas obligée de te marier, tu sais, si tu t’ennuies avec lui. Moi, j’ai toujours été fidèle à mon mari, mais j’ai eu des amants à ne plus savoir qu’en faire avant mon mariage.
Je ris doucement.
— Moi aussi j’ai des amants à ne plus savoir qu’en faire, Mamie.
Elle pose sa main sur ma joue, me scrute comme si elle voulait lire en moi.
— Ça ne doit pas te rendre triste, les amants, Chloé, au contraire, c’est fait pour rendre heureux, pour se sentir belle.
Je ne dis rien. Je remonte le plaid sur ses genoux. Je propose d’aller lui chercher un café et elle me réclame un chocolat, je lui ouvre le paquet de fraises Tagada. Quand je reviens, elle est penchée sur son iPad, elle me montre un article du doigt.
— Ce livre, Chloé, je voudrais le lire. Tu me le feras envoyer par l’amazone ?
Je jette un coup d’œil à l’article, j’éclate de rire.
— Cinquante Nuances de Grey ? Tu es sûre que tu veux lire ça, Mamie ? Ce n’est pas du Mauriac, tu sais...
— Oui, je sais, mais j’ai envie de le lire. Je m’ennuie ici avec toutes ces vieilles coincées, on ne
peut même pas parler de sexe. Tu l’as lu, toi ?
— Non, et je n’ai pas vraiment l’intention de le lire, mais je vais te l’envoyer.
— Par l’amazone ?
— Par l’amazone, tu le recevras très vite, c’est promis. Les trois tomes si tu veux.
— Et mon Elle, je ne reçois plus mon Elle, soupire-t-elle.
....
J’ai du mal à écouter la messe. Le prêtre déclame des banalités sur un ton mélancolique de circonstance. Il parle d’elle sans parler d’elle. Je voudrais qu’il raconte qu’elle lisait Cinquante Nuances de Grey et qu’elle était un peu amoureuse de Mauriac, qu’elle connaissait tout Johnny Hallyday par cœur, qu’elle utilisait des expressions comme challenge et aller en boîte, qu’elle
comprenait sans jamais juger, même si elle venait d’un autre temps. Je fixe les taches de lumière bleutée que les vitraux projettent sur le cercueil, je n’écoute pas, je ne pleure pas. Je ne réalise pas vraiment. Parfois, je pense : je ne la verrai plus jamais. Et j’ai un trou glacial qui se forme dans ma poitrine.
"Never love anyone who treats you like you're ordinary."
Oscar Wilde
Je crois qu'on ne pardonne jamais à ses parents de ne pas être parfaits, c'est injuste, mais c'est comme ça.