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Critique de Shineyka


[Attention, ma critique comporte des spoils]
J'ai découvert Tiphs par l'intermédiaire d'Alexiane de Lys, dont je suis très fan et dont j'ai lu tous les romans. de fait, j'ai parcouru ce monde fantastique qu'est Allunia par le prisme lyséen. Aussi, je me risquerai à comparer Alexiane de Lys à Tiphs, non pas en ayant pour intention de réduire Tiphs à une sorte de reproduction imparfaite de la première, mais simplement car c'est une comparaison qui me parle bien et que je trouve pertinente.
En découvrant le résumé, je me sentais un peu comme Leah, c'est-à-dire perdu. Désorienté même. Et j'avoue que c'est cela qui fait que je n'ai pas tout de suite acheté le roman lorsque je l'ai vu – pour la première fois – sur Instagram. Mais finalement, c'est l'aspect mystérieux du monde presque féérique qui s'entrouvrait à moi ainsi que la fin de ma lecture du livre « de Sang d'Ecume et de Glace » qui m'ont conduit à prendre mon courage à deux mains pour me plonger dans ce nouvel univers onirique.
Ensuite, j'ai été captivé par le début in media res du prologue, qui fait écho aux prologues des romans d'Alexiane de Lys. J'espère qu'on en apprendra plus dans le Tome II, ce dont je ne doute pas.
Mais par la suite, c'est un roman à la troisième personne écrit au passé qui s'est présenté à moi. Et cela m'a demandé un certain temps d'adaptation, étant donné que tous les romans d'Alexiane de Lys sont écrits à la première personne du singulier, et presque tous au présent.
Cependant, je trouve que les deux types de narrations revêtent leurs avantages respectifs. La première personne permet d'être dans la peau du personnage, de vivre l'histoire à travers ses yeux, ses sensations et ses pensées. On est emporté du réel au fantastique par l'intermédiaire d'un bateau qui dériverait dans une tempête et dans lequel on se retrouverait piégé : et ce bateau, c'est la conscience du protagoniste. On EST le personnage lui-même. Et, tout au cours de l'histoire, on dénoue les noeuds de l'intrigue tout comme le personnage principal procède dans son propre esprit et – plus intimement – dans son propre coeur.
La troisième personne – que m'a refait découvrir Tiphs en profondeur – a quant à elles de nombreux points forts qu'il convient de souligner. J'ai notamment remarqué que ce point de vue externe – une sorte d'omniscience qui s'entrouvre et se referme au gré des nécessités de l'intrigue – permet de s'abstraire de la subjectivité d'un personnage pour se rapprocher de celle d'un autre. le lecteur attentif aura plusieurs fois remarqué cette valse de focalisation, notamment autour de Zam et de Leah. On a parfois l'impression de vivre la situation à travers les yeux de l'un pour ensuite basculer dans la peau de l'autre. Cette troisième personne autorise aussi une décentration de ce que l'on pourrait nommer le « noyau protagonistique », c'est-à-dire tous les personnages tournant autour de la protagoniste (Leah). Et pour témoigner de ce changement de point de vue (qui donne l'impression de regarder un film palpitant à travers notre conscience qui nous intime à tourner les pages plus vite que nos mains ne le peuvent), il ne serait pas étonnant de mentionner la « dualité Leah-Anya ». Je parle de dualité car elles comportent chacune leur propre noyau scénaristique mais au sein du même univers fantastique. Toutefois, le dénouement nous laisse à penser que leurs histoires se tournent autour de plus en plus vite… puis qu'elles finiront par se ressembler contre Kahini. Ainsi, la troisième personne permet une navigation entre les subjectivités des divers personnages et également une décentration qui guide le lecteur vers une appréciation générale et extérieure de l'univers allunien.
Maintenant que nous avons parlé première et troisième personne, il est temps d'évoquer le style. Celui de Tiphs (qu'on va appeler le style tiphéen parce que c'est joli et parce qu'il faut bien trouver un adjectif à Tiphs) diffère beaucoup du style lyséen, et à mon plus grand plaisir, car cela apporte une richesse stylistique remarquable !
Tiphs procède à beaucoup plus de descriptions, et qui sont narrées dans un lyrisme et une poésie bien plus soutenues que chez Alexiane de Lys, qui de son côté, m'a semblé préférer tisser l'histoire dans le vif de l'action, pour ne garder les descriptions détaillées que pour les scènes les plus décisives. Toutefois, le côté relevé de l'écriture tiphéenne contraste avec des dialogues issus de la vie de tous les jours, en témoigne la présence de gros mots. Je mentionne leur présence car elle a pour intérêt de rendre les dialogues plus réels à mon sens. Je veux dire par là que je trouve qu'un personnage en colère qui ne profère pas la moindre vulgarité me semble encore inhibé au plus profond de lui-même, et cela empêche peut-être le lecteur d'intimement s'attacher à lui. Néanmoins, je comprends le désir lyséen d'éliminer la quasi-totalité des gros mots car cela pourrait en quelque sorte gâcher la littérature et que ce ne sont pas de jolis termes à écrire dans un roman (voir la publication d'Alexiane de Lys sur Instagram à ce sujet). Cette dernière décrit certes moins, mais j'ai eu le sentiment qu'elle mettait plus l'accent sur les dialogues, là où Tiphs semble construire un équilibre entre des descriptions romanesques et des échanges riches mais parlés dans un langage de tous les jours.
En ce qui concerne les personnages, j'ai trouvé qu'ils avaient chacun une personnalité très marquée (tous sont vraiment uniques et se ressemblent peu, ce qui est assez difficile à écrire, mine de rien !). J'ai beaucoup aimé Alinoé, mais je crois que j'ai un faible pour Sian, car c'est son côté aimable – presque angélique – qui m'a fait m'attacher à elle. Cependant, Leah reste un peu ma favorite. Pourquoi ? Car elle semble en guerre perpétuelle contre elle-même. Sa propre psyché lui joue des tours et ses émotions la prennent en tenaille. Zam semble être là tantôt pour réguler la jeune femme, tantôt pour la pousser à se transcender. J'ai toutefois eu plus de mal à m'attacher à Leah que à Cassiopée, par exemple (dans « Les Ailes d'Emeraude »), et je pense que mon habitude pour la première personne a dû jouer un rôle là-dedans. Néanmoins, au bout de la moitié du roman, je pense pouvoir affirmer que je me suis attaché AUX personnages. Et c'est là la grande différence d'attachement qui s'est opéré dans ce roman tiphéen par rapport à toutes les oeuvres lyséennes. Dans ces dernières, la première personne fait qu'on a plus tendance à s'attacher à la protagoniste et que les autres personnages demeurent souvent assez secondaires (même les plus éminents d'entre eux). Néanmoins, chez Tiphs, le côté détaché et voyageur de la troisième personne nous mène sur les eaux mouvementées d'un creuset où interagissent diverses subjectivités. Ainsi, je ne me suis pas attaché qu'à Leah mais à la plupart des personnages (sauf Tara, je n'arrive pas à ne pas la détester celle-là, mais je pense que c'est normal !).
Un petit point à noter que je qualifierai de défaut pour ce roman, bien qu'il puisse également s'agir d'une qualité, c'est le fait qu'on soit dès le début perdu dans un monde dont on ne connaît rien. Et c'est cela qui m'a bloqué dans le processus d'attachement aux personnages ainsi qu'à l'univers onirique dans son ensemble, je pense. Alors certes, on se met dans la peau du personnage principal (Leah) et on parvient à ressentir son trouble. Cependant, cette irruption presque supraluminique dans le fantastique ainsi que le côté pressant des premiers chapitres fait qu'on se sent presque kidnappés par la narration. On ne découvre pas vraiment le monde, on ne fait que l'entrapercevoir. La beauté de Dianoia est à couper le souffle, mais ne connaissant pas vraiment cette cité, nous avons du mal à nous attacher à son sort, je pense. Néanmoins – et pour finir là-dessus – je pense que cet aspect urgent de l'intrigue dans un univers inconnu aura nécessairement des avantages ET des inconvénients, et que l'auteure a de toute façon dû faire un choix, et que ce choix sera pertinent si le lecteur sait en distinguer les points positifs. Mais dans tous les cas, c'est une décision qui revient à l'écrivaine dans le tissage d'une histoire qui a pris racine dans le creuset de son imagination intime.
Un petit mot sur la fin, désormais. Honnêtement, j'étais mitigé. Elle est survenue de manière un peu brutale et laisse à mon sens un peu trop de liberté au lecteur pour imaginer la suite. J'aurais trouvé cela plus captivant si l'auteure avait plus ciblé la suite de l'histoire, en nous montrant plus précisément (mais pas trop non plus) ce vers quoi l'on pourrait se diriger. C'est une gymnastique de suspense assez difficile à mettre en oeuvre, pour être honnête.
Par rapport au suspense d'ailleurs, je trouve cela génial d'en semer quelques graines à la fin de chaque chapitre (Alexiane de Lys le fait presque systématiquement) car cela donne envie de tourner la page et rend l'intrigue plus vivante. Je trouve que cette dose de suspense a parfois manqué, et le fait qu'on soit piégé dans un univers dont on ne connaisse rien a dû contribuer à rendre difficile l'implémentation d'un suspense bien dosé à la fin de chaque chapitre. Et ce suspense, encore convient-il de ne pas l'exagérer pour qu'il ne soit pas rendu trop artificiel et donc qu'il perde de sa puissance. En outre, la troisième personne nous faisant naviguer entre Leah et Anya (les deux noyaux de l'histoire selon moi) rendait plus ardue les « transitions à suspense » entre les chapitres des deux personnages respectifs.
Enfin bon, tout cela pour dire que j'ai quand même adoré Allunia, et que j'attends avec impatience la sortie du Deuxième Tome ! (Et puis je suis sûr que Zam n'est pas mort. le mec a dix mille cicatrices, je ne vois pas en quoi quelques rochers permettraient de se débarrasser de lui !).
Et pour finir (vais-je finir ma critique un jour ?), j'ai adoré les illustrations sur les numéros de pages, les transitions au sein des chapitres, les entêtes des chapitres eux-mêmes et puis la page de couverture ! N'oublions pas que Tiphs est illustratrice ! Alors Tiphs, si tu vois ce message, continue comme ça ! Dessine-nous tes illustrations aussi harmonieuses que ton style est lumineux, car cela ravive l'histoire et la rend encore plus concrète dans notre esprit !
P.S : j'ai adoré le passage avec le nocturial.

SHDB.
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